Minerva Tantoco (ex-CTO de New York) "Le retour sur investissement dans la smart city est compliqué à mesurer"

L'ex et première CTO de New York croit au crowdsourcing et aux partenariats public-privé pour faire naître la ville intelligente.

Minerva Tantoco est senior advisor chez Future Perfect Ventures et ex-CTO de New York. © Femmes en Or

JDN. La mairie de New York a créé en 2014 le poste de Chief Technology Officer (CTO), que vous occupiez depuis sa création jusqu'en septembre dernier. Pourquoi ?

Minerva Tantoco*. Je suis arrivée en septembre 2014 avec le maire tout juste élu Bill De Blasio. Son programme prévoyait la mise en place d'une stratégie coordonnée pour l'innovation. Le secteur était déjà en pleine expansion mais il fallait donner à la ville une vue d'ensemble et faire en sorte que cela bénéficie à tous les habitants.

New York était intéressée par mon expérience dans de grandes entreprises comme UBS et Palm, où j'étais respectivement CTO et Senior Product Manager. Aller chercher des profils comme le mien dans le privé est une tendance grandissante car notre expertise est essentielle pour développer un projet smart city et créer un écosystème autour. Barack Obama a aussi été le premier à créer un poste de CTO au sein du gouvernement en 2009. Nous comprenons les attentes des entreprises et il nous est plus facile de les convaincre à s'intéresser aux problématiques publiques. Je connais aussi très bien les enjeux locaux car je suis née ici et j'ai étudié dans toutes les écoles publiques de la ville.

Quelles étaient vos priorités ?

L'objectif majeur était d'encourager la participation des citoyens et de réduire la fracture numérique. Une ville ne peut pas être intelligente sans open data pour aider tous ceux qui ont de bonnes idées à participer à l'écosystème numérique local. Notre portail existait déjà mais nous avons continué de le développer. Plus de 1 500 jeux de données y sont désormais disponibles.

"Une ville ne peut pas être intelligente sans open data"

Pour encourager la participation citoyenne et donner à chacun une chance d'accéder aux emplois très bien rémunérés du secteur de la tech nous avons aussi lancé en octobre 2015 des cours de computer science dans toutes les écoles publiques. Nous avons lancé un partenariat public-privé pour former les professeurs à cette discipline, qui sera enseignée au moins pendant les 10 prochaines années. Nous avons aussi créer des programmes de jobs d'été pour faire entrer de jeunes étudiants chez des géants comme Pandora.

Quel était votre budget ?

Le budget annuel de la ville est de 82,1 milliards de dollars, dont une petite partie est consacrée à la smart city. Ce que je peux vous dire c'est que mon équipe d'une dizaine de personnes à la Mayor's Office of Technology and Innovation, dont le but était de piloter la stratégie, coûtait 2 à 3 millions de dollars par an.

Quelles ont été selon vous les initiatives les plus fructueuses ?

Tous les New-Yorkais n'ont pas accès à l'Internet haut débit et près de 22% des logements de la ville ne sont pas connectés. Les abonnements sont très chers ici. Nous avons donc lancé avec le consortium CityBridge, dont fait notamment partie la filiale du groupe de Google dédiée à la smart city Sidewalk Labs, le projet LinkNYC. 6 000 bornes Wifi publiques et gratuites sont en cours d'installation et couvriront bientôt toute la ville. Elles sont aussi équipées d'un écran tactile interactif où les passants pourront accéder à Internet ou lancer des appels d'urgence. C'est d'autant plus intéressant que cela ne coûte rien à la ville : CityBridge finance intégralement le projet grâce à la publicité. De notre côté nous avons conclu un accord sur les données personnelles qui nous permet de tout arrêter si l'on se rend compte qu'elles sont utilisées sans l'accord des utilisateurs.

"6 000 bornes Wifi publiques et gratuites sont en cours d'installation et couvriront bientôt toute la ville"

Nous avons aussi défini une ligne de conduite pour encadrer les projets IoT et aider les instances municipales à développer de nouveaux outils connectés. Le plus marquant est celui de la start-up Soofa, qui a installé dans l'un de nos parcs des bancs publics solaires qui permettent de recharger son smartphone ou sa tablette. Ils sont aussi capables de détecter les appareils connectés et donc de compter les passants et d'analyser les flux de visiteurs.

Quel retour sur investissement avez-vous observé ?

C'est beaucoup plus compliqué à mesurer qu'en entreprise mais l'essentiel pour nous a été de voir le secteur de la tech se développer fortement. Il représentait plus de 300 000 emplois en 2015 à New York. J'ai aussi été marquée par une expérimentation avec le département des Transports de feux de signalisations connectés qui restent systématiquement au vert quand un bus est à l'approche. Cela a réduit de 20% le temps de trajet en transport en commun et le projet sera rapidement étendu à toute la ville. New York vient aussi d'être nommée meilleure smart city en 2016 par le Smart City Expo World Congress de Barcelone, donc c'est plutôt bon signe.

Quelles ont été vos principales difficultés ?

Le plus difficile était de convaincre les entreprises à persévérer pour expérimenter leurs innovations en ville. Contrairement à ce que je connaissais dans le privé, le processus de décision dans le public est beaucoup plus long car énormément de gens ont leur mot à dire. Cela peut être frustrant pour les prestataires mais s'ils font correctement leurs devoirs, notamment sur tout ce qui concerne le respect des données personnelles et la sécurité, et qu'ils prouvent que leur technologie va bénéficier à tout le monde, alors ils auront leur place à New York.

*Minerva Tantoco participera le 29 novembre prochain à la table ronde "Women, take your seats at the table of innovation!" aux Trophées Femmes en Or 2016, qui intègrent pour la première fois la catégorie "Femme de la Smart City".