Philippe Louis-Dreyfus (Louis Dreyfus Armateurs) "Nous allons nous développer dans les énergies marines renouvelables"

Le PDG de Louis Dreyfus Armateurs entend profiter du rebond du transport maritime de vrac et se positionner sur de nouveaux secteurs.

Philippe Louis-Dreyfus a pris les rênes de la branche dédiée au transport maritime du groupe familial Louis-Dreyfus, devenue depuis Louis Dreyfus Armateurs (LDA), à la fin des années 1990. Après l'avoir diversifié, le patron  veut revenir en force dans l'activité historique du groupe, le transport maritime de vrac sec, charbon et minerai. Il ambitionne aussi de positionner dès maintenant LDA sur un secteur selon lui amené à prendre de l'ampleur : les énergies marines renouvelables. Et pourquoi pas, avec Alcatel-Lucent, son partenaire, créer une structure commune avec Orange dans le cadre de son activité de câbles sous-marins. Beaucoup de projets que le dirigeant détaille au JDN.

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Philippe Louis-Dreyfus, PDG de Louis Dreyfus Armateurs. © LDA

JDN. Avec son activité de transport de vrac sec, Louis Dreyfus Armateurs est aux premières loges pour anticiper le retour à la croissance économique mondiale. Alors, quels sont les signaux ?

Philippe Louis-Dreyfus. Le transport de vrac a clairement été l'indicateur d'une dégradation il y a quelques années. Aujourd'hui, il indique que les choses commencent à aller mieux. Cela fait déjà plusieurs mois que les frets ont remonté, notamment en Asie. Il y a plus de demande, plus de gens qui viennent nous voir pour de nouveaux contrats et les prix ont grimpé. Ils ont doublé en quelques mois mais ils étaient tombés très, très, très bas et restent inférieurs au niveau qu'ils devraient atteindre. Il y a donc encore du potentiel de remontée. Nous y croyons.

Comment LDA fait-il pour s'adapter ?

Nous avons eu la chance d'anticiper la crise très grave que le maritime a connue dans les années 2007-2008, quand les prix ont été divisés par dix en trois semaines. Des bateaux qui valaient plus de 100 000 dollars jours sont tombés à 7 000 / 8 000 dollars jours. A l'époque, quand les frets étaient très hauts, personnellement, je n'imaginais pas que cela puisse durer. J'ai donc vendu une large partie de notre flotte avant que les prix ne s'écroulent et l'année dernière, j'ai fait l'inverse. Nous avons commandé pour plus de 300 000 dollars de navires avant que les frets remontent. Nous avons aujourd'hui 10 bateaux en commande.

"Le transport de vrac a été l'indicateur d'une dégradation de la conjoncture il y a quelques années. Aujourd'hui, il indique que les choses commencent à aller mieux"

Ces commandes correspondent-elles à un recentrage de votre activité, après vos diversifications dans l'offshore ?

Ce n'est pas un re-recentrage. Nous revenons simplement en force dans une activité que nous n'avions jamais cessé d'exercer chez Louis Dreyfus, à savoir le transport de vrac. Le vrac sec, le charbon et le minerai surtout, constituent une activité essentielle à la fois pour le transport et la logistique. Nous sommes très actifs en logistique dans les pays qui exportent ou importent des matières premières. Quand j'ai repris le groupe, j'ai voulu le diversifier dans des activités à valeur ajoutée, c'est-à-dire des activités maritimes industrielles – navires câbliers, navires de recherche sismique, navires gaziers. Car le transport est une activité plus lambda, dans laquelle à la limite tout le monde peut se lancer. Ce n'est pas le cas des activités high-tech qui, elles, sont l'apanage des pavillons évolués. Nous avons donc légèrement spécialisé LDA sur le navire high-tech, dédié à un industriel français, a priori, qui utilise le bateau sur sa durée de vie – c'est ce que nous faisons avec Airbus et Alcatel-Lucent – mais nous revenons à notre historique, le transport de vrac, qui va représenter je l'espère la moitié de notre chiffre d'affaires. Nous contrôlons une flotte de plus d'une trentaine de navires de vrac et d'une vingtaine de navires high-tech, donc nous avons déjà à peu près atteint l'équilibre en ces termes.

Vous avez récemment cédé votre filiale hollandaise Fairmount Marine. D'autres cessions sont-elles à l'étude ?

Non, nous avons globalement fait le tour de ce que nous voulions céder. Nous étions peut-être un peu trop diversifiés. Je crois qu'aujourd'hui, avec le transport de vrac, qui représente la moitié de notre activité, les navires high-tech, qui pèsent pour un gros tiers, et les 15% / 20% restants dans la logistique dans des pays compliqués comme l'Inde, l'Indonésie et la Colombie, nous sommes bien positionnés. Demain, nous nous développerons plutôt dans les énergies marines renouvelables, un secteur dans lequel nous devrions nous faire une place grâce à la compétence et au savoir-faire de notre équipage et à notre habitude des bateaux high-tech.

"Nous avons globalement fait le tour de ce que nous voulions céder. Nous étions peut-être un peu trop diversifiés"

Quelles sont les actions que vous allez mettre en place pour y parvenir ?

