La revenue-based finance, l'alternative pragmatique à la levée de fonds
Ce mode de financement, qui arrive timidement en France, consiste à financer une entreprise qui en contrepartie verse un pourcentage de son chiffre d'affaires.
Lever ou s'endetter. Pour les start-up, c'est soit l'un, soit l'autre. Ou parfois les deux en même temps. Mais il existe un troisième choix, bien plus méconnu : le financement par royalties, ou revenue-based finance (RBF). Ce mode de financement non-dilutif (contrairement à la levée de fonds) permet à des investisseurs de percevoir un pourcentage du chiffre d'affaires de la société financée et d'avoir accès à de la liquidité. "L'inconvénient quand on est business angels c'est que l'argent est bloqué jusqu'à l'exit ou un mouvement particulier. Avec le RBF, des royalties sont reversés trimestriellement ce qui permet de gagner un peu d'argent régulièrement ou de réinvestir dans d'autres projets", explique Frédéric Joseph, directeur général délégué de Wedogood, plateforme de financement en royalties. Créée en 2015, elle permet d'investir dans des projets à impact sélectionnés via un comité maison. Depuis quelques mois, l'activité de la plateforme s'accélère. "Sur les trois premiers mois de l'année, on est déjà à 3 millions d'euros d'investissements, soit plus que ce qu'on a fait en 2019", indique le dirigeant.
"Dans le online, vous n'avez pas de loyer à payer mais un coût d'acquisition. Mais les banques ne financent pas le marketing"
Le RBF commence seulement à faire son apparition en France avec, outre Wedogood, quelques acteurs comme Royalti, spécialiste des loyers variables, Aria qui avance les revenus des freelances ou encore Silvr. Cette dernière, lancée en mars 2020, finance les campagnes marketing des e-commerçants. "Ces sont des acteurs qui ont peu d'actifs et sont donc mal servis par les acteurs bancaires. Et ils n'ont pas vocation à lever des fonds", explique Nima Karimi, CEO et cofondateur de Silvr. "Dans le online, vous n'avez pas de loyer à payer mais un coût d'acquisition à financer. C'est le premier levier de croissance d'un e-commerçant. Environ 20% de leur chiffre d'affaires passe dans l'acquisition. Mais les banques ne financent pas le marketing", complète le patron. Pour connaître le chiffre d'affaires de ses clients, Silvr se connecte aux outils préférés des e-commerçants que sont Google Analytics, Facebook Ads ou encore Shopify. Sans oublier leurs comptes bancaires. Ce qui permet de voir les entrées et sorties de cash, le retour sur investissement publicitaire et les ventes. "En récupérant toute cette donnée, nous pouvons développer un scoring pour voir si l'entreprise est performante et si elle est scalable d'un point de vue marketing", précise Nima Karimi.
Pour se rémunérer, Silvr prélève une commission comprise entre 6 et 9%, en fonction de l'analyse de risque. Si Silvr prête 100 000 euros à un e-commerçant, ce dernier lui remboursera entre 6 et 9% du montant du prêt, mais seulement si la campagne a permis de générer des revenus. Puis, Silvr applique un taux de commission entre 3 et 20%, qui dépend de l'activité de l'entreprise et de son rapport coût d'acquisition sur chiffre d'affaires total. En un an, Silvr a financé 2 millions d'euros de dépenses marketing et assure doubler le chiffre d'affaires de ses clients en trois mois. Elle espère financer une centaine d'e-commerçants dans les 12 prochains mois.
Le marché français de la RBF reste encore très petit comparé à celui d'Amérique du Nord. De grosses entreprises comme Amazon, Stripe, Square ou encore PayPal le proposent depuis quelques mois, voire années, à leurs clients marchands. Deux acteurs locaux se sont spécialisés sur ce créneau : Lighter Capital, spécialisé dans le financement de start-up, et Clearco (ex-Clearbanc), qui a commencé par financer les e-commerçants et les entreprises du SaaS avant de s'ouvrir plus largement aux start-up. Plus de 4 500 entreprises ont été financées à hauteur de 2 milliards de dollars depuis sa création en 2015.
"Quand Clearbanc a fait sa première levée de fonds, on a commencé à voir les premiers copycats en Europe"
Cette jeune pousse canadienne a levé en avril dernier 100 millions de dollars en equity et 250 millions en dette. "Quand Clearbanc a fait sa première levée de fonds, on a commencé à voir les premiers copycats en Europe, à commencer par le Royaume-Uni et l'Allemagne", se souvient Michele Foradori, VC chez BlackFin Tech. Une de ses imitations les plus connues est le britannique Uncapped, qui s'apprête d'ailleurs à annoncer une nouvelle levée de fonds, selon nos informations. Mais aussi l'irlandais Wayflyer ou encore l'espagnol Ritmo. Au total, BlackFin Tech a recensé une dizaine d'acteurs spécialisés dans le financement de l'e-commerce en Europe. Difficile en revanche de trouver des estimations chiffrées sur le marché européen.
Les banques, futurs concurrents ?
Alors, pourquoi l'Europe est-elle à la traîne ? "L'accès à la dette n'est pas proactivement recherchée dans l'e-commerce", observe Michele Foradori. "La réglementation en Europe, et en particulier en France, permet moins d'innover", estime de son côté Adrien Dehelly, CEO de Royalti. Pour proposer du financement en royalties, il faut soit être un établissement de crédit (un agrément très difficile à obtenir) ou lever de la dette auprès d'investisseurs, ce qui est assez chronophage. Sans oublier les risques liés au crédit. "Des entreprises qui ont peu des capitaux et n'ont pas vraiment de collatéral, c'est plus risqué si les choses vont mal", rappelle Michele Foradori.
Malgré ces quelques inconvénients, le marché européen pourrait vite devenir compétitif. PayPal et Stripe proposent pour l'instant du financement en RBF aux Etats-Unis et dans quelques pays européens (pas la France). La plateforme d'e-commerce Shopify, qui a déjà financé des dizaines de milliers de marchands pour plus de 2 milliards de dollars, pourrait faire de même. Son équivalent français, Prestashop, suit de très près ce phénomène. "C'est un sujet que nous développons. Nous en faisons déjà via des partenariats avec des acteurs comme Bolden et Ulend. D'autres partenariats sont en cours", confie le CEO Alexandre Eruimy. "Le marché est en train de se structurer. Il va se passer exactement la même chose que dans le BNPL (buy now pay later, paiement fractionné en français, ndlr) avec de nouveaux entrants, des expansions internationales et des consolidations", ajoute le dirigeant.
Les banques sont aussi bien placées pour proposer ce type de financement. Elles en font déjà avec certains gros marchands en offline, grâce au flux de caisse. "Les banques vont rentrer mais elles n'ont pas la capacité de monter et d'agréger toutes les données nécessaires pour créer un nouveau scoring de crédit. Mais si elles rentrent, elles casseront probablement les prix", avance Michele Foradori. Avec les taux bas actuels, les start-up ont de quoi prendre un peu d'avance.