Contre la fracture numérique, osons la simplicité

L'Etat doit repenser l'interface de ses services en ligne, dont la complexité renforce la fracture numérique.

L’événement VivaTech qui s’est tenu à Paris la semaine dernière en est une manifestation éclatante : nous vivons une époque de foisonnement d’innovations qui promettent à leurs utilisateurs plus de commodité, de performance et de productivité. L’Etat ne s’y est pas trompé, le numérique est au cœur de sa stratégie pour devenir plus efficace et les usagers sont fortement mis à contribution. Ainsi, dès 2019, tous les contribuables devront faire leur déclaration de revenus en ligne. L’inquiétude qui monte cependant est que cette révolution laisse certains de côté. La fracture numérique est une réalité, elle n’est pas qu’une question de génération mais elle touche d’abord les personnes les plus fragiles.

La fracture numérique a d’abord été pensée comme un problème matériel. Il fallait permettre à tous les Français de se connecter avec une bonne couverture réseau et au moins un appareil, que ce soit un ordinateur, un smartphone… C’est ainsi que le gouvernement veut éradiquer les "zones blanches" en garantissant accès au très haut débit sur tout le territoire d’ici 2022. On retrouve la même logique lorsque de nombreuses régions proposent aux lycéens une aide à l’achat pour un ordinateur portable ou une tablette, quand ils ne sont pas offerts comme avec le dispositif "loRdi" de la région Occitanie.

Un problème de moyens et d'usage
Il est cependant rapidement devenu évident que la fracture numérique n’était pas qu’une question matérielle, mais aussi d’usage : la fracture numérique exclut les personnes qui ne savent pas utiliser l’outil numérique et son potentiel. Selon une enquête de l’Institut National de la Consommation et du Défenseur des droits de septembre 2016, 16 % des Français n’ont, certes, pas accès à Internet mais parmi ceux qui y ont accès, 20 % ne se sentent toujours pas à l’aise avec cet outil. S’attaquer aux difficultés d’usage est forcément beaucoup plus ardu que de simplement résoudre un manque matériel. L’argent, déjà rare, ne suffit pas : il faut accompagner le changement. 

Des pionniers ont lancé des initiatives exemplaires comme Emmaüs Connect qui propose des ateliers et des formations, ou les Pimms, des guichets uniques pour les services publics qui accompagnent les usagers dépassés par l’e-administratif. Est-ce suffisant ? Probablement pas, malheureusement. Un exemple : les moins de 25 ans utilisent massivement Snapchat (qui compterait en France 8 millions d’utilisateurs dont 70 % de moins de 25 ans)... mais ce sont les mêmes hyperconnectés qui sont complètement démunis face à un formulaire sur Caf.fr ! Cela démontre qu’il reste cependant un impensé de la stratégie contre la fracture numérique, c’est celui du design de service qui est trop souvent inexistant dans les services publics.

Droits non perçus

Avant l’ère numérique, les usagers souffraient déjà de l’hypercomplexité de notre système administratif et social : c’est le symptôme de "la maison qui rend fou" à l’image de cette épreuve des 12 Travaux d’Astérix où récupérer un document administratif est un parcours insensé qui fait perdre la tête. Avec le passage au tout numérique, les usagers se retrouvent confrontés à une "maison qui rend fou 2.0" où ils doivent affronter seul la complexité des démarches sans aucun accompagnement d’un agent du service public. L’expérience du numérique est alors à l’opposé de sa promesse initiale de commodité, de performance et de productivité : les usagers trouvent cela très compliqué, ils font des erreurs et ils perdent du temps. C’est ainsi que 40 % des Français se disent inquiets de devoir accomplir de plus en plus de démarches en ligne (Baromètre du Numérique, 2016), ce qui traduit un phénomène massif. 

L’une des conséquences, dramatique, est l’ampleur du non-recours aux droits, qui représenterait plus de 13 milliards d’euros d’aides sociales non-distribuées, soit 500 € par famille en moyenne ! Pour résoudre cet enjeu, les interfaces peuvent être pensées pour faciliter la vie de l’usager, par exemple avec la mise en place de robots conversationnels (chatbots), comme celui de Fastoche.fr qui a déjà permis de détecter près de 3 millions d’euros de droits en 6 mois d’existence. Et en amont, la simplification des démarches administratives aura un impact direct sur la fracture numérique en réduisant le stress des démarches en ligne. La transformation digitale implique donc un changement de paradigme dans les interactions avec les usagers. La simplicité est la vertu cardinale à rechercher sans cesse. S’attaquer à la fracture numérique sans se saisir de cette question risque de donner un coup d’épée dans l’eau. Simplifions !