Open data : les collectivités dans l'illégalité... et l'impunité

Open data : les collectivités dans l'illégalité... et l'impunité Alors que la loi impose à 4 400 collectivités de mettre leurs données en accès libre par défaut ce 7 octobre, plus de 90% d'entre elles se trouvent dans l'illégalité.

Fini de jouer à cache-cache avec les données. A partir de ce 7 octobre, l'open data n'est plus dépendant des bonnes grâces des collectivités à ouvrir leurs données. A cette date, une disposition de la loi Lemaire pour une République numérique (2016) entre en application : l'open data par défaut. Les collectivités de plus de 3 500 habitants disposant d'au moins 50 agents doivent désormais mettre en ligne toutes les bases de données dont elles disposent, dans un format ouvert et lisible par une machine, à l'exception des données personnelles et de sécurité. Toute nouvelle donnée produite devra être systématiquement rendue publique.

Un changement colossal pour les plus de 4 400 collectivités (villes, métropoles, départements et régions) concernées par ces obligations. "En termes de quantités de données à publier, c'est massif", confirme Cédric Verpeaux, responsable des programmes d'investissements innovants et territoriaux à la direction de l'investissement de la Caisse des Dépôts. "Rendre accessibles ces informations n'est pas nouveau, mais auparavant, il fallait demander un accès en mairie," rappelle-t-il. Désormais, la logique s'est inversée : les collectivités doivent publier ces données avant même qu'on leur en fasse la demande.

"Environ 400 collectivités sur 4 400 sont dans les clous de l'open data par défaut"

En l'absence de données censées être disponibles en open data, n'importe quel citoyen peut déposer un recours auprès de la collectivité concernée pour demander leur publication. En cas de refus ou sans réponse des pouvoirs publics, un recours peut-être déposé auprès de la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) afin de statuer sur la légitimité de la requête et dire si la collectivité est dans son bon droit en refusant la demande. En dernier recours, la justice peut être saisie pour forcer une collectivité qui ne suivrait pas l'avis de la Cada.

Alors, les collectivités sont-elles prêtes à faire face aux nouvelles obligations qui leur incombent ? Force est de constater que non. "Environ 400 collectivités sur 4 400 sont dans les clous de l'open data par défaut", révèle Laurence Comparat, adjointe à la mairie de Grenoble et présidente d'Open Data France, une association de collectivités travaillant sur l'open data. L'organisation, qui a lancé un observatoire de l'open data dans les territoires, présentera le 10 octobre un rapport détaillé sur l'ouverture des données en France.

Les grands montrent l'exemple

Ce sont plutôt les grands départements, métropoles et régions qui constituent ces moins de 10% de collectivités respectant la loi, tandis que les moyennes et petites communes sont à la traîne, voire ne sont même pas au courant de l'existence de ces obligations dans certains cas. Mais la réalité est plus contrastée que des grandes collectivités vertueuses d'un côté et des petites hors-la-loi de l'autre, tempère Cédric Verpeaux. "Par exemple, à peine une quinzaine d'autorités de transport ont ouvert leurs données, alors qu'il en existe 308 en France et que ces données sont parmi les plus demandées. Et la moitié des conseils régionaux ne sont pas encore passés à l'open data par défaut." A l'inverse, des collectivités de taille plus modeste, comme Chambéry, Saint-Malo ou La Rochelle sont très volontaristes sur le sujet.

On note tout de même une progression. Le nombre de collectivités prêtes pour l'open data par défaut a doublé en quelques mois : en mars 2018, un précédent rapport d'Open Data France parlait de seulement 219 collectivités dans les clous, soit 5% du total. "La loi a eu le mérite de faire parler de l'open data et a eu un effet accélérateur, un peu comme le RGPD", remarque Laurence Comparat. "Mais le rythme n'est clairement pas satisfaisant." Un doux euphémisme : si l'on prend 2010 – année des premiers développements open data en France – comme référentiel, une moyenne de 50 collectivités par an sont passées à l'open data en huit ans. A ce rythme-là, il faudrait 80 ans pour que les 4 400 territoires concernés respectent la loi. Pire, rien ne dit que ce rythme va croître ou se maintenir, car cette première vague de 400 est constituée de grandes collectivités. Le réservoir de territoires ayant les moyens et les compétences pour se mettre facilement à l'open data s'amenuise donc.

Au rythme actuel, il faudrait 80 ans pour que les 4 400 territoires concernés respectent la loi.

Car ce problème des ressources se pose bel et bien, même si "sur ce point-là, les grandes collectivités n'ont aucune excuse", assène Cyril Verpeaux. "Elles disposent des équipes nécessaires et les solutions logicielles sont très abordables." A titre d'exemple, la métropole grenobloise dépense environ 30 000 euros par an pour son portail open data. Pour les collectivités qui n'auraient pas ce budget, les données peuvent être hébergées gratuitement sur la plateforme publique Etalab. Ce sont plutôt les équipes qui manquent à certaines collectivités, précise Laurence Comparat. "Il faut faire la tournée des différents services, identifier avec eux les jeux de données à publier, faire évoluer les outils informatiques, effectuer des maintenances sur le portail open data, mettre en place des automatisations… Tout cela nécessite des ressources humaines."

L'absence de réprimande prévue par la loi explique aussi pour beaucoup la lenteur constatée. Même si les communes perdent en justice, aucune sanction à leur encontre n'est prévue, autre que l'obligation de publier les données. Quant à la Cada, elle ne possède aucun pouvoir de contrôle. Elle peut uniquement statuer lorsqu'un recours est déposé, mais jamais contrôler les collectivités de sa propre initiative. Certaines choisissent donc de prioriser la publication d'informations, assorties, elles, de sanctions en cas de manquement, comme les données des marchés publics.

Bien s'entourer pour réussir

Alors, par où commencer pour les collectivités qui se réveillent et ne savent pas comment s'y prendre ? Mieux vaut ne pas essayer de tout faire d'un coup, conseille Ben Lister, chargé de mission open data à Rennes, ville pionnière en France, qui s'est mis progressivement à l'open data à partir de 2010. "La première chose à faire est de commencer simplement : faire un inventaire des données disponibles, puis publier un premier jeu de données et petit à petit, se lancer dans des choses plus ambitieuses." "Et ne restez pas seuls", enjoint Laurence Comparat. "Toute la France métropolitaine est couverte par l'open data. Quelque part près de chez vous, quelqu'un fait de l'open data. Prenez contact avec une ville, une métropole, un syndicat intercommunal et bénéficiez de leur expérience. "

Les collectivités de toute taille y ont intérêt car l'open data n'est pas qu'une contrainte, estime Ben Lister. "Nous nous rendons compte que les premiers réutilisateurs de l'open data sont nos propres équipes. Avant l'open data, pour obtenir les données d'un autre service, il fallait organiser des réunions, c'était très compliqué. Dans certaines communes de la métropole, des données étaient même produites en double ou en triple par différents services qui ne savaient pas ce que faisaient les autres." L'open data est aussi une manière d'améliorer son efficacité opérationnelle. Puisque le devoir de respecter la loi semble n'avoir que peu d'effet sur les collectivités, peut-être seront-elles plus sensibles aux gains concrets qu'elles peuvent en retirer.