Santé et intelligence artificielle en France : des progrès teintés de prudence

Entre stimulation de la recherche et nouveaux outils au service du personnel et des patients, va-t-on vers un développement du recours à l'IA dans le secteur de la santé en France?

La recherche dans les domaines de la santé, qu’elle soit pharmaceutique, pathologique ou dans le traitement des patients à l’hôpital est, presque par essence, longue. Or, en 2020, face à la crise du Covid-19 et l’urgence de trouver un vaccin pour enrayer la progression du virus, il n’aura fallu que 11 mois au lieu d’une dizaine d’années pour que des chercheurs soient en mesure de proposer une solution sérieuse, grâce notamment au supercalcul et à l’intelligence artificielle. Un épisode qui a permis de mettre en lumière les possibilités, déjà explorées ou en cours de test, d’emploi de l’intelligence artificielle pour aider la recherche, mais aussi les personnels de santé.

Bien que l’IA puisse parfois décevoir ou effrayer, l’espoir de découvertes de grande ampleur l’emporte. Preuve en est : au mois de janvier 2023, l’Union européenne et les Etats-Unis ont conclu le premier accord administratif du genre pour coopérer dans la constitution de grands ensembles de données et faciliter la recherche, dans le respect des législations locales pour la protection et l’anonymisation des données. Une annonce qui fait écho aux demandes des chercheurs et professionnels de santé d’une plus grande collaboration entre les instituts pour accélérer la mise au point de traitements.

Le recours à l’IA dans le domaine de la santé va-t-il alors pouvoir se répandre plus facilement ?

Technologie de la santé en France : un positionnement tourné vers l’innovation malgré certains freins

Si les levées de bouclier à l’égard de l’IA sont fréquentes en France, elles n’occultent pas le positionnement historique favorable à l’innovation de la France sur la scène internationale, qu’il s’agisse de l’automobile, l’aviation, le secteur des transports avec l’invention du TGV, l’énergie, le nucléaire… et bien entendu la santé. La recherche médicale a régulièrement été portée par des scientifiques français (vaccin contre la rage, sérum de Roux, vaccin BCG, vaccin contre l’hépatite B) cultivant un rapport étroit du pays avec les découvertes scientifiques.

Pourtant, dès les années 80, des craintes autour de l’avènement des nouvelles technologies et de l’informatique émergent. Et plus récemment, c’est l’intelligence artificielle qui cristallise l’attention. Une étude menée par l’institut Viavoice a rappelé que 48% des Français déclarent avoir peur de l’intelligence artificielle. Toutefois, ils sont dans le même temps favorables à l’émergence de nouvelles pratiques technologiques, comme les biotechnologies (50% d’avis favorables) et la télémédecine (41%), jugées plutôt utiles et inoffensives.

Le positionnement de la France reste néanmoins résolument tourné vers l’innovation. En 2020, la France se positionne comme le 5ème pays mondial le plus innovant en matière de dépôt de brevet et l’effort de recherche (part d’investissement en R&D) s’établissait en 2019 à plus de 2% du PIB. De plus, l’enseignement français est réputé dans le monde entier pour sa capacité à former les innovateurs d’aujourd’hui et de demain. Les Français sont par ailleurs impliqués dans de nombreuses innovations qui, si elles ont pu surprendre de prime abord, sont aujourd’hui essentielles pour tous, comme le téléphone.

C’est dans ce contexte, que l’intelligence artificielle se fait peu à peu une place dans le domaine de la santé. Mais quels sont les défis de ce secteur aujourd’hui ?

2023 : entreprises innovantes, recherche et pouvoirs publics au diapason

De nombreuses discussions sont en cours, à l’échelle nationale comme internationale : en France, le Ségur du numérique en santé, lancé en octobre 2022 suite à la consultation de 2020 devrait permettre la mise en place du DMP (dossier médical partagé) numérique, mais aussi de faciliter plus généralement les diagnostics et la communication entre professionnels de santé et patients.

