Jean-Charles Samuelian-Werve (Alan) "Nous voulons qu'Alan devienne le partenaire santé tout-en-un des Européens"

Un an après sa levée de 185 millions d'euros, l'assurtech Alan accélère sa croissance en Europe. Son cofondateur et CEO fait le point sur ses projets et sa vision à long terme pour la start-up.

JDN. En quoi Alan se différencie des autres mutuelles santé ?

Jean-Charles Samuelian-Werve est le cofondateur et CEO d’Alan. © Pierre Morel - Alan

Jean-Charles Samuelian-Werve. L'assurance est un marché historiquement très intermédié, avec notamment la présence de courtiers. La présence de ces intermédiaires a créé une certaine déconnexion entre certaines mutuelles et leurs membres. Celles-ci se retrouvant ainsi privées de précieux feedbacks clients leur permettant d'innover. A l'inverse, chez Alan nous recherchons en permanence la satisfaction de nos membres. Les assurances ne sont pas des entreprises technologiques. Elles sont spécialisées dans la gestion des risques mais pas sur l'expérience utilisateur, comme c'est notre cas. Nous avons eu une approche très différente du problème en nous positionnant comme un partenaire bien-être dès notre création. Nous avons créé une assurance simplement parce que nous pensions que c'était le meilleur chemin pour y parvenir. Avec le temps, Alan a développé différentes compétences : le produit, le design, la culture d'entreprise mais aussi toute la technologie qui nous permet d'automatiser certaines tâches pour apporter, à l'échelle, plus efficacement de la valeur à nos membres.

Votre manque d'expérience dans ce secteur de l'assurance vous-a-t-il aidé pour innover ?

Il est en effet très difficile d'innover et d'être en rupture lorsque vous avez travaillé une vingtaine d'années dans un secteur. Dès le départ, nous nous sommes mis dans les baskets d'un utilisateur lambda en nous demandant quelles seraient nos attentes. Notre objectif n'a pas été de créer la meilleure assurance mais de devenir un partenaire sur lequel nos membres peuvent compter pour toutes leurs interactions liées à leur santé et leur bien-être, tant au niveau du corps que de l'esprit. La création d'une mutuelle santé est simplement la première brique et nous avons ajouté d'autres services depuis. Alan compte désormais 275 000 membres issues de 14 000 entreprises différentes et avec 15% d'indépendants. L'entreprise, présente en France, Espagne et en Belgique, emploie 500 collaborateurs.

Concrètement, quels types de services proposez-vous ?

Notre vision est d'être le partenaire santé entièrement intégrée pour nos membres. Autrement dit, de faire d'Alan l'unique point de contact pour tout ce qui relève de la santé et du bien-être. Notre priorité pour cette année est la santé mentale. Nous avons notamment développé Alan Mind, une app qui s'appuie sur du contenu pédagogique ciblé et des techniques issues des thérapies comportementales et cognitives.

Alan a également développé d'autres services à l'image de notre clinique virtuelle qui permet de discuter avec des médecins généralistes, pédiatres, nutritionnistes, etc. Nous mettons aussi à disposition de nos membres des outils de prévention pour leur indiquer quand effectuer certaines vérifications médicales, comme des soins dentaires ou vaccins. Nous avons aussi créé Alan Map, un moteur de recherche qui aide nos clients à trouver un professionnel de santé. Nous voulons continuer à innover en développant de nouveaux services.

Peut-on imaginer Alan évoluer comme une plateforme qui intégrerait des services développés par des entreprises tierces ?

Nous ne nous l'interdisons pas. Il faut cependant que l'entreprise atteigne une certaine échelle pour que cela ait du sens. Proposer ces services à nos clients existants est intéressant. Nous avons aussi des nouveaux clients qui n'ont pas souscrit à notre mutuelle santé et qui ont fait le choix de souscrire uniquement à Alan Mind.

Où en êtes-vous dans votre développement en Espagne et en Belgique ?

