Achats en bitcoins : tout le monde en parle, personne ne paie
En mai 2022, Balenciaga s'est offert un buzz mondial à peu de frais. En annonçant qu'elle accepte les paiements en bitcoins et en ethereums dans quelques-uns de ses magasins aux Etats-Unis, la marque de luxe française a généré des dizaines d'articles dans la presse internationale. Une belle opération que la maison de mode n'est pas la première à réaliser, Tesla étant un exemple emblématique. Mais derrière ces annonces, qui pour certaines d'entre elles remontent à 2014, qu'en est-il de la réalité du paiement en crypto ? Pour le savoir, Le Journal du Net a contacté 12 entreprises et organismes* de divers secteurs qui ont annoncé accepter les achats en bitcoins ou autres crypto-monnaies. Les réponses furent rares (seules 6 d'entre elles ont bien voulu nous donner des informations parcellaires) et témoignent du manque de succès de ce mode de paiement. Mais est-ce une surprise ?
Vêtements
Les sites de vente de vêtements en ligne sont les précurseurs des marques de luxe. En 2014, alors qu'il compte 16,2 millions de membres, Showroomprivé annonce en septembre 2014 accepter les bitcoins pour leurs clients qui souhaitent régler leurs achats. "Même si le marché n'est pas encore mature en France, nous parions sur l'avenir", indique à l'époque Thierry Petit, co-fondateur qui a cédé ses parts depuis. Pari raté à en croire l'annonce faite par l'entreprise française en décembre 2017 : les bitcoins ne sont plus un mode de paiement disponible sur le site. Contacté par le JDN, Showroomprivé refuse de communiquer le volume de transactions effectué en bitcoin sur cette période ou quelconque donnée chiffrée à ce sujet.
High-Tech
A partir de 2014, Microsoft accepte le bitcoin comme moyen de paiement pour son App Store, le Windows Phone Store nouvellement Microsoft Store et les utilisateurs de Xbox Live, aujourd'hui Xbox. Il suffit d'avoir un portefeuille bitcoin pour déposer des fonds en crypto sur un compte Microsoft et finaliser des achats avec. Seulement deux ans plus tard, en 2016, Microsoft annonce renoncer aux bitcoins. Le JDN a cherché à connaître les raisons pour lesquelles l'entreprise a changé de stratégie. Ce à quoi elle a répondu qu'elle ne communique pas sur ces informations strictement confidentielles…
Automobile
En février 2021, Tesla investit 1,5 milliard de dollars dans le bitcoin. Dans la foulée, en mars, son fondateur, Elon Musk, annonce accepter les paiements en bitcoins via Twitter. Il précise que les bitcoins seront conservés sous leur forme de crypto-monnaie et non convertis en monnaie fiduciaire. Il tweete aussi que la fonction paiement par bitcoin sera disponible d'ici la fin de l'année en dehors des Etats-Unis. Retournement de situation : mi-juin 2021, le patron de Tesla défraye la chronique en suspendant les paiements en bitcoin, en cause une utilisation déraisonnée d'énergie lors du minage. Pourtant le vendeur de véhicules électriques n'abandonne pas pour autant l'usage de crypto-monnaie comme option de paiement. Les produits dérivés de la marque ne peuvent être achetés qu'en dogecoin, une crypto-monnaie fortement appréciée par Elon Musk. Vous pouvez désormais acheter une carafe de 750 ml en forme d'éclair contre 2450 dogecoins, soit 161,7 dollars.
Tourisme
Via un partenariat avec Coinbase, une plateforme d'échange de crypto-monnaies, l'agence de voyage Expedia propose à ses clients de régler en bitcoins à partir de 2014. En mai 2018, le site de réservation de vacances cesse d'accepter ce moyen de paiement. L'intérêt que porte le groupe Expedia pour les crypto-monnaies ne s'arrête pas là pour autant. En juillet 2020, Travala.com, une agence de voyage qui autorise les paiements dans pas moins de 30 crypto-monnaies différentes, parmi elle le bitcoin, l'ethereum et le binance coin, et Expedia Partner Solutions, une filiale du groupe Expedia, nouent un partenariat. En intégrant l'interface de programmation d'application d'Expedia nommée Rapid, Travala.com ajoute 700 000 hôtels et hébergements d'Expedia à son catalogue et permet à ses clients de les réserver en payant en crypto-actifs.
Associatif
En 2019, l'Unicef lance CryptoFund, un fonds qui lui permet de recevoir, détenir et décaisser du bitcoin et de l'ethereum. Les fonds libellés en crypto-monnaies sont investis dans des entreprises qui développent des logiciels et solutions pour répondre à des défis auxquels sont confrontés les enfants et les jeunes à travers le monde. L'Unicef, de par son statut d'association humanitaire, est le seul organisme contacté par le JDN qui transmet des informations précises sur les transferts crypto. Depuis le lancement du fonds, 20,12 bitcoins, environ 440 185 dollars et 2 095,25 ethereum, soit 3,237 millions de dollars, ont été investis : 73,2 ethereum dans Rentadrone, entreprise chilienne d'analyse d'images pour de l'agriculture de précision ou encore 1,27 bitcoins dans l'application nigérienne Afrilearn qui rend accessible un apprentissage basé sur les programmes d'études ouest-africains.
Cartes de crédit
Il existe des cartes de crédit crypto qui permettent de régler des achats du quotidien sans que l'entreprise vendeuse n'adopte un moyen de paiement crypto. La plateforme d'exchange s'occupe de convertir les crypto-monnaies du portefeuille de l'utilisateur afin d'effectuer le paiement dans la devise correspondante. En échange sont prélevés des frais de retrait. Payer avec cette carte permet aussi de dégager des cashbacks pouvant aller jusqu'à 4% sur Coinbase ou 8% sur Binance et même 100% sur Crypto.com pour des abonnements Spotify et Netflix. Mastercard a annoncé mi-juin 2022 la sortie d'une carte de crédit basée sur des garanties cryptographiques en partenariat avec Nexo, plateforme d'échanges de crypto-monnaies. Elle est acceptée dans tous les points de vente qui acceptent Mastercard. Sans même que les vendeurs s'en aperçoivent, certains paiements utilisent la technologie blockchain.
Echec des cas d'usage
Les entreprises les adoptent puis les délaissent. "En 2014-2016, il n'y avait pas de normes comptables ni de règles fiscales pour réguler les actifs numériques" indique Romain Saguy, chief revenue officer chez Coinhouse, plateforme d'échanges de crypto-monnaies. Depuis des législations pour les encadrer ont été adoptées. Avant le lightning network, le nombre de transactions en bitcoin était limité rendant impossible son usage comme moyen de paiement. Cette nouvelle couche au réseau a permis l'augmentation de 400% du nombre de transactions en bitcoin depuis 2021. Reste "qu'en France, le paiement sur le marché domestique en crypto-monnaies n'a pas d'intérêt, il vaut mieux suivre une logique d'investissement que de paiement", observe Romain Saguy.
*Air Baltic, Domino's Pizza, Expedia, La Croix rouge, Lamborghini, McDonald's, McLaren, Microsoft, Showroomprivé, Starbucks, Tesla, Unicef