Tan Kok Yam (Singapour) "Singapour a investi 2,8 milliards de dollars dans les technologies de l'information cette année"

Urban planning, transports autonomes, e-santé, open data… Le directeur du Smart Nation Programme Office de Singapour dévoile ses priorités pour la ville intelligente.

Tan Kok Yam est directeur du Smart Nation Programme Office au cabinet du Premier ministre de Singapour. © Smart Nation Programme Office

JDN. Vous êtes en tête du palmarès "Global Smart City 2016" de Juniper Research. Deux ans après le lancement du projet Smart Nation Singapore, quelle est la technologie fondamentale de votre programme ?

Tan Kok Yam. La technologie peut être quelque chose de très éphémère et nous pouvons vite être dépassés. C'est pourquoi nous croyons en des solutions inclusives, qui sollicitent les citoyens et tout l'écosystème local. Nous misons notamment beaucoup sur l'urban planning grâce aux Geographic Information Systems (GIS), qui permettent de modéliser et de simuler toutes les actions que l'on fait dans la ville avant de les mettre en œuvre pour en prévoir les conséquences sur une carte dynamique en 3D.

Nous construisons sur ce modèle Virtual Singapore avec Dassault Systems, que nous utilisons déjà et qui sera totalement opérationnel en 2018. Ce modèle réaliste et intégré en 3 dimensions de la cité permet par exemple de prévoir l'impact des tempêtes et de réduire les inondations ou de baisser le chauffage dans les bâtiments. Les API de Virtual Singapore seront à termes ouvertes aux acteurs privés et publics qui ont de bonnes idées pour la ville mais aussi à des spécialistes de la publicité qui pourront payer pour savoir où placer leurs annonces en ville pour toucher le public qu'ils visent.

"La particularité de Singapour est que le projet dépend directement du cabinet du Premier ministre"

Combien investit Singapour dans la smart city ?

Rien que cette année nous avons dépensé environ 2,8 milliards de dollars dans les technologies de l'information et de la communication. Cela comprend toutes les mises à jour logicielles du gouvernement mais une partie importante est dédiée à la smart city.

La particularité de Singapour est que le projet dépend directement du cabinet du Premier ministre. Aujourd'hui toutes les villes font de l'IoT mais à Singapour nous voulons que nos agences gouvernementales partagent leurs idées pour que ce qui fonctionne chez l'une puisse servir à une autre. Utiliser l'éclairage, par exemple, pour déployer des capteurs dans la ville réduit considérablement les coûts. Nous travaillons donc étroitement avec l'organe en charge de la gestion de l'énergie pour mener nos projets.

Quels sont vos principaux partenaires ?

Ce sont surtout les opérateurs de télécommunications nationaux, à savoir StarHub, M1 et Singtel. Ils ont un rôle important dans le développement de l'IoT. Nous n'avons pas encore décidé quels seront les meilleurs réseaux pour connecter les capteurs mais ce sera probablement un mélange de ce qui existe, entre LoRa, Sigfox ou le NB-IoT. Mais c'est un peu trop tôt pour se positionner.

Selon Juniper Research vous êtes le leader international sur la mobilité intelligente. Est-ce là une composante importante de la ville intelligente selon vous ?

C'est essentiel. Nous travaillons beaucoup sur le véhicule autonome et nous avons récemment été les premiers à ouvrir nos routes à des taxis sans chauffeur avec la start-up nuTonomy. Elle fait partie des quatre entreprises et institutions à qui nous avons réservé une boucle de 12 kilomètres pour tester leurs véhicules autonomes auprès du grand public, avec Delphi, le MIT et l'institut d'ingénierie singapourien iQR. Nous ne voulions pas les tester en laboratoire car il y a urgence : il y a très peu de place pour les voitures à Singapour et cela ne vas pas s'arranger.

"Nous avons réservé une boucle de 12 kilomètres à quatre entreprises pour qu'elles y testent leurs véhicules autonomes"

L'objectif principal est d'en faire un standard pour les transports en commun. Nous essayons aussi de développer le bus autonome car nous n'avons pas assez de conducteurs. Plusieurs sociétés font des tests mais il reste une difficulté majeure : comme les vélos en libre-service, il faut s'assurer qu'ils soient toujours au bon endroit au bon moment. Si cela se fait lentement ce n'est pas pour des questions politiques, mais technologiques. Nous avons lancé un appel à manifestation d'intérêt et je suis confiant pour que cela se concrétise rapidement.

Vous êtes aussi très actif dans l'e-santé. Pourquoi ?

Nous avons effectivement lancé en octobre 2015 HealthHub pour aider le développement de la médecine à distance. C'est une app et un portail en ligne où les citoyens peuvent suivre leur dossier médical et gérer leurs rendez-vous. Ces données sont aussi croisées de manière anonyme pour nous aider à mieux comprendre les comportements de nos habitants et adapter notre politique sanitaire en fonction.

"Nous avons distribué gratuitement des bracelets connectés aux Singapouriens volontaires pour suivre et analyser leur activité physique"

Nous avons récemment lancé un challenge national grâce auquel tous les Singapouriens, une fois inscrits, peuvent récupérer gratuitement un bracelet connecté qui enregistre leur activité physique au quotidien et qui les classe en fonction de leurs efforts. C'est ludique et cela nous permet là aussi de mieux analyser comment les pousser à bouger plus. Cela pourrait prochainement nous mener à offrir des réductions aux plus actifs, sur les abonnements aux transports en commun, par exemple. Et c'est déjà un succès : près de 150 000 habitants se sont inscrits en quelques semaines.

Singapour est l'un des pionniers de l'open data. En quoi les données ouvertes vous servent-elle à construire les fondations de la smart city ?

Ce qui compte ce n'est pas la quantité de données ouvertes mais leur qualité. Elles doivent pouvoir être traitées automatiquement, c'est-à-dire que ce ne sont pas de simples fichiers téléchargeables, mais des API ouvertes. Il suffit de s'inscrire sur notre portail pour y accéder.

Les données en temps réel des transports et sur l'environnement sont les plus demandées. Une start-up a créé une application à partir des data en temps réel sur la pollution pour permettre aux habitants de programmer leur journée. Et ne pas aller courir le matin si l'air est mauvais, par exemple. Une autre jeune pousse propose un chatbot sur Facebook Messenger qui utilise ces mêmes données. Tout cela n'existerait pas sans l'open data.