Treezor, tu dors ?

Treezor, tu dors ? Racheté par Société Générale en 2018, le fournisseur de services bancaires dédié aux fintech a renforcé sa plateforme d'API mais n'a pas innové. De nouveaux produits sont attendus pour 2020.

La maman des fintech a aussi sa maman. Une maison-mère, précisément : en septembre 2018, Société Générale a annoncé le rachat de Treezor, fournisseur de services bancaires pour fintech sous forme d'API, pour un montant non communiqué. De quoi "élargir le périmètre de notre offre et notre capacité à innover", déclarait alors Eric Lassus, directeur général de Treezor, dans un communiqué. Qu'en est-il un an plus tard ? "L'intégration chez Société Générale se passe très bien. En fait, il s'agit plutôt d'une non intégration. Treezor reste indépendant et garde son ADN de fintech même si nous bénéficions des capacités industrielles de Société Générale", explique le dirigeant. 

La plateforme de banking-as-a-service peut notamment compter sur les équipes sécurité, IT, et compliance de la banque française. "L'outillage de Société Générale est d'un autre calibre. Et comme c'est une banque internationale, on peut plus facilement répondre aux attentes des sociétés internationales", apprécie Eric Lassus. Les flux de paiement, qui passent chez Arkéa, seront totalement migrés chez Société Générale entre janvier et février 2020. "Il n'y avait pas d'urgence et des sujets plus stratégiques", justifie Eric Lassus. En 2018, la fintech des fintech a géré 4 milliards d'euros de flux et enregistré un chiffre d'affaires supérieur à 6 millions d'euros.

"Il y a eu beaucoup de progrès au niveau de la stabilité de la plateforme"

Côté effectifs, la Treezor a recruté. En un an, elle est passée de 34 à 75 salariés. Et devrait doubler d'ici fin 2020. Parmi ces recrutements, une majorité de profils IT, compliance, et AML (lutte anti-blanchiment). De quoi supporter des volumes en hausse. Une dizaine de fintech ont rejoint le portefeuille de Treezor ces douze derniers mois, sur un total d'une cinquantaine de clients. Et certaines, à l'image de Qonto et Lydia, ont bien grossi. Les principales concernées sont satisfaites. "Il y a eu beaucoup de progrès au niveau de la stabilité de la plateforme mais aussi au niveau du service client. Treezor a même fait beaucoup de développements spécifiques pour nous, notamment sur le prélèvement SEPA", témoigne Nagib Beydoun, CEO de l'application d'épargne Yeeld, cliente de Treezor depuis septembre 2017. "Suite au rachat par Société Générale, Treezor nous avait promis d'affecter des personnes dédiées à certains comptes. La promesse a été tenue car nous avons un account manager technique dédié à Yeeld", ajoute-t-il.

Frustration chez certains clients

En revanche, aucun nouveau produit n'est sorti en un an. "Nous avons préféré renforcer la plateforme", se défend Eric Lassus. "Ils nous ont promis de nouveaux services, notamment sur la partie internationalisation avec du multidevises et des iban étrangers", assure une fintech, qui préfère rester anonyme. "C'est dommage, alors que l'intégration chez Société Générale devait normalement leur donner plus de vélocité et de moyens. On a plutôt l'impression qu'il y a une lourdeur administrative et opérationnelle, que ça n'avance plus", poursuit notre interlocuteur. "Peu de fintech comprennent les exigences requises pour disposer de nouvelles features. Cette pédagogie n'est parfois pas simple, je comprends qu'elle est source de frustration. Je pense qu'on a pris la bonne décision en ne sortant pas de nouveaux produits et en augmentant le niveau de solidité de l'ensemble", répond Eric Lassus, qui ajoute que les prochains produits, notamment du crédit, sortiront en 2020. 

"On a plutôt l'impression qu'il y a une lourdeur administrative et opérationnelle, que ça n'avance plus"

Ces douze derniers mois, Treezor s'est aussi focalisé sur son expansion internationale, un chantier qu'elle aurait eu plus de mal à lancer sans Société Générale. Elle a annoncé un lancement prochain en Italie et Espagne. "Nous voudrions avoir des équipes locales dans ces deux pays. On imagine bien un Treezor italien, espagnol et pourquoi pas allemand et belge par la suite", s'enthousiasme Eric Lassus. "Avoir Société Générale nous permet de bénéficier d'une crédibilité à l'étranger", poursuit-il. C'est aussi un gage de crédibilité pour les fintech françaises. "Cela rassure nos clients", confirme Alexandre Louisy, CEO d'Upflow, solution de recouvrement de factures impayées pour PME, cliente depuis mai 2018. "C'est un élément important dans notre discours commercial", renchérit Marc Tempelman, patron de Cashbee, autre application d'épargne.

Treezor a aussi travaillé sur trois projets avec la banque de la Défense mais aucun détail n'est communiqué pour l'instant. Eric Lassus glisse tout de même un indice : il y aura de l'Instant payment.

Concurrence accrue en 2020

La filiale de Société Générale a encore des défis à relever. "Ils ont bien progressé dans la documentation de leur API mais il y encore du progrès à faire", estime Nagib Beydoun. Alors que Treezor était seule sur son marché (les autres acteurs proposent souvent un ou peu de produits bancaires), la concurrence pourrait s'intensifier en 2020. Le start-up studio eFounders prépare le lancement d'une plateforme similaire, baptisée Swan, à une date indéterminée. L'allemande SolarisBank pourrait aussi débarquer sur le marché français prochainement puisque sa maison-mère Finleap est présente dans l'Hexagone depuis septembre dernier. "Il va peut-être y a voir une grosse concurrence. Mais c'est un métier très difficile. Je ne connais pas beaucoup d'équipes expertes comme nous qui peuvent discuter avec plein de régulateurs", observe Eric Lassus.

Ces potentiels nouveaux entrants pourraient conquérir les nouvelles fintech mais pas forcément les "anciennes". "C'est extrêmement compliqué comme plateforme en termes de sécurité et implémentation. On ne change pas de provider bancaire comme de fournisseur de mails", explique Alexandre Louisy. "Deux aspects pourraient me faire envisager de changer de prestataire. Tout d'abord un aspect technique. Si demain, il existe une API de la qualité de Stripe. Deuxième aspect : le prix. Treezor est cher. La facturation fait 50 lignes", assure le patron de Yeeld, dont 20% de ces coûts sont liés à Treezor.

Ce dernier n'a cependant pas l'intention de quitter Treezor, contrairement à Qonto. La néobanque pour PME a développé sa propre plateforme bancaire cette année et onboarde déjà ses nouveaux clients dessus. La migration des autres clients se fera au fur et à mesure. Ce départ n'inquiète pas Treezor, qui perd un gros client. "Qonto prend son envol mais d'autres fintech vont nous rejoindre. Et nous allons accompagner plusieurs start-up à l'international", rassure le papa des fintech françaises.