La finance décentralisée, une nouvelle bulle crypto ?

La finance décentralisée, une nouvelle bulle crypto ? Depuis le début de l'année, les montants stockés dans les produits financiers basés sur la blockchain ont augmenté de plus de 2 000%. Pour seulement quelques dizaines de milliers d'utilisateurs.

Un record peut en cacher un autre. Alors que le bitcoin flirte avec ses plus hauts, la finance décentralisée explose. Surnommé DeFi, pour decentralized finance, ce concept désigne des produits financiers basés sur la blockchain. Ce sont en fait des ensembles de smart contrats, des contrats qui s'exécutent automatiquement suite à des conditions prédéfinies, dans lesquels sont stockées des cryptomonnaies, principalement des ethers. Plus de 6,7 millions d'ethers et 164 400 bitcoins sont verrouillés dans ces contrats, soit l'équivalent de 14,7 milliards de dollars (chiffres au 3 décembre 2020), selon le site spécialisé DeFi Pulse. Depuis le début de l'année, le nombre d'ethers stockés a augmenté de 148% (+10 000% de bitcoins) et le montant total en dollars de 2 140%. 

© Capture d'écran JDN

Alors, peut-on parler d'une bulle ? C'est en tout cas le sentiment de Vitalik Buterin, cofondateur de la blockchain Ethereum, qui en juin dernier, a déclaré dans un tweet : => "Honnêtement, je pense que nous mettons l'accent sur une DeFi tape-à-l'œil qui offre beaucoup trop de taux d'intérêt élevés. Des taux d'intérêt nettement plus élevés que ceux que vous pouvez obtenir dans le cadre de la finance traditionnelle sont, par nature, soit des opportunités d'arbitrage temporaires soit des risques non déclarés." D'après le site spécialisé DeFi Rate, les taux sur certaines plateformes s'élevaient à plus de 50% en novembre 2020, par exemple. Bien loin de ceux de la finance traditionnelle.

Pour Manuel Valente, directeur analyse et recherche du courtier crypto Coinhouse, il s'agit d'une bulle en partie provoquée par les jetons (ou tokens) de gouvernance associés aux plateformes qui permettent de voter pour des décisions. "Dès que les plateformes ont commencé à distribuer les tokens, ils ont pris de la valeur, et la valorisation des protocoles a commencé à augmenter énormément", analyse Manuel Valente. "Il est clair qu'il y a un effet de mode. Certaines valeurs ont gonflé rapidement comme des bulles spéculatives. Mais ce n'est pas comparable à la bulle crypto qu'on a connu en 2017", estime de son côté Owen Simonin, aussi connu sous le pseudo de Hasheur sur Youtube.

"Certaines valeurs ont gonflé rapidement comme des bulles spéculatives. Mais ce n'est pas comparable à la bulle crypto de 2017"

Fin 2017, le cours des crypto a explosé, accompagné par une folie autour des ICO, des levées de fonds en cryptomonnaies,… qui est retombée au bout de quelques mois. "Pour une ICO, vous pouviez faire un white paper d'une vingtaine de pages avec un joli site web. Là, il faut avoir une vraie plateforme qui fonctionne avec des smart contract, un minimum de code…", souligne Manuel Valente. "On ne peut pas mettre la DeFi dans le même panier que celui des ICO", abonde Alexandre Stachtchenko, cofondateur du cabinet Blockchain Partner. "Bon nombre de produits DeFi ont une valeur fondamentale car ils permettent de toucher des taux d'intérêts, effectuer des flux financiers, faire des investissements", complète-t-il. Faire des investissements mais aussi spéculer.

Un secteur trop modulaire

"Aujourd'hui, la plupart des utilisateurs de la DeFi sont des joueurs de casino", estime Arnaud Salomon, fondateur de Mt Pélerin, entreprise suisse spécialisée dans la tokenisation d'actifs. Des joueurs de casino qui sont très peu nombreux dans le monde. D'après le site spécialisé Dune Analytics, près d'un million d'adresses DeFi ont été créés à ce jour mais un utilisateur peut avoir plusieurs adresses. Selon nos experts interrogés, il n'y aurait que quelques dizaines de milliers d'utilisateurs actifs de produits et services DeFi dans le monde. Rien d'étonnant puisque la technologie et les concepts sont très complexes.

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La DeFi repose certes sur des produits qui fonctionnent mais qui sont liés de près ou de loin au DAI. Ce stablecoin, issu du protocole de prêt crypto MakerDAO, est utilisé dans la majorité des plateformes de DeFi. "C'est la pierre angulaire de la Defi. Si ça pète, tout pète", résume Jonathan Herscovici, fondateur de StackinSat, plateforme de bitcoin. "La grande force de la DeFi est aussi sa grande faiblesse : sa modularité. Vous empruntez sur un service qui collatéralise sur un autre qui hypothèque sur un autre, etc…", illustre Alexandre Stachtchenko. Et tout commence souvent par le DAI. Si un bug devait se produire sur ce stablecoin, la DeFi ne vaudra donc probablement plus grand-chose. "MakerDAO a montré qu'il était robuste mais ce n'est pas un projet qui a 10 ans d'existence, il peut toujours y avoir des bugs", note Alexandre Stachtchenko.

"Le stablecoin DAI est la pierre angulaire de la Defi. Si ça pète, tout pète"

 

Contrairement au bitcoin, la grande majorité des plateformes de finance décentralisée ne sont en réalité… pas décentralisée. Il y a toujours une partie de la chaîne qui est centralisée. Et donc qui peut être hackée. Depuis plusieurs semaines, les hacks se multiplient. Exemple en novembre 2020 avec la plateforme Value DeFi qui a été dépouillée de 5,4 millions de… DAI (5,4 millions de dollars). A part les hacks, les arnaques font aussi souvent leur apparition pendant les bulles. Même si d'après nos spécialistes, il n'y a rien à signaler de ce côté. "Je n'ai pas encore vu d'arnaques comme on a pu en voir pour les ICO. J'ai vu des mauvais projets certes, mais pas d'arnaques", assure Alexandre Stachtchenko. "Plein de protocoles ont forké (créé une autre blockchain à partir du même code, ndlr) pour proposer une alternative en donnant des noms de fruits ou légumes. La grande majorité ne sont plus développés aujourd'hui. De toute façon, l'exposition aux investisseurs et traders non avertis a été très limitée", fait remarquer Pierre Laurent, cofondateur du cabinet spécialisé en blockchain Atka.

Une "vraie" bulle à venir 

L'absence de hack ou arnaque n'a pourtant pas empêché cette petite bulle de commencer à se dégonfler. Depuis début novembre, le nombre d'ethers verrouillés dans la DeFi est passé de 8,9 millions à 6,6 millions, soit 26% de moins. Mais comme le cours de l'ether a fortement augmenté au cours du mois, le montant total stocké dans la finance décentralisé est passé de 11,35 à 14,06 milliards de dollars (+24%). "Quand une formation de capital est aussi rapide, il y a forcément des corrections", estime Arnaud Salomon. "Il y a eu une bascule entre septembre et octobre, au moment où le bitcoin est revenu sur le devant de la scène", souligne Manuel Valente. Est-ce déjà la fin de la bulle DeFI ? "Il y aura probablement une vraie bulle quand les produits seront exposés aux investisseurs plus grand public", prédit Gabriel Rebibo, cofondateur d'Atka. "Cela pourrait arriver l'année prochaine."