La protection des données de santé constitue l’un des premiers enjeux à relever, par les institutions et les entreprises pour rassurer les professionnels de santé comme leurs patients. Le projet « Health Data Hub » a en partie été revu en réponse à ce souci de protection des données personnelles et de dilution de l’information. Les réglementations différenciées sur la protection des données entre les pays concernés ont permis également de répondre à ces zones de flou, en s’accordant sur une anonymisation pour les données partagées. Pour répondre à ces questions, la Commission Européenne planche actuellement sur une nouvelle mouture du RGPD ainsi que sur un encadrement de l’utilisation secondaire des données de santé.

Outre ce premier point réglementaire, l’année 2023 promet de suivre 2022, avec une forte montée des jeunes pousses de la MedTech, à l’instar de Qubit Pharmaceuticals, startup française spécialisée dans la simulation et la modélisation moléculaire grâce à l’utilisation de la physique quantique, ou Orwin, la licorne franco-américaine spécialiste de la recherche en oncologie. Les grandes institutions et grands noms de la santé se lancent aussi progressivement : Johnson & Johnson avait ainsi présenté sa stratégie d’innovation et R&D en fin d’année dernière. La situation semble par ailleurs se débloquer du côté des grands centres de recherche nationaux comme Gustave Roussy. Et ce grâce à une collaboration entre acteurs nouveaux et traditionnels de la santé, dont la première catégorie mise à 100% sur les nouvelles technologies.

Aussi, de nouvelles possibilités et surtout un plus grand nombre de projets de recherche émergent. Si le supercalcul et l’accélération de processus fastidieux comme le séquençage génomique ou le tri de données sont de plus en plus plébiscités comme des cas d’application de l’IA nécessaires dans le domaine de la santé, d’autres pistes de réflexion pour accélérer la mise sur le marché de traitements sont également ouvertes. Nous désignons ici les technologies de jumeaux numériques, qui s’ils sont bien connus désormais de l’industrie automobile pour une modélisation et une simulation en temps et conditions réelles des usines ou de modèles de véhicules, pourraient servir les chercheurs via des tests de réaction du système virtuels.

Et demain : un horizon technologique qui se précise

Des changements de perception s’opèrent progressivement pour laisser plus de place aux expérimentations technologiques, notamment soutenus par la volonté gouvernementale de favoriser l’innovation à la française depuis 2017 avec le projet « Ma Santé 2022 ». Le plan France 2030 dévoilé à la fin 2022 comporte un volet dédié à la santé duquel ressortent quatre grands objectifs dont ceux de « soutenir l’excellence et faire de la France un leader en matière de produits de santé très innovants » et « permettre aux médicaments et dispositifs médicaux (y compris numériques) qui font la preuve de leur efficacité d’être plus rapidement disponibles et accessibles aux patients ». A l’échelle internationale, c’est un appel mondial à favoriser l’innovation en santé, de la part de la communauté scientifique comme de ses plus hautes instances, à l’instar de l’OMS, qui illustre cette volonté de progrès.

De même, en conséquence de l’accélération de la recherche et des innovations suite à la pandémie, les Français sont plus ouverts aux téléconsultations (30% seraient prêts à davantage y avoir recours) et ils sont confiants dans la recherche médicale à 82% (étude menée par la Fondation de l’Avenir).

Pour aller plus loin, il est intéressant de constater que de nombreux terrains de recherche sont en cours au niveau national : traitements contre le diabète, détection avancée de Parkinson et Alzheimer, utilisant l’IA pour accélérer ou simuler des réactions. Dans la même veine, on observe une augmentation de la création de laboratoires ou de groupes de recherche dans le domaine public, soutenus par le plan France 2030 évoqué plus haut.

Qu’il s’agisse de stimuler la recherche autour de maladies mal connues, de régler les difficultés de recrutement, ou résoudre la problématique des formations longues, et des déserts médicaux… l’intelligence artificielle pourrait sans doute apporter quelques bénéfices, si ce n’est un bout de solution, à condition de comprendre les technologies sous-jacentes et d’en faire un usage pertinent et utile pour les professionnels du secteur.