Eric Caen (Crédit Agricole) "Crédit Agricole ambitionne de passer à 15% de ventes en total self-care d'ici 2025, contre 5% aujourd'hui"

Vingt milliards d'euros, tel est le budget consacré au développement digital du Crédit Agricole sur les trois prochaines années. Eric Caen, chief digital officer du groupe, nous parle bilan et perspectives.

Eric Caen, chief digital officer chez Crédit Agricole. © Crédit Agricole

JDN. L'agence D-Rating a attribué un triple B au Crédit Agricole pour sa performance digitale, une bonne note pour une structure qui n'est pourtant pas nativement digitale. A quoi le devez vous ?

Eric Caen. Il faut rester à l'écoute des clients. Beaucoup d'entre eux réclament d'avantage d'autonomie, ce qui nous demande d'être irréprochables au niveau du self care. Nos clients ne vont pas nous comparer avec les autres banques, mais avec les applications qu'ils utilisent tous les jours comme Google Maps, Waze, Netflix ou Uber Eats. Si ces univers offrent une expérience fluide et que la banque n'en est pas capable, les clients ne comprennent pas. On regarde aussi ce que font les néobanques qui n'ont pas de réseau. Cela revient certes moins cher pour les clients mais en cas de problème il n'y a bien souvent personne pour y répondre et résoudre des cas compliqués. De notre côté, nous devons encore améliorer notre parcours client. Tout le monde a pris l'habitude de faire des mises à jour de ses apps car cela permet d'accéder à de nouveaux produits et options, les banques et les assurances doivent s'appuyer sur ça.

La personnalisation du parcours client est un levier d'innovation fort pour les néobanques. Qu'en est-il pour vous ?

Cela fait partie de nos ambitions inscrites dans notre Plan Moyen Terme 2025. Nous souhaitons aller vers une customisation poussée mais nous avons encore beaucoup de travail à faire à ce niveau. L'expérience est la même selon qu'on soit une retraitée, un jeune parent ou un étudiant. L'enjeu va être de personnaliser cela grâce à la donnée.

Comment se déroule la mise en place d'un nouveau produit ?

Cela dépend des projets. Certains font l'unanimité et ne rencontrent pas forcément de concurrence, d'autre sont plus complexes et nécessitent de montrer par l'exemple qu'il est utile et efficace. Nous sommes un groupe très décentralisé, il y a donc beaucoup de décideurs.

Quel bilan dressez-vous de votre Data lab ouvert en 2019 ?

Nous travaillons beaucoup sur la personnalisation des parcours et des offres en fonction de la situation de chaque client. Ce qui est sûr, c'est qu'on a encore beaucoup de travail. La réglementation fait notamment partie de nos problématiques. Nous avons la chance d'être dans un pays où la data est extrêmement protégée,. De ce point de vue, nous ne pouvons rien faire qui soit en dehors des clous du RGPD. C'est l'une des raisons qui expliquent que l'innovation mette du temps à aboutir. Une autre explication réside dans la circulation des données entre nos différentes entités, à savoir qu'il faut s'assurer que nos échanges de data respectent les vœux des clients et c'est très compliqué. Dans le cas d'un nouveau partenariat par exemple, on doit s'assurer que nos clients sont d'accord pour bénéficier d'une nouvelle offre. Il y a trois ans, un projet sur deux ne passait pas, contre un sur vingt aujourd'hui. Il y a beaucoup de mieux mais encore beaucoup à faire.

La vente de produit en self care sur applications est l'un des segments sur lesquels nous avons le plus de progrès à faire. Nous avons d'ailleurs pour ambition de passer à 15% de ventes en total self-care d'ici 2025, contre 5% aujourd'hui. C'est un projet qui s'appuie sur un budget de 20 milliards d'euros consacré à l'IT et au digital. La data doit nous permettre de pousser les bonnes offres au bon moment. Un client sur le point de partir en vacances pourrait se voir proposer une assurance tourisme en quelques clics, c'est quelque chose que l'on ne sait pas encore faire.

"En un peu moins de cinq ans, La Fabrique a créé une dizaine de start-up"

L'intelligence artificielle fait-elle partie de vos outils d'innovation ?

Nous avons une équipe interne qui développe des modèles d'intelligence artificielle basés sur des réseaux neuronaux avec des datas scientist et des docteurs en IA. Cela va nous permettre de savoir quelle offre pousser à telle personne. Sur ce point également nous avons encore beaucoup à faire. En revanche nous testons un module d'aide à la réponse d'emails dans une dizaine de caisses régionales. Cela permet de répondre plus rapidement aux 70 millions de mails que nous recevons chaque année. Il ne s'agit pas de réponses automatiques mais de machine learning qui permet de créer un modèle pouvant répondre à 80% des emails et qui est proposé à nos conseillers qui n'ont plus qu'à l'envoyer. Nous avons vocation à devenir de plus en plus une entreprise tech.

Le Crédit Agricole a récemment lancé des produits tels que le Up2pay ou le crédit instantané. Jusqu'où avez-vous l'ambition de pousser ce genre d'offres ?

La meilleure manière d'accompagner nos clients, riches ou non, c'est de tester des offres autour du paiement, du crédit, de l'assurance, de l'automobile ou encore de la transition énergétique. Nous souhaitons notamment aider des sociétés productrices d'hydrogène, qui stockent de l'énergie sans utiliser de batteries. L'avènement d'une automobile pas chère avec du leasing à moindre frais est également dans nos plans. Dans le domaine de la santé nous avons lancé une carte à destination des aidants afin qu'ils puissent aller faire les courses de personnes qui ne peuvent plus se déplacer. Nous avons l'intention d'aider nos clients dans toutes les phases de leur vie.

Et où en est votre start-up studio ?

En un peu moins de cinq ans, La Fabrique a créé une dizaine de start-up. La banque des entrepreneurs Blank fait partie des projets qui ont émergé. L'avantage de ces créations d'entreprise ad hoc est de contourner le poids de l'histoire de notre tuyauterie informatique. La meilleure manière pour aller plus vite, c'est de créer en parallèle. Un autre exemple est celui de la plateforme Sline, qui permet aux marchands louer au lieu de vendre.

Comment vous positionnez vous vis-à-vis des néobanques ?

On doit se mettre à leur niveau sur l'ensemble des développements digitaux, autant sur les parcours que sur le design, nos interfaces ou le KYC. Si on y arrive, alors il ne restera plus rien aux néobanques. Notre groupe peut quant à lui s'appuyer sur un réseau solide qui conserve l'aspect humain des relations. C'est une réflexion schizophrénique dans la mesure où nous voulons augmenter l'autonomie de nos clients à travers des parcours simplifiés et renforcer notre réseau d'agence dans le même temps. Hors de question de devenir une néobanque. Certains de nos clients ne se servent pas d'application et nous devons les accompagner aussi bien que les jeunes qui souhaitent réaliser toutes leurs opérations sur smartphones.