Nous connaissons en Belgique une croissance plus rapide qu'en France sur une période similaire. L'Espagne montre également de bons résultats avec une croissance similaire à la France à la même période. Cela s'explique par le fait que le système belge pour les mutuelles est complémentaire tout comme en France. En Espagne en revanche, il s'agit d'un système supplémentaire. Une courbe d'apprentissage a donc été nécessaire pour nous adapter mais l'année 2021 nous a permis de valider que nous pouvions réussir à l'international, malgré la différence des systèmes de santé dans chaque pays. Nous sommes aujourd'hui la première entreprise du secteur à atteindre une telle échelle européenne avec une seule et même plateforme technique dans tous les pays.

Quel sera le prochain pays à pouvoir souscrire à Alan ? Une acquisition d'un concurrent étranger pour entrer sur un nouveau marché est-elle à l'étude ?

"Nous visons la rentabilité de nos activités française en 2024 et au niveau global en 2025"

Rien n'est encore décidé et nous en discutons encore en interne. Nous voulons d'abord consolider notre position sur nos marchés cette année avant d'en viser de nouveaux en 2023. Ce qui est intéressant avec le secteur de la santé est que, même les pays considérés comme "petits" sont des marchés importants et peuvent représenter des dizaines de milliards d'euros. Nous ne croyons vraiment pas au fait d'acquérir des entreprises pour entrer dans un nouveau marché car il n'y a pas d'acteurs en Europe pour lesquels une acquisition ferait sens. Nous préférons nous développer de manière organique avec nos propres produits.

Quel est le profil de vos clients ? L'entreprise est-elle rentable ?

L'offre d'Alan s'adresse aux entreprises de tous secteurs et de toutes tailles. Les entreprises du secteur technologique, dont notamment les SSII et entreprises de conseil, sont un important segment. Mais nous connaissons également une forte croissance sur tous nos segments à commencer par le secteur de l'hôtellerie et de la restauration. Notre portefeuille est d'ailleurs très diversifié avec des clients issus du secteur industriel, de la livraison, de la grande distribution, des réseaux de crèche, etc. Concernant notre chiffre d'affaires, nos revenus annualisés (ARR) dépassent aujourd'hui les 170 millions d'euros. Nous visons la rentabilité de nos activités françaises en 2024 et au niveau global en 2025.

Comment voyez-vous Alan évoluer dans les années à venir ?

D'ici 2030, nous voulons qu'Alan devienne le partenaire santé tout-en-un des européens. Cela suppose d'avoir une présence dans de nombreux pays et peut-être même hors d'Europe. A cet horizon, nous espérons toucher 20-25 millions d'européens. Nous souhaitons devenir un partenaire pour toutes les questions liées à la santé physique et mentale mais aussi de toute la famille au sens large. Cela pourrait inclure des services en lien avec l'éducation familiale, la fertilité, ou encore la gestion de certaines maladies chroniques. En clair, faire d'Alan un partenaire complet et international. Nous avons aussi lancé récemment une plateforme "Alan as a service" qui permet aux petites et moyennes mutuelles de donner accès à nos applications à leurs adhérents. Nous pensons qu'il s'agit d'un levier de croissance intéressant pour nous développer sur certains segments.

Une entrée en bourse est-elle à l'étude ?

Non, pas pour le moment. Il nous reste encore beaucoup de choses à bâtir. D'ici 2030, Alan se sera sûrement introduit en bourse afin de donner de la liquidité à nos parties-prenantes mais ce n'est pas un objectif en tant que tel pour nous. Il s'agit juste d'une étape.

Jean-Charles Samuelian-Werve est le cofondateur et CEO d'Alan. L'entreprise a levé plus de 300 millions d'euros depuis sa création en 2016 auprès d'investisseurs tels que Coatue, Index Ventures, et Temasek. Jean-Charles est l'auteur de " Healthy Business " (Storylab, 2020), sur la culture d'entreprise. Avant cela, il avait créé Expliseat. Il est diplômé d'un MSc en Engineering de l'Ecole des Ponts Paristech et d'un MBA du Collège des Ingénieurs.