Nous avons recruté des collaborateurs pour former une équipe dédiée à ces activités d'énergies marines renouvelables, c'est-à-dire l'éolien et l'hydrolien. Nous travaillons de manière très étroite et depuis longtemps avec le constructeur naval DCNS dans l'hydrolien et nous sommes en contact régulier et avancé avec les groupes qui seront demain très actifs dans l'éolien, comme Alstom et EDF. Nous travaillons avec eux pour leur apporter la compétence nécessaire. Car pour travailler dans l'éolien et l'hydrolien, qui par définition sont des activités qui s'exercent dans des zones difficiles d'accès, où il y a beaucoup de vent, beaucoup de houle et beaucoup de courant, il faut de vrais marins formés qui savent gérer des bateaux et des situations compliquées dans des périodes climatiques difficiles. Nous pouvons en plus leur apporter la compétence et le savoir-faire du positionnement dynamique de nos navires, puis des travaux industriels en mer. Nous n'avons pas d'accord avec eux, mais cela devrait venir un jour.

Quelles sont les prochains projets de LDA en matière d'offshore ?

Cela concerne beaucoup les énergies marines renouvelables. Ce sont toutes les activités qui n'existent peut-être pas encore aujourd'hui de façon claire et qui pourront se passer en mer. Cela peut aller de l'incinération d'ordures aux recherches de matières premières rares, de minerai, de métaux, dans les fonds sous-marins. Nous participons d'ailleurs à un consortium très actif à long terme dans l'exploitation des sous-sols marins pour en remonter des matières premières. Il y a du charbon et du pétrole sous la mer, nous le savons. Mais il y a aussi du minerai et des métaux plus rares et cela vaudra le coup de se positionner pour les exploiter un jour. Ce n'est pas pour demain, mais il y a un marché, c'est sûr.

"Dans les fonds sous-marins, il y a du minerai et des métaux rares et cela vaudra le coup de se positionner pour les exploiter un jour"

En mars dernier, vous évoquiez la possibilité de développer quelque chose avec Orange comme une hypothèse crédible dans le cadre de votre activité de câbles sous-marins. Pouvez-vous nous en dire plus sur la nature de ce rapprochement éventuel ?

Je ne peux pas en dire tellement plus. Je disais simplement – c'est un fait, et d'autres pensent comme moi – qu'à divers niveaux, il y aura une certaine logique à ce que la France n'ait pas deux opérateurs dans un secteur mais un seul. Avec Alcatel-Alcatel, nous avons 40% du marché mondial, donc nous sommes assez importants. Orange possède une part plus petite, mais ce sont des gens de qualité avec des navires de qualité. Nous aurions tout intérêt à avoir une structure commune en France. Le combat est déjà très difficile contre les étrangers. Et avoir une équipe de France, ce n'est pas une mauvaise idée non plus. C'est un raisonnement citoyen, patriote et logique.

Et Orange est en accord avec ça ?

C'est à eux qu'il faut poser la question... Je n'imagine pas qu'ils y soient opposés mais je ne répondrai pas pour eux. Ce sont des concepts qui ne sont pas illogiques et qu'il serait intéressant de faire avancer. C'est mon sentiment. C'est peut-être aussi celui d'Alcaltel-Lucent.

"Il n'est pas dans notre idée de revenir dans les télécoms"

Selon le JDD, Martin Bouygues vous a sollicité pour participer au tour de table dans le rachat de SFR. Pourquoi avoir refusé ?

D'abord nous n'avons pas eu de conversation de ce type. J'ai des relations amicales et très anciennes avec Martin Bouygues. Cela a pu être mentionné par certains mais Martin sait très bien que nous avons été lourdement engagés dans les télécoms il y a quelques années, avec Neuf Telecom, que cela a été pour nous une merveilleuse aventure d'hommes et une merveilleuse affaire financière, mais qu'il n'est pas dans notre idée de revenir dans les télécoms. Donc nous n'en avons pas vraiment parlé, quelles que soient nos relations amicales.

Une question concernant Louis-Dreyfus Holding maintenant. Confirmez-vous les informations selon lesquelles Margarita Louis-Dreyfus est en passe d'acquérir 16% supplémentaires du groupe mais que les négociations bloquent sur la valorisation d'un milliard d'euros de ces 16% ?

Je suis actionnaire de Louis Dreyfus Trading et de sa maison mère, Louis Dreyfus Holding, mais je n'ai pas de commentaire à faire. Seule la société peut en faire. Il ne m'appartient pas d'évoquer ce sujet-là. C'est dans la presse, et comme vous le savez, ce qui est dans la presse est toujours vrai !

"En matière de câbles sous-marins, nous aurions tout intérêt à avoir une seule et unique structure en France"

Enfin, une question que le JDN aime bien poser aux dirigeants qu'il rencontre. Si vous deviez créer une entreprise aujourd'hui, ce serait dans quel secteur ? Le feriez-vous en France ?

Ce serait dans l'assistance, la réinsertion, l'aide aux personnes, éventuellement dans la sécurité au sens large. Donc dans le service. Il y a le sport aussi. J'ai toujours adoré le sport. Maintenant que c'est devenu un business, un spectacle, ce qui me déplaît à titre personnel, autant en profiter d'un point de vue business puisqu'a priori, je sais investir de façon pas trop sotte et que c'est un milieu que je connais pour en avoir fait beaucoup et à haut niveau. Où est-ce que je monterai mon entreprise ? Cela dépend du marché. Je vis en France, je suis fiscalisé en France et je me sens très Français mais cela ne m'interdit pas d'investir à l'étranger. On peut très bien être résident en Suisse et investir lourdement en France, je crois qu'il y a des exemples récents qui le montrent, et on peut très bien être résident en France et investir à l'étranger si c'est là que se trouve le marché. Mais ce n'est pas dans mes projets. J'ai déjà largement de quoi m'amuser avec LDA et son fonds de private equity qui soutient des entreprises.

Le JDN a rencontré Philippe Louis-Dreyfus à l'occasion du G20 Strategy & Management Summit, qui a réuni près de 400 chefs d'entreprise et membres de comité de direction à Paris, le 9 avril dernier.