Comment les industriels du fromage poussent à la consommation

Par Céline Deluzarche

Le fromage en tranches conquiert le sandwich

Autrefois réservé à l'emmental pour croque-monsieurs, le fromage en tranches a depuis conquis tous les sandwichs, froids ou chauds.

"Outre le nombre de repas pris hors foyers qui augmente, les gens se font aussi de plus en plus des sandwichs chez eux" explique Hervé Béthoux. Bongrain a d'ailleurs astucieusement axé sa campagne de pub pour ses tranches sandwich sur le slogan "Devenez un artiste du sandwich". Et pour donner de l'imagination aux créateurs, pratiquement toutes les marques ont été déclinées sous forme de tranches : Fol épi, Bresse Bleu, Chavroux, Cœur de Lion.

Chez Frico (fabricant pour la grande distribution), les tranchettes représentent près de 30% du chiffre d'affaire. Et les tranches fondantes de Port Salut (Bel) ont été nommées Saveur de l'année 2008.


Si la recette reste identique, les tranches exigent un gros travail de mise au point. "Les tranches sont calibrées pour tenir dans une baguette, ce qui exige une meule de forme spéciale" témoigne Hervé Béthoux. Le packaging lui-même est longuement réfléchi, avec un opercule fraîcheur pour une utilisation en plusieurs fois, et des slivers entre les tranches.

Objectif: proposer des innovations en permanence

Si l'on retrouve certains fromages déclinés sous de multiples formats (tranches, dés apéritif, crèmes à cuisiner...), peu - ou pas du tout - de nouvelles marques voient le jour chaque année. "Aujourd'hui, il est impossible de créer une nouvelle marque, confirme Hervé Béthoux, directeur de Bongrain, fabricant de Caprice des dieux et Chavroux. Le ticket d'entrée [moyens promotionnels nécessaires, ndlr] est trop élevé".

Les industriels préfèrent donc miser sur des "innovations" (nouveau packaging, déclinaisons...), qui permettent d'augmenter significativement leurs marges à moindres frais. Résultat, en 2007, pas moins de 90 nouveautés sous les différentes marques ont ainsi vu le jour, et ont contribué à 37% de la croissance du rayon fromages. En 2008, le groupe Bel compte ainsi lancer 16 nouveaux fromages "qui s'inscrivent dans des usages modernes".

Tous les ans, 470.000 nouveaux foyers se mettent à la crème de fromage

Les crèmes à tartiner connaissent une belle croissance depuis plusieurs années : +3% par an en moyenne. Le précurseur du marché, la crème de Saint-Agur, a été rattrapée par d'innombrables concurrents : Boursin cuisine, Pot de Vache qui rit au poivre ou au bleu, Crème de Chamois d'Or ou de Saint Albray.

Ce succès s'explique par trois gros avantages. D'abord, la crème se prête à de multiples utilisations : à chaud pour les plats cuisinés, à froid sur du pain, ou à chaud sur une tartine passée au four. De plus, elle se prête aux déclinaisons les plus insolites et à une consommation nomade.

Du coup, cette catégorie convainc non seulement les adeptes du fromage classique, mais recrute aussi de nouveaux consommateurs : 470.000 nouveaux foyers en un an.

Après le succès de son Boursin cuisine, lancé en 2003, Bel va lancer cette année 3 nouveaux pots de Vache qui rit, et deux nouvelles variétés de Boursin. Avec des saveurs de plus en plus osées, comme le Boursin aux Tomates séchées et herbes méditerranéennes, ou à la figue et aux noix.

Les plats à base de fromage répondent à une demande de convivialité

On ne prétendra pas que la raclette ou la fondue sont des inventions révolutionnaires. Mais leur consommation était jusqu'alors réservée aux repas de montagne, ou à des occasions particulières.

Aujourd'hui, elle s'est largement développée, aidée par l'apparition de nouveaux appareils (mini fours à raclette, fondues électriques individuelles, etc).

"Ces repas fromage correspondent exactement à la tendance de convivialité", explique Hervé Béthoux. Il n'en fallait pas moins pour que les industriels se précipitent sur le créneau. Riches Monts présente ainsi des tranches de raclette en 3 variétés (nature, lait entier, 3 poivres), tandis qu'Entremont propose du fromage prétranché pour Tartiflette. Avec son mélange de fromages pour fondue, Président évite une préparation longue et compliquée et permet une consommation individuelle.


Reste les fromages chauds panés, encore peu développés en France. Bongrain commercialise pourtant ses "menus fromage" depuis plusieurs années, avec un succès moyen. Mais alors que le camembert pané est un carton en Allemagne, Président n'a toujours pas réussi à convaincre les consommateurs français.

