Gilles Grapinet (Worldline) "Avec l'acquisition d'Ingenico, notre chiffre d'affaires sur le paiement en ligne s'élèvera à 700 millions d'euros"

Le patron du prestataire de paiement français évoque les opportunités suite au rachat d'Ingenico et ses chantiers de diversification dans le transport et la santé.

JDN. Worldline est sur le point de finaliser l'acquisition d'Ingenico. Cet acteur est très réputé pour son offre de terminal de paiement (TPE). Mais que vous apportera-t-il sur le paiement en ligne ?

Gilles Grapinet, directeur général de Worldline. © Frédéric Boyadjian

Gilles Grapinet. L'une des raisons majeures pour laquelle nous réalisons cette acquisition est qu'Ingenico est beaucoup plus présent que nous sur le paiement en ligne. Ensemble, nous allons quasiment devenir un groupe avec deux métiers : le paiement du monde physique et le paiement sur Internet, qui est le "TPE digital". Ingenico a fait des acquisitions passionnantes dans le paiement en ligne ces dernières années, comme Ogone, Global Connect ou encore Bambora. A l'arrivée, nous triplons la présence du groupe sur l'e-commerce et le paiement en ligne. Avec cette acquisition, qui sera clôturée à la fin du mois, notre chiffre d'affaires sur le paiement en ligne s'élèvera à 700 millions d'euros. 

Allez-vous poursuivre des acquisitions dans le paiement en ligne ?

Dans le paiement en ligne oui et dans le paiement en général aussi. Nous avons récemment racheté un très bel acteur en République tchèque, GoPay.

Les rachats dans le paiement se multiplient depuis plusieurs mois en Europe. Comment expliquez-vous ce mouvement ?

Nous connaissons un moment historique. L'histoire des consolidations ressemble un peu à des boules de neige, avec les premiers mouvements, les premiers accords, les premiers pure players… La boule de neige grossit, prend de la vitesse et crée de plus en plus de valeur. Pour nous, le top départ de la consolidation était l'euro, et derrière SEPA (en 2014, ndlr), le marché unique du paiement en euros. Ensuite, il y a eu un effort de standardisation à la fois réglementaire et technique. Cela a permis de sortir le paiement du giron national. Une fois standardisé, nous avons pu l'industrialiser sur une zone européenne et plus sur une zone nationale. 

Le marché mondial est aujourd'hui dominé par des acteurs que sont les historiques comme vous, les nouveaux entrants, comme Adyen et Stripe, et les Gafa. Chacun ayant ses propres enjeux et stratégies. Aujourd'hui, quels sont les vôtres ?

Effectivement, ce secteur foisonne mais ce qui compte dans le paiement, ce sont les innovations qui peuvent permettre de passer à l'échelle. Qu'est-ce qui bouge vraiment le chiffre d'affaires des sociétés dans le paiement ? Ce ne sont pas les innovations qui vont faire 50 000 transactions. Le paiement est surtout une industrie dans laquelle il faut parler de milliards voire de dizaines de milliards de transactions pour commencer à impacter le monde.

"Nous cherchons à rendre le paiement le plus invisible au possible sans sacrifier le sentiment de sécurité"

Qui font ces milliards de transactions ? Ce ne sont pas les geeks, pas les fans des derniers produits à la mode, ce sont monsieur et madame tout le monde. Ceux qui font leur shopping dans les supermarchés, dans les centres commerciaux, sur les sites e-commerce de référence. Et leur façon de payer, qu'ils ont adoptée depuis des années, est très difficile à changer sauf si la nouvelle solution vient avec une proposition de valeur considérable. Comme beaucoup d'industries qui touchent à la technologie, il y a aujourd'hui énormément de buzzword. En tant qu'industriel, nous mettons un filtre qui qualifie ce qui va devenir un jour une solution de masse. 

Quelles sont les caractéristiques d'une solution de masse ?

