Valentin Stalf (CEO de N26) "N26 lance aujourd'hui une offre eSim de voyage en France"
N26 continue d'étoffer ses services, de l'épargne au crédit, et désormais à la téléphonie mobile. Son CEO et cofondateur détaille ses ambitions avec la disponibilité de l'offre eSIM de voyage dans 24 pays européens, dont la France.
JDN. Après avoir lancé votre offre eSIM de voyage en Allemagne, N26 annonce la disponibilité de cette offre dans nouveaux 24 pays, dont la France. Quel est l'objectif derrière cette incursion de N26 sur le terrain des télécoms ?

Valentin Stalf. Effectivement, les clients N26 peuvent activer directement depuis l'application un forfait data voyage à un tarif très compétitif, en seulement quelques clics. Nous proposons trois packages différents, activables avec une seule eSIM dans 130 pays. Concrètement, si vous partez en Asie, vous pouvez activer un forfait de 10 ou 200 Go sans passer par votre opérateur habituel et économiser sur les frais d'itinérance. En 30 secondes, votre nouvelle SIM est activée depuis l'app, sans carte physique ni passage en boutique et le forfait ne s'active qu'à l'arrivée à destination.
En Allemagne, N26 propose également des forfaits classiques. Pensez-vous étendre cette offre à d'autres pays ?
Effectivement, nous proposons aussi de vrais forfaits mobiles en Allemagne. Vous pouvez ainsi remplacer un forfait Vodafone ou T-Mobile par un forfait N26, sans engagement, avec un tarif attractif. Nous réfléchissons à lancer cette offre dans d'autres pays. La France pourrait être le prochain.
Cette diversification vers la téléphonie ouvre-t-elle la voie à d'autres services hors secteur bancaire ?
Nous avons étudié nos groupes cibles, comme les étudiants, les expatriés ou les jeunes familles. Ce sont souvent des profils qui, lors d'un déménagement, cherchent à ouvrir un compte bancaire et souscrire un abonnement mobile. Il y a donc une vraie proximité entre ces deux services. En Allemagne, le marché de la téléphonie est l'un des plus chers d'Europe. Chez N26, nous nous intéressons à cesoù les prix sont trop élevés, pour voir s'il y a une opportunité de rupture. Le financement des téléphones portables est par exemple l'un des plus gros segments de crédit à la consommation dans le monde. Il est possible que nous finissions par y entrer dans les prochaines années.
Quelle est, à votre avis, la prochaine grande rupture technologique dans le secteur du mobile banking ?
Trois grandes vagues ont façonné l'innovation bancaire. La première, dans les années 1990, était centrée sur l'accès en ligne et la réduction des coûts, avec une UX très similaire entre les acteurs. La deuxième a démarré au début des années 2010, avec l'avènement du mobile banking, grâce à des smartphones plus puissants permettant l'émergence d'applications fluides, et N26 a été l'un des premiers à en tirer parti. Aujourd'hui, nous sommes dans une troisième vague, portée par l'intelligence artificielle. L'enjeu n'est plus seulement de proposer une interface front-end soignée, mais d'avoir une véritable intégration verticale permettant un accès à la donnée en temps réel afin d'exploiter pleinement le potentiel de l'IA.
Comment intégrez-vous l'intelligence artificielle dans vos produits et votre organisation ?
L'intelligence artificielle révolutionne plusieurs aspects de notre activité, dont notamment la sécurité des comptes. Chaque transaction et connexion est analysée selon 300points de données pour détecter toute fraude potentielle, souvent avant qu'elle n'ait lieu. Nous traitons plus de 140 milliards d'euros de volume de transactions par an. Sans IA il serait impossible de garantir un niveau de fiabilité aussi élevé, avec des cas de fraude très rares. Le deuxième usage concerne le scoring de crédit. Enfin, nous utilisons aussi l'IA dans le service client.
Ce type d'agent dédié au support client est-il déjà déployé ?
Effectivement, notre chatbot actuel prend déjà en charge près de 35% de notre volume de service client aujourd'hui. Notre ambition est d'aller plus loin vers des agents IA capables de résoudre des problèmes directement sans intervention humaine. Par exemple, si vous indiquez à l'agent que votre carte ne fonctionne plus, celui-ci non seulement vous répondra immédiatement, mais pourra aussi déclencher automatiquement l'envoi d'une nouvelle carte. Dans les prochaines années, je pense que 90% des interactions de service client seront gérées par l'IA, ne laissant que 10% aux agents humains.
N26 a atteint la rentabilité au troisième trimestre de l'année dernière. Qu'est-ce qui a été déterminant pour y parvenir ?
Nous avions déjà une rentabilité par client très solide depuis plusieurs années ; le défi était d'atteindre un volume suffisant pour couvrir nos coûts fixes. Grâce à une base client fidèle, nous sommes parvenus à augmenter notre chiffre d'affaires annuel. Par exemple, les clients arrivés en 2018 génèrent aujourd'hui plus de revenus que lors de leur première année. Ils utilisent davantage leur compte et y transfèrent plus d'argent. Par ailleurs, nous proposons désormais davantage de produits, ce qui augmente le revenu moyen par client, sans faire croître nos coûts fixes. D'autant que notre structure est environ cinq fois plus légère qu'une banque traditionnelle. Même si nous générons un peu moins de revenus par utilisateur, notre rentabilité par client reste importante.
Comment se décompose le modèle de revenus de N26 et quelles sont vos principales sources de revenus ?
N26 compte aujourd'hui environ 5 millions de clients " revenue-relevant ", c'est-à-dire disposant d'un compte vérifié et actif. L'an dernier, un peu moins de la moitié de nos revenus provenaient des intérêts, issus notamment de nos activités de trésorerie, d'investissement et de crédit. L'autre moitié est issue des commissions, incluant les abonnements, paiements par carte, et services additionnels comme l'accès aux lounges d'aéroport que nous venons de lancer. En conclusion, notre modèle repose sur des sources de revenus équilibrées, avec environ 50% d'intérêts et 50% de commissions.
Pourquoi avoir fait le choix, depuis 2020 de vous retirer de certains marchés tels que les US, le Royaume-Uni et le Brésil, pour vous focaliser sur la zone UE ? Une IPO est-toujours d'actualité au cours des deux prochaines années ?
L'Europe représente un marché de 400 millions de consommateurs, et avec une part de marché qui varie aujourd'hui entre 1 et 3% selon les villes, nous avons encore une immense marge de progression. Nous pensons pouvoir construire la plus grande banque du monde simplement en nous développant sur ce marché. C'est pourquoi nous investissons beaucoup sur les marchés allemand, français, italien et espagnol.
Nous avons aussi constaté que la complexité réglementaire devient bien plus élevée en dehors de l'Europe. En nous concentrant sur l'UE, nous pouvons rester proches des exigences locales et avancer plus vite. D'autant que la majorité des Européens sont encore clients de banques traditionnelles où ils paient des frais importants. Il reste donc beaucoup à faire sur ce marché. Concernant l'IPO, c'est un objectif à long terme. Nous voulons préparer l'entreprise à cette étape, mais je ne pense pas que celle-ci aura lieu dans les deux prochaines années.
Valentin Stalf a fondé la banque en ligne mobile N26 en 2013 avec Maximilian Tayenthal. Auparavant, il était entrepreneur en résidence chez Rocket Internet où il a donc accompagné la croissance de plusieurs entreprises dans le secteur des paiements mobiles, dont payleven et Paymill GmbH. Il a obtenu un bachelor en administration et gestion d'entreprise et un master en comptabilité et finance à l'Université de St. Gallen.