Comment Meta est redevenu cool

Comment Meta est redevenu cool Mark Zuckerberg a su habilement surfer sur la vague de l'IA générative et s'attirer les faveurs des développeurs en misant sur l'open source.

Fin 2022, Meta était l'homme malade de la Silicon Valley. L'entreprise de Mark Zuckerberg était vue comme has been, alors que la moyenne d'âge des utilisateurs de Facebook ne cessait d'augmenter et que les jeunes générations snobaient le réseau social au profit de nouvelles plateformes comme TikTok. Le pari de Mark Zuckerberg sur le métavers, effectué un an plus tôt et symbolisé par un changement de nom, semblait des plus hasardeux, la technologie ne progressant pas aussi vite que prévu. Le projet de monnaie numérique du groupe était quant à lui mort et enterré

La réputation de l'entreprise demeurait en outre entachée par de multiples scandales liés à la désinformation et à la manipulation de l'opinion, en tête desquels Cambridge Analytica, faisant de la société un fossoyeur de la démocratie aux yeux de beaucoup, et lui valant de nombreux démêlés avec les autorités antitrust américaines et européennes. Conséquence de tout cela : l'action de Meta était malmenée en bourse. En octobre, elle  avait perdu 25% de sa valeur après l'annonce de revenus publicitaires décevants et de dépenses faramineuses dans le métavers. Au total, l'action finissait 2022 avec une baisse de 64 % d'une année sur l'autre. 

Facebook séduit de nouveau les jeunes

Le contraste avec aujourd'hui n'en est que plus saisissant. Fin juillet, l'entreprise a annoncé un bénéfice net de 13,5 milliards de dollars pour le second trimestre, en hausse de 73% d'une année sur l'autre. Par conséquent, l'action Meta a retrouvé des couleurs et regagné toute sa place au sein des prestigieux Magnificent Seven, avec une hausse de 40% par rapport en août 2023. En janvier, l'entreprise a dépassé les 1 000 milliards de dollars de capitalisation. 

Mais Meta n'a pas seulement retrouvé une excellente santé financière : il est aussi redevenue cool. Après des années de déclin, la part des jeunes utilisateurs au sein de Facebook recommence à s'accroître. Selon Forrester, 46 % des membres de la génération Z américains utilisent désormais Facebook au moins une fois par semaine, contre 43% l'an passé. Des données récemment publiées par Meta montrent que 40 millions d'Américains et Canadiens âgés de 18 à 29 ans utilisent Facebook quotidiennement, soit le chiffre le plus élevé enregistré sur les trois dernières années. "Nous constatons une hausse soutenue de l'usage de notre application auprès des jeunes adultes au Canada et aux États-Unis. Des produits comme Groups et Marketplace fonctionnent particulièrement bien auprès d'eux", a précisé Mark Zuckerberg lors d'une conférence de presse suite à l'annonce des derniers résultats trimestriels de Meta.  

En outre, en misant, contrairement à ses rivaux Google et Microsoft/OpenAI, sur un modèle ouvert pour son grand modèle linguistique LLaMA, Meta et son dirigeant se sont attirés les faveurs de la communauté open source. La version LLaMA 3 de l'algorithme, lancée en avril dernier, a battu un record de téléchargement sur Hugging Face, une communauté de développeurs d'intelligence artificielle (IA). "Le fait de rendre LLaMA open source est la décision la plus populaire que Facebook ait jamais prise au sein de la communauté tech", a récemment déclaré Patrick Collison, patron de l'entreprise de paiements Stripe, qui a rejoint un groupe monté par Meta pour l'aider à prendre les bonnes décisions sur l'IA.  

En juillet, Mark Zuckerberg en a remis une couche en signant une lettre ouverte appelant entreprises et gouvernements à promouvoir l'IA open source. 

L'IA, une aubaine pour la publicité en ligne

Dans une période marquée par l'essor de l'IA générative, Mark Zuckerberg a intelligemment mis de côté son focus sur le métavers pour investir davantage de ressources dans l'IA générative, tout en brossant la communauté des développeurs dans le sens du poil en optant pour l'open source. Un choix qui n'est pas purement altruiste : en rendant ses produits open source, il s'assure qu'ils soient utilisés par une vaste communauté de développeurs, et donc qu'ils deviennent des standards au sein de l'industrie. 

L'argent investi dans l'IA a également permis à Mark Zuckerberg de doper les recettes publicitaires du groupe, qui demeurent de très loin sa principale poule aux œufs d'or. Dans la conférence de presse qui s'est tenue suite à la publication des derniers résultats trimestriels, Mark Zuckerberg a ainsi affirmé que l'IA permettait à sa société "d'améliorer les recommandations, d'aider les personnes à trouver de meilleurs contenus et de rendre la publicité plus efficace". Au deuxième trimestre, le chiffre d'affaires de Meta, dû pour 98 % à la publicité en ligne, a ainsi cru deux fois plus vite que les revenus publicitaires de son rival Google. 

L'IA a notamment permis à Meta de repenser sa stratégie marketing après une mise à jour d'iOS en 2021 centrée sur la protection de la vie privée, qui entrave la capacité des réseaux sociaux à cibler les utilisateurs sur différents sites. "Ils ont reconstruit leur dispositif ad tech, changé leur interface utilisateurs et obtenu beaucoup plus d'engagement grâce à l'IA", analysait récemment Mark Mahaney, analyste chez Evercore ISI, un investisseur, dans une interview sur la chaîne américaine CNBC. 

Le salutaire effet Musk

En plus de son pari payant sur l'IA, Mark Zuckerberg n'a pas hésité à tailler dans ses effectifs pour améliorer la santé financière du groupe. 20 000 personnes ont ainsi été licenciées l'an passé au cours de quatre vagues successives. 

Le groupe a également su s'inspirer de ce qui fonctionne ailleurs. Les Reels ont été lancées, s'inspirant de courtes vidéo TikTok, afin de séduire les jeunes utilisateurs, et Threads, concurrent de X (anciennement Twitter), compte à ce jour 175 millions d'utilisateurs actifs. 

Finalement, Mark Zuckerberg bénéficie aussi indirectement du rachat de Twitter par Elon Musk, ce dernier attirant l'attention de tous ceux qui s'inquiètent de la désinformation sur les réseaux sociaux, du public aux media en passant par les régulateurs, et contribuant ainsi à détourner les yeux de Facebook. Mark Zuckerberg n'hésite d'ailleurs pas à surjouer la confrontation avec Musk, les deux hommes ayant notamment parlé de s'affronter physiquement lors d'un combat (Mark Zuckerberg est un grand amateur d'arts martiaux) qui n'a à ce jour pas eu lieu. 

Si la plupart des voyants sont de nouveau au vert pour Meta, le groupe doit pourtant rester sur ses gardes. Il demeure extrêmement dépendant de la publicité en ligne, marché qui devrait souffrir de la récession qui s'annonce, d'autant que les gains financiers de son pari sur l'IA se matérialisent pour l'heure surtout dans ce domaine. En outre, si Mark Zuckerberg a réduit les dépenses du Reality Labs, sa division consacrée au métavers, il dépense en revanche sans compter dans l'IA. Une tendance dispendieuse sur laquelle les marchés ferment pour l'instant les yeux, étant donnée la hausse des revenus publicitaires affichés par l'entreprise, mais qu'ils pourraient lui faire payer en cas de retournement conjoncturel. Le groupe reste en outre dans l'œil des régulateurs pour ses pratiques anticoncurrentielles. Mais en attendant que le ciel se couvre, Mark Zuckerberg peut profiter de l'été en savourant sa coupe de champagne.