Le premier facteur est le niveau d'ergonomie et de facilité d'usage. Pour parler à monsieur et madame tout le monde, il faut des solutions qui ne soient pas complexes, comme la carte sans contact et le paiement invisible. Je commande chez Uber, je descends d'Uber, j'ai payé. Le deuxième axe est la sécurité. Le paiement est une industrie de la confiance. Si vous avez le moindre doute d'être fraudé, d'être débité deux fois, s'il peut y avoir des frais que vous n'avez pas vus, alors on est à peu près certains que ce ne sera pas adopté à l'échelle. Le troisième élément, quand on est sur un métier de masse, c'est évidemment le coût de production. Le paiement ne peut pas surcharger significativement les coûts des produits et services. Ça ne peut pas être un iPhone. Un grand retailer ou un grand site ne peut pas se permettre d'avoir des points de marge absorbés en commission. Enfin, il faut avoir des technologies scalables qui peuvent absorber des pics de charge sans ralentir le commerce. 

Comment répondez-vous à ces différents critères ?

Nous cherchons à rendre le paiement le plus invisible possible sans sacrifier le sentiment de sécurité des utilisateurs. Nous travaillons sur des systèmes comme la biométrie qui remplace un code à quatre chiffre, des systèmes de navigation prédictifs qui permettent par exemple de préprogrammer et reconnaître les méthodes de paiement avec lesquelles vous aimez payer sur un site web. Avec l'objectif que vous n'ayez plus qu'à faire du one click payment.

"Nous répondons à l'appel d'offres sur l'Espace numérique de santé, un front end qui permettra d'accéder à votre dossier médical"

Nous investissons également beaucoup dans l'open payment, qui permet d'utiliser sa carte bancaire en sans contact dans les transports publics. Vous n'avez plus besoin d'utiliser la machine à tickets. Nous calculons automatiquement ce que vous devez payer si vous faîtes un, cinq ou dix trajets dans la journée. C'est un usage qui peut passer à l'échelle car il fait gagner du temps à tout le monde.   

Vous envisagez donc de vous diversifier fortement dans les années à venir…

Finalement, notre vrai savoir-faire consiste à gérer des flux transactionnels à très haute volumétrie, très sécurisés, qui touchent tout le monde et qui ont des besoins de technicité soutenus. C'est le cas du transport public. Ce sont des volumétries énormes avec des pics en heure de pointe. Au fond, un système de transport est un système de paiement. En plus, il est en train de s'ouvrir grâce à l'intermodalité qui nous fait prendre un taxi pour aller à la gare, puis prendre un métro et finir le dernier kilomètre en trottinette. Le tout avec un seul ticket virtuel qui dispatche l'argent aux différents opérateurs.

Nous nous sommes aussi beaucoup développés dans la santé digitale. Notre point d'entrée a été la carte vitale car c'est une carte de paiement. Puis nous avons géré la dématérialisation des feuilles de soin. D'ailleurs, nous sommes hébergeur de données de santé au sens de la réglementation. Nous avons historiquement développé le dossier médical personnel (DMP) car la donnée de santé est aussi sensible, en termes de privacy, que la donnée de paiement. Nous avons fait la même chose avec le dossier pharmacien qui permet notamment de diagnostiquer les anomalies de prescriptions. Nous avons construit le système d'intervention du SAMU qui permet de recevoir les signalements et qui fait le dispatch en temps réel des interventions. Enfin, nous sommes en train de répondre à l'appel d'offres (de la Cnam, ndlr) sur l'Espace numérique de santé, conjointement avec la start-up Lifen, une sorte de front end hyper sécurisé qui permettra d'accéder à votre dossier médical, de prendre des rendez-vous, et d'échanger avec les professionnels de santé de manière sécurisée.

Gilles Grapinet est directeur général de Worldline depuis juillet 2013 et président du conseil d'administration depuis novembre 2019. Il a rejoint Atos (ex-maison-mère de Worldline) en décembre 2008 et a été jusqu'au 1er février 2019 premier directeur général adjoint chargé des fonctions globales au sein du groupe. Il a été conseiller économique et financier du Premier ministre en 2003 et 2004 puis directeur de cabinet de deux ministres de l'Economie et des Finances de 2004 à 2007. Gilles Grapinet a également été directeur des systèmes d'information et de la stratégie à la direction générale des impôts, directeur du programme Copernic visant à mettre en place l'"e-administration fiscale" pour les télédéclarations et le paiement dématérialisé des impôts.