L'acompte sur salaire se paie un coup de jeune

L'acompte sur salaire se paie un coup de jeune Rosaly, Salto et Stairwage ont récemment lancé des solutions permettant aux salariés de récupérer une partie de leur rémunération quand ils le souhaitent et en quelques clics.

On est seulement le 15 du mois et vous êtes à découvert. Vous n'êtes pas le seul. Chaque mois, un Français sur cinq dépasse son découvert autorisé, d'après une récente étude du comparateur de frais bancaires Panorabanques. Et cela coûte cher : entre 20 et 30 euros par an d'agios si le plafond n'est pas dépassé, et environ 72,50 euros en plus par an si le plafond est dépassé.

Pour lutter contre le fléau du découvert, trois fintech françaises se sont attaqués à l'acompte sur salaire. Rosaly, Stairwage et Salto n'ont évidemment pas inventé ce concept, qui, pour rappel, correspond au versement d'une partie du salaire pour un travail déjà effectué (l'employeur est dans l'obligation de lui verser). Mais elles l'ont dépoussiéré pour le rendre plus accessible aux salariés. "Pour un acompte, il faut aller voir son employeur et donc lui parler de ses problèmes d'argent, envoyer un recommandé avec accusé de réception qui coûte quatre euros et ensuite attendre plusieurs jours le versement de l'acompte", illustre Kevin Ansiau, CEO de Salto.

Pour le service RH d'une entreprise, verser un acompte n'est pas non plus optimal. "Dans les entreprises industrielles, environ 30% des demandes d'acompte sont gérées manuellement car il faut vérifier que le salarié ait bien travaillé 15 jours, ensuite lui faire un virement et se souvenir d'éditer la fiche de paie à la fin du mois", explique Arbia Smiti, CEO de Rosaly. "Les entreprises n'ont pas intérêt à parler de l'acompte car c'est très chronophage à gérer, les logiciels ne sont pas forcément adaptés et il y a un impact financier pour la société", complète Yann Le Floc'h, patron de Stairwage. Décaisser une partie d'un salaire peut avoir des conséquences sur la trésorerie puisque cette charge n'a pas été anticipée.

"Les entreprises n'ont pas intérêt à parler de l'acompte car c'est très chronophage à gérer"

Les trois fintech ont donc développé des applications qui permettent aux salariés de demander en quelques clics une partie de leur rémunération. Le pourcentage du salaire (capé à 50%) et le nombre d'acomptes possibles sont déterminés par l'entreprise. "Mieux vaut commencer par des pourcentages plus faibles, de l'ordre de 15-20%", conseille Kevin Ansiau.

Autres fonctionnalités : l'affichage du solde de salaire en temps réel et des conseils pour mieux gérer son budget. Car avoir systématiquement recours à des acomptes peut aussi être un fléau. "Nous pouvons envoyer des alertes à un salarié en lui indiquant qu'à telle date, il n'a plus que 200 euros à dépenser car dans deux jours il sera prélevé de son assurance auto et de son abonnement à Internet. Demain, nous lui conseillerons de changer ou retirer un abonnement", illustre Arbia Smiti. Rosaly propose également des contenus éducatifs et compte nouer des partenariats avec des entreprises d'e-learning. De son côté, Stairwage a recensé toutes les aides financières et sociales existantes.

Avancer ou pas l'entreprise

Les RH de l'entreprise ont, quant à elle, accès à une solution qui se connecte aux logiciels de paie et autres outils RH. C'est à elles que Rosaly, Salto et Stairwage vendent leur package. Rosaly, facture un abonnement de trois euros par mois par salarié, qui peut être dégressif. Même montant chez Stairwage, qui applique un tarif dégressif à partir de 250 salariés. De son côté, Salto prélève un tarif fixe proportionnel au nombre de salariés, qui démarre à 299 euros hors taxe. Le salarié ne paie rien chez Rosaly et Stairwage. Enfin, presque. Rosaly facture deux euros par virement mais incite l'employeur à le prendre en charge. "C'est une façon de responsabiliser l'employé afin qu'il ne demande pas un acompte tous les jours", assure Arbia Smiti. Salto a décidé de facturer 4,99 euros TTC par mois par salarié, avec un nombre de virements illimité. "On fait cela pour couvrir nos frais d'infrastructure. On est toujours très agressif en termes de prix, en particulier si on le compare avec l'envoi d'un courrier avec accusé de réception", se défend Kevin Ansiau. S'il ne souhaite pas payer un abonnement, il peut simplement payer 1,99 euro par virement, peu importe le montant. Dans les deux cas, l'entreprise peut décider de prendre en charge les 4,99 ou 1,99 euros que doit régler le salarié. 

