L'inévitable déclin du crowdequity en France
Les fonds collectés via les plateformes de crowdfunding d'investissement en capital sont en baisse pour la deuxième année consécutive. Explications.
Toutes les plateformes de crowdfunding ne sont pas à mettre dans le même panier. Il y a celles en plein boom, c'est à dire celles du crowdlending avec une hausse de 40% de sommes collectées en 2018, et il y a celles du crowdequity. Ces sites proposant des prises de participation dans des entreprises sous forme de capital ou la souscription d'obligations ou royalties affichent une collecte en baisse de 19%, selon le baromètre annuel de l'association Finance Participative France (FPF). Au total, 47,1 millions d'euros ont été récoltés en 2018, contre 58 millions en 2017. C'est la deuxième année de baisse consécutive.
Une des principales plateformes de crowdequity, Smart Angels, a même cessé son activité à la rentrée 2018 et a pivoté pour devenir une plateforme de gestion de titres. "Nous n'arrivions plus à collecter suffisamment. Nous avons fait -50% de volumes sur le premier semestre 2018", indique Benoît Bazzochi, CEO de la fintech.
Plusieurs raisons expliquent cette dégringolade. Tout d'abord, la fin de la défiscalisation de l'ISF et tout particulièrement de celle de l'ISF-PME, un mécanisme qui permettait de déduire 50% du montant des investissements dans des PME (dont les start-up) dans la limite de 45 000 euros par an. Mais cela n'explique pas tout. L'incertitude autour de la réduction d'impôt sur le revenu pour la souscription au capital d'une PME retarde également des décisions. Aujourd'hui, elle s'élève à 18% du montant des versements effectués par le contribuable. "Elle doit passer à 25% mais on attend toujours la sortie du décret d'application", regrette Stéphanie Savel, présidente de FPF.
Autre raison, plus ancienne : la guerre des prix. "Avec le développement des plateformes de prêts, la plupart des acteurs du crowdequity se sont mis à baisser les prix afin d'attirer les émetteurs de titres. Mais comme ils ont des modèles assez low cost, avec une masse salariale importante, c'est difficile de s'y retrouver financièrement", explique Caroline Lamaud, cofondatrice du spécialiste du crowdequity Anaxago. "Et si une plateforme collecte en dessous de 25 millions d'euros par an c'est compliqué d'entretenir les équipes", complète-t-elle. Smart Angels a par exemple collecté 30 millions en… six ans.
Or, "chaque jour, un nouveau fonds se monte. On ne peut pas concurrencer des professionnels de l'investissement…", lâche Caroline Lamaud. "Aujourd'hui, plus personne ne lève moins de deux millions d'euros en seed. Les valorisations sont devenues énormes", assure-t-elle. La plateforme a d'ailleurs décidé de créer sa propre société de gestion, Anaxago Capital, en octobre 2018. "Nous allons pouvoir adresser des start-up qui ont besoin de plus d'argent. Quitte à lever 1 million sur la plateforme et abonder de deux millions avec le fonds", précise Caroline Lamaud.
Pour elle, le salut des acteurs du secteur passe par la diversification. "Il faut élargir sa gamme de produits et financer d'autres business comme la boulangerie du coin". Mais si la start-up a collecté 40 millions d'euros en 2018, contre 27 millions en 2017, c'est surtout grâce à l'immobilier. 65 à 70% de la collecte chez Anaxago provient de ce secteur en forte croissance : en France, le crowdfunding immobilier a explosé avec 185 millions d'euros financés en 2018, soit + 83% en un an, d'après le baromètre réalisé par Hellocrowdfunding et Fundimmo.
Un cadre réglementaire à changer
Les plateformes françaises de crowdequity sont également handicapées par la réglementation. En France, elles ont le statut de CIP, conseiller en investissement participatif, dérivé de conseiller en investissements financiers. Elles doivent donc faire du conseil, contrairement aux plateformes de prêts qui sont des intermédiaires en financement participatif (IFP). "Nous devons faire une analyse complète du patrimoine de l'investisseur et lui proposer tout type de produit (assurance-vie, immobilier...) … or nous n'avons qu'un seul produit", indique Benoît Bazzochi. "Nous devons donc transmettre leurs dossiers aux réseaux type CGP (conseillers en gestion de patrimoine, ndlr) et banques privées pour qu'ils les conseillent à leur tour, ce qui fait un double conseil, c'est inutile."
Pour le patron de SmartAngels, les plateformes de crowdequity devraient être régulées comme des places de marché ou avoir un statut de réception-transmission d'ordres, comme au Royaume-Uni (le secteur a fait +22% en un an, selon le Cambridge Centre for Alternative Finance). "Ce statut permet d'être considéré comme une plateforme. Vous passez un ordre et la plateforme le transmet pour qu'il soit exécuté. C'est ce qui colle le plus à notre rôle", estime Benoît Bazzochi. "Si on ne change pas sérieusement la réglementation et donc le modèle des plateformes, je ne vois pas comment le secteur pourra décoller." Pour l'heure, aucun changement de réglementation n'est prévu.
Malgré ces obstacles, une nouvelle plateforme de crowdequity a vu le jour en juin 2018 : Edulis. Cet acteur compte actuellement une dizaine de dossiers mais avoue ne pas avoir vocation à devenir une machine. "A horizon deux ou trois ans, nous visons une trentaine de dossiers pour une collecte totale d'une trentaine de millions d'euros", confie Jean-Rémy Cauquil, président d'Edulis. Pour se maintenir à flots, la start-up mise sur le conseil et l'accompagnement des projets. "Nous ne voulons pas faire le passe-plat mais aider à construire le pacte d'actionnaires, nous impliquer dans le suivi après la levée de fonds…", précise le dirigeant. En plus de la commission prélevée sur le tour de table (entre 5 et 10%) et des frais de validation du projet, Edulis facture un suivi post-collecte annuel d'un montant pouvant aller jusqu'à 8 400 euros TTC. "En fait, nous avons un positionnement qui s'apparente à celui d'un petit fonds de capital-développement", concède Jean-Rémy Cauquil. "Ce marché du capital-développement est à 300 millions d'euros aujourd'hui. On prévoit d'être à minima à un milliard dans trois ans. Pour cela il faut qu'il ait un taux de croissance d'au moins 50% chaque année. On a peut-être encore une ou deux années à souffrir, mais ça viendra", assure-t-il, optimiste.