Des goûters axés sur la cible des enfants

Les enfants sont une cible privilégiée pour les industriels du fromage. Alors que les bambins sont peu amateurs de fromage au goût trop prononcé, ils sont en revanche particulièrement sensibles aux innovations marketing. Sans compter les mamans qui "veulent faire manger du calcium à leurs enfants".

Il n'y a qu'à voir le succès de Babybel avec son fromage rond sous une cire rouge, ou P'tit Louis et sa petite coque ronde. Bongrain a été particulièrement audacieux, avec Kidiboo, un fromage blanc nature monté sur un bâtonnet et à manger comme un esquimau.

Le groupe Bel a riposté avec Pik&Croq et Kiri Goûter (des portions vendues avec des gressins à tremper dans le fromage). Avec 91% de taux de notoriété pour la marque Kiri, cette dernière trouvaille s'assure naturellement la première place du marché.

Les minis Babybel ont de leur côté été déclinés au chèvre, à l'emmental, et en collections éphémères renouvelées tous les six mois.

Feta et mozzarella tirent le marché

Alors que les Français tiennent jalousement à leurs fromages nationaux, ce sont des fromages grecs et italiens qui monopolisent les salades. D'un côté, la feta pour les salades vertes, et de l'autre la mozzarella pour accompagner les tomates. Ou, du moins, des fromages qui y ressemblent car la Feta est une appellation d'origine contrôlée qui ne peut être utilisée par des fromages fabriqués en France.

Car c'est un groupe français, Lactalis, qui possède les deux marques leaders : Salakis et Galbani détiennent plus de 50% de parts de marché chacune. Mais le segment est depuis quelque temps bousculé par de nouveaux arrivants, comme Boursin. La gamme Boursin salade et sa dernière variété au Basilic & ciboulette a contribué à 70% de la croissance du segment des dés pour salades en 2007.


Pour ne pas perdre de terrain face aux concurrents, Lactalis a dû là encore innover. Il a décliné ses cubes de fromage en portions plus petites, aromatisées (citron, fines herbes), ou marinées à l'huile d'olive. Seul bémol : ce segment est particulièrement sensible à la météo. "L'an dernier, avec l'été très maussade, les ventes ont chuté" reconnait Luc Morelon.

Le jackpot des fromages apéritifs

Qui ne connaît pas encore les Apéricubes, les petits cubes du groupe Bel lancés en 1960. Ils sont largement leaders sur le marché de l'apéritif, et leur succès ne semble pas devoir s'arrêter : les ventes ont explosé de 42% entre 1997 et 2007.


Face à ce coup de génie marketing, le groupe Bongrain a répliqué avec ses Apérivrais, des bouchées nature aromatisées. "Du fromage frais, à la différence des Apéricubes", fait valoir Hervé Béthoux. Mais le groupe s'inspire fortement des recettes marketing de son concurrent. Les gammes thématiques sont ainsi constamment renouvelées (à la grecque, à l'andalouse, à l'orientale...)


L'an dernier, Frico, qui consacre l'essentiel de sa production aux marques de distributeurs, a proposé des coupelles apéritives de mimolette et de gouda en barquette. La plupart des grandes enseignes ont tout de suite répondu favorablement. Vendues 2,50 euros, "elles revalorisent l'image du fromage hollandais" selon la directrice marketing du fabricant. Plus de 1,5 millions de tonnes ont été vendues depuis leur lancement.

Le fromage râpé continue de croître chaque année

Le fromage râpé a été la première grande révolution au rayon fromage. Apparu il y a une quinzaine d'années, il connaît une croissance modérée mais continue de 3% par an environ. La bonne vieille râpe à fromage tend donc à disparaître des tiroirs au profit de sachets de pré-râpé.

Mais ce segment est particulièrement difficile pour les nouveaux entrants. D'abord, car les Français réclament principalement de l'emmental, et sont très réticents à des goûts différents. Frico, spécialiste des fromages hollandais, a carrément jeté l'éponge. Lactalis, qui détient la majorité du marché avec sa marque Président, reconnaît avoir essayé d'autres fromages, mais avec des résultats peu probants. "Aucun autre fromage ne fond aussi bien que l'emmental", acte Luc Morelon, le directeur de la communication.

Deuxième problème : les prix largement tirés vers le bas par les marques de distributeurs (MDD), qui représentent 80% du segment. "Le prix est le premier critère d'achat pour le fromage râpé", témoigne Karine Lecomte, de Frico. D'ailleurs Lactalis fait aussi de la sous-traitance pour les MDD. Mais se réserve la meilleure qualité (brins plus longs et avec un fondant particulier) pour Président.