Digitalisation du BTP : l'enjeu du dernier kilomètre

Aujourd'hui, malgré une croissance annuelle en hausse, le secteur du BTP reste très peu digitalisé. Comment expliquer ce retard, dans un monde de plus en plus numérique ? C'est tout l'enjeu du "dernier kilomètre" qu'il reste à parcourir pour les entreprises du secteur.

Le BTP apparaît comme le secteur le moins digitalisé et l’un des moins productifs d’un point de vue économique malgré une croissance annuelle de 2,3 % (1). Ainsi, la croissance de la productivité du travail dans la construction s’élève à 1% par an (2), soit trois fois moins que dans le secteur manufacturier (3,6%) ou que l’économie mondiale (2,8%). Un manque à gagner qui, au niveau planétaire, représente près d’1,6 trillion de dollars. Alors pourquoi un tel retard ? Par manque de digitalisation ? Non, car le BTP a bel et bien pris le virage de la transformation numérique. Ce qui lui manque, c’est la capacité à adresser les processus numériquement de bout en bout. Les derniers "mètres" difficiles à franchir mais qui, du point de vue de la productivité, font toute la différence et que la récente crise de la Covid-19 a mis en lumière.

Les entreprises de la construction sont constamment "sous pression" : malgré 140 milliards d´euros de travaux réalisés en 2018 en France (3) –, leurs marges sont de plus en plus faibles voire même parfois négatives (4). Comment expliquer alors de telles difficultés économiques à l’heure des nouvelles technologies – telles que le Building Information Modeling (BIM), les solutions de géolocalisation, d'implantation et de récolement des réseaux, de levé topographique, etc. – et des chantiers connectés ? Parce que la seule dématérialisation des documents ne peut suffire si l’ensemble des tâches n’est pas numérisé de bout en bout. Sans compter que la digitalisation augmente la résilience d’un secteur comme le BTP, qui s’est vu fortement impacté par la Covid-19 tandis que les acteurs du numériques tiraient leur épingle du jeu.

Combler les derniers mètres

En effet, à quoi bon réaliser des maquettes numériques si, sur le chantier, elles nécessitent une impression papier ? C’est pourtant ainsi que travaillent aujourd’hui encore nombre de maîtres d’ouvrage. Dans les faits, seule la moitié d’entre eux a mis en place une gestion de projet digitalisée (5). En conséquence, le processus est souvent rematérialisé en bout de chaîne alors même que les étapes en amont étaient, elles, digitalisées ! On peut donc affirmer que, si aujourd’hui, le BTP ne bénéficie pas des gains de productivités tant espérés, l’incomplétude de ses flux dématérialisés en est la raison.

Face à ce constat, le secteur du bâtiment doit attaquer le second niveau de sa transformation et finaliser sa digitalisation en réinventant ses processus de travail, afin d’éliminer la rematérialisation inutile (type impression) ou même le transfert de documents intermédiaires avec des problématiques de formats pour profiter pleinement des atouts, avérés, du numérique.

Faire face aux crises comme la Covid-19

La crise sanitaire qui a touché la France de plein fouet ces derniers mois nous a montré l’importance de recourir au digital. L’épidémie a bousculé notre quotidien et a forcé bon nombre d’entreprises à faire appel au télétravail et à des outils digitaux déjà présents mais encore peu exploités. De très nombreuses TPE et PME se sont ainsi retrouvées désarmées pendant le confinement. Pour exemple, 80% des entreprises du BTP étaient en arrêt total et moins de 10% ont pu maintenir plus de 25% leur activité (source FNTP). Bien que ces arrêts soient en partie liés aux difficultés de respecter les mesures de sécurité, le manque de culture et de compétences numériques, les disparités territoriales, le manque d’investissements financiers dans le domaine des NTIC sont autant d’obstacles à l’instauration d’une ère 100% digitale dans le secteur. Malgré tout, l’intérêt de la digitalisation est déjà bien entrevu par de nombreux acteurs de l’écosystème, qui doivent amorcer au plus vite la transition pour ne pas perdre en productivité, crise sanitaire ou non. Pour cela, la Covid-19 aura certainement participé à une accélération de la prise de conscience.

Amorcer le "cycle du hype" de la construction

Et il y a urgence. En 2050, selon l’ONU, la population mondiale atteindra 9,8 milliards d’habitants, et le BTP doit faire face à une demande toujours croissante d’infrastructures et de bâtiments tout en devant muter aussi vers une construction plus durable et vertueuse. Notre écosystème doit donc accélérer sa transition s’il ne veut pas perdre en compétitivité ou en capacité à mieux construire. A titre d’exemple, on constate un essoufflement de la part des entreprises européennes qui font partie des cent premières entreprises mondiales de la construction (23% en 2017 contre 44 % en 2010(6)). A l’image du "Hype Cycle" de Gartner, le BTP doit lui aussi poursuivre son avancée sur la courbe de digitalisation en plusieurs étapes entre le moment où une nouvelle technologie arrive sur le marché et celui où elle atteint le "plateau de productivité" (7).

En effet, les technologies existent et sont déjà, pour la plupart, accessibles : intelligence artificielle et machine learning, réalité augmentée, IoT, robotique, drones, imprimantes 3D… Le digital ouvre le champ des possibles, mais pour une efficacité optimale, il implique une mise en oeuvre sans rupture tout au long de la chaîne de processus. La digitalisation permettrait alors au secteur du BTP de contribuer à hauteur de 14,5% du PIB mondial en 2030 (contre 12,4% en 2014), ce qui en ferait inévitablement un des secteurs clés de l’économie mondiale(8).

Des gains économiques certes, mais pas seulement. Une digitalisation complète réduirait l’utilisation des ressources et simplifierait leur gestion. Une synergie se créerait donc entre l’écologie et le digital ce qui permettrait de dégager encore plus de profit. Le BTP serait-il en route vers une digitalisation économiquement responsable, et celle-ci pourrait-elle accélérée par la prise de conscience de cette impérieuse nécessité lors de la crise que nous avons connue ? 

(1) Fédération Française du Bâtiment, décembre 2018 – https://www.ffbatiment.fr/federation-francaise-du-batiment/laffb/actualites/bilan-2018-et-previsions-2019.html

(2) Selon une étude McKinsey, 2017 – Reinventing construction through a productivity revolution

(3) Fédération Française du Bâtiment, 2018 – https://www.ffbatiment.fr/federation-francaise-du-batiment/le-batiment-et-vous/en_chiffres/les-chiffres-en-france.html

(4) Selon l’étude Deloitte, 2018 – European Construction Monitor 2017–2018: A looming new construction crisis?

(5) Étude du cabinet Oliver Wyman, La digitalisation du secteur de la construction : la révolution est en marche, 2018 – https://www.oliverwyman.fr/nos-publications.html

(6) Selon le classement Top 100 Global ConstractorsIn for 2017 – https://www.enr.com/toplists/2017-Top-250-Global-Contractors-1

(7) Méthodologie Hype Cycle, Gartner – https://www.gartner.com/en/research/methodologies/gartner-hype-cycle

(8) Selon l’étude Global construction project owner’s survey 2015 réalisée par KPMG, 2015 – https://assets.kpmg/content/dam/kpmg/pdf/2015/04/global-construction-survey-2015.pdf