Patrice Caine (Thales) "Le domaine militaire est moteur en termes de performance"

PDG du groupe Thales depuis dix ans, Patrice Caine est à la tête du premier déposant de brevets dans l'intelligence artificielle de confiance des systèmes critiques en Europe.

JDN. L'IA est-elle désormais incontournable chez Thales ? 

Patrice Caine est PDG du groupe Thales. © Gilles ROLLE/REA

Patrice Caine. Totalement et cela fait plus d'une décennie que Thales est un acteur majeur de l'IA de confiance, c'est-à-dire une IA non biaisée, transparente, cybersécurisée, compréhensible et qui sera, un jour, certifiable. En 2024, Thales continue d'investir dans son avenir, en poursuivant ses investissements en R&D : plus de quatre milliards d'euros dont un milliard auto-financé. Nous y travaillons avec des partenaires industriels, des start-up, des universitaires ou en propre. Notre unité Friendly Hacking est composée d'une équipe mixte d'experts en IA et en cybersécurité, à qui le groupe met à disposition une capacité, inédite dans l'industrie, pour passer les solutions à base d'IA au crash-test de la cyber.

La puissance de feu de Thales est énorme et nous permet de renforcer considérablement la cybersécurité de nos produits mettant en œuvre l'IA. Pour accélérer la sortie de l'IA des laboratoires, nous venons de lancer l'accélérateur de Thales dans l'IA.

Cette stratégie IA a-t-elle été mise en avant lors d'Eurosatory, le salon mondial terrestre et aérien de la défense et de la sécurité ?

Nous avons décidé de mettre l'accent sur la place de l'IA en montrant tous les produits qui l'intègrent déjà. Ils bénéficient des nouveaux usages du monde civil comme l'assistant personnel ou le "débruitage" pour les communications radios. Désormais, vous avez de l'IA dans les systèmes optroniques, permettant d'automatiser la reconnaissance de cibles d'intérêt, ou encore dans des radars. Depuis une dizaine d'années, nous "dopons" nos produits à l'intelligence artificielle. Elle est incontournable car elle augmente l'efficacité de ce que l'on propose. C'est devenu un système d'aide à des décisions à la fois meilleures et plus rapides. Pour le militaire par exemple, l'IA facilite la coordination des systèmes multi-drones et multi-robots. Elle allège considérablement la charge de l'opérateur.

Thales travaille aussi sur le quantique…

Ce n'est pas pour tout de suite, mais les choses avancent bien, notamment dans deux domaines sur lesquels le groupe est positionné : les capteurs quantiques et les communications quantiques. Le calcul quantique, le troisième grand domaine, est plutôt celui des acteurs qui travaillent traditionnellement dans les calculateurs ou les start-ups. Nous l'utilisons mais ne sommes pas "en charge de".

Pour les capteurs quantiques, on utilise ce que j'appelle les "bizarreries" de la physique quantique pour améliorer d'un facteur 1 000 nos capteurs, radars et sonars. C'est absolument considérable, nous changeons d'échelle. Nous avons plus d'une centaine de chercheurs qui travaillent sur ces technologies.

Et pour quand est l'utilisation concrète du quantique ?

Il faut encore quelques années mais les démonstrations existent déjà dans les laboratoires de Palaiseau. Nous sommes plutôt en train de nous poser la question suivante : comment passer de prototypes de laboratoires à des objets industriels ? Ce qui n'est pas une mince affaire.

"Dans nos métiers critiques, l'IA aide l'humain qui reste en contrôle de la décision finale"

Il nous faut également proposer des solutions pertinentes aux besoins futurs de nos clients. Prenons l'exemple d'une centrale inertielle. Grâce au quantique,  les centrales inertielles pourront être mille fois plus performantes que celles en service actuellement. Quel pourra être l'usage de cette performance décuplée ? Ce pourrait être un sous-marin nucléaire qui a besoin d'une centrale inertielle pour éviter de refaire surface régulièrement… Le domaine militaire est moteur en termes de performance : ce sont les applications militaires qui vont tirer ces performances qui seront accrues grâce aux technologies quantiques.

L'IA et le quantique sont ce que vous appelez les "technologies habilitantes". C'est-à-dire ?

Oui, il y a aussi la cyber. Ce ne sont pas des marchés en soi mais elles rendent possibles, d'où le mot "habilitantes". Il fallait compter plusieurs heures voire plusieurs jours pour préparer une mission, ou planifier des systèmes. Parce que la combinaison est complexe entre des éléments de météo, des éléments géographiques, la localisation des positions ennemies, les types de manœuvre possibles… La "combinatoire" est extrême. Pour balayer l'ensemble des possibles, on va gagner un temps considérable avec l'IA. On va passer à quelques minutes pour optimiser, pour proposer au chef militaire la meilleure manœuvre possible, en tout cas telle que vue par la machine. Car dans nos métiers critiques, l'IA aide "l'humain" (le chef militaire, l'opérateur, etc.) qui reste en contrôle de la décision finale.