"On est très agressif en termes de prix, en particulier si on le compare avec l'envoi d'un courrier avec accusé de réception"

Et au final, qui avance le salaire ? Chez Salto, c'est à l'entreprise de s'en occuper. Mais la fintech pourra prochainement la mettre en relation avec un partenaire financier si besoin. Rosaly a choisi de s'adosser à des institutions financières qui lui prêtent de l'argent. Une stratégie plus complexe mais peu risquée à en croire la CEO. "Les taux de défaut sont bas car on est forcément remboursé et les taux d'intérêt sont presque négatifs", indique Arbia Smiti, qui précise que la majorité de ses clients pilotes préfèrent que Rosaly avance le cash. Stairwage avance également les fonds. "Pour que ça se démocratise", justifie Yann Le Floc'h. Mais la jeune pousse avance l'argent avec ses propres fonds en attendant un tour de table d'ici la fin de l'année.

L'arrivée d'un acteur anglais

Pour l'heure, ces jeunes fintech n'ont pas encore besoin d'avancer beaucoup d'argent puisqu'elles sont en test avec une poignée de sociétés. Rosaly est en pilote avec deux grands groupes du retail et de services à la personne. 30 PME et ETI sont en liste d'attente. "Nous priorisons les demandes en fonction de la taille de l'entreprise, la difficulté de s'intégrer…", précise Arbia Smiti. Salto est en phase d'expérimentation avec un grand spécialiste du transport pour un déploiement officiel à l'automne. Des PME et start-up sont aussi dans les tuyaux. Stairwage est en contact avec de grandes entreprises également, sans préciser de nom. "Elles viennent à nous car la crise sanitaire les y oblige. Il y a eu pas mal d'avance de frais avec le confinement : acheter un ordinateur, s'équiper en biens personnel, des dépenses pas prévues…", explique Yann Le Floc'h.

Certaines grandes entreprises internationales, dont Walmart et Ubisoft, utilisent depuis longtemps des solutions d'acompte de salaire. La fintech britannique Wagestream, qui a levé 20 millions de livres sterling en juillet 2020, connait un véritable succès outre-Manche. "Ces services ont explosé au Royaume-Uni. La plupart des salariés l'utilisent trois à quatre fois par mois pour une moyenne de 50 livres par virement", explique Kevin Ansiau, basé lui-même à Londres.

Aux Etats-Unis aussi, ces applications sont aussi en plein boom. Elles s'appellent Instant Financial, DailyPay, Earnin… Wagestream est d'ailleurs présente aux US et prévoit d'attaquer d'ici quelques semaines l'Australie et la France. "Nous recherchons un country manager en France, des ingénieurs, commerciaux et des personnes en charge du customer success",  indique au JDN Alex Harrison-Spain, head of international chez Wagestream. Nos fintech tricolores ont aussi des ambitions internationales. "Notre but est de devenir a minima une société européenne", lâche le patron de Stairwage, sans donner de calendrier précis. Rosaly vise l'Espagne, Italie, les Pays-Bas et l'Allemagne car "le cadre légal de la paie se rapproche de celui de la France", précise Arbia Smiti, qui prévoit une levée de fonds fin 2020, initialement prévue au premier semestre et retardée en raison de la crise sanitaire. Mais la jeune femme est plutôt optimiste : "La crise n'a fait qu'accélérer l'évangélisation du marché". De son côté, Salto table sur 10 000 salariés inscrits sur sa plateforme d'ici la fin de l'année.