PC sous ARM : Windows 11 et Qualcomm dessinent une alternative à l'Apple M1

PC sous ARM : Windows 11 et Qualcomm dessinent une alternative à l'Apple M1 L'évolution des Mac vers la nouvelle architecture de processeur a fait entrer l'écosystème Windows en ébullition. Microsoft prépare la riposte, mais les défis techniques sont nombreux à surmonter.

"Le processeur Apple M1 a posé les bases du marché, maintenant on doit rivaliser", lance Jean Varaldi, directeur France du fournisseur américain de semi-conducteurs Qualcomm. La course est lancée pour la rentrée avec un objectif majeur : répliquer le succès d'Apple dans l'univers Windows. À l'occasion de sa conférence annuelle à destination des développeurs (WWDC) en juin 2020, la firme californienne annonçait l'abandon des puces Intel dans ses Mac au profit de processeurs maison à l'architecture dite ARM, celle utilisée dans les smartphones et tablettes Android. Un an après, le défi technique est rempli : les puces M1 écrasent les performances des Intel Core i5 et i7 en consommant (très) peu d'énergie, parfois sans ventilateur et avec un système stable. Commercialement, la marque à la pomme n'a pas raté le coche non plus. Ses nouveaux Mac s'arrachent et le modèle économique est bien huilé, la puce M1 équipe toute une gamme d'ordinateurs… mais aussi l'iPad Pro, une belle stratégie logistique qui réduit considérablement les coûts de fabrication.

En face, la concurrence sous pavillon Windows s'active et prépare sa riposte. Mais contrairement à Apple qui maîtrise le logiciel et le matériel jusque dans la conception des puces, l'écosystème de Microsoft est plus éclaté. Entre les multiples constructeurs de terminaux et développeurs d'applications Windows, la transition de l'architecture x86 (portée historiquement par Intel et AMD) vers ARM demandera des efforts intenses de concertation. La raison ? Une nouvelle architecture implique l'adoption d'un nouveau langage informatique, nécessitant de réécrire OS, logiciels, pilotes et plugins. Le chantier ne fait que commencer.

Windows 11 : un nouvel espoir

Annoncé en grande pompe cet été, Windows 11 promet un relifting de son interface graphique aux côtés de nouvelles fonctionnalités (notamment l'intégration de Microsoft Teams, de nouveaux widgets et une nouvelle marketplace). Mais chez les constructeurs prêts à entamer leur mue vers les processeurs ARM, l'OS intéresse davantage pour ses différentes déclinaisons. Microsoft ne pouvait pas passer à côté : en plus de sa traditionnelle version x86, l'édition ARM est désormais au cœur de la stratégie de la firme. Un tournant qui semble sensible, Microsoft n'a pas souhaité répondre à nos questions sur ce point.

Ce n'est pas la première fois que Windows est proposé pour les plateformes ARM. En 2012, Microsoft lançait Windows RT, une version dérivée de Windows 8 exclusivement conçue pour cette architecture. Mais le produit a déçu. Son principal point faible ? Il ne permettait pas d'installer des applications en dehors du Microsoft Store. Pour cause, les logiciels tiers téléchargeables sur le web étaient incompatibles car compilés pour l'architecture x86. Autant dire que les usages étaient maigres. Même problème en 2019 lorsque Microsoft sort sa Surface Pro X, équipée d'un processeur Qualcomm Snapdragon pour faire tourner "Windows 10 on ARM", la promesse était belle sur le papier, mais l'écosystème applicatif quasi-inexistant.

"Dans les faits, on voit déjà des apps Android ou iOS qui tournent sur Windows"

Avec Windows 11, Microsoft veut se relancer dans la course et tout faire pour inciter les constructeurs à adopter une version ARM de son OS. C'est précisément pour pallier au manque de logiciels compatibles avec les processeurs du même nom qu'un émulateur répondant au doux nom de ARM64EC y sera intégré. De la même manière que Rosetta 2 pour Mac OS, il permettra de faire tourner les applications conçues à l'origine pour Windows (et la technologie x86) sur des architectures ARM. Plus facile à dire qu'à faire. Pour convaincre le public, ARM64EC devra tenir sa promesse en termes de stabilité, de discrétion et de compatibilité avec un large éventail applicatif.

Si Apple a réussi sa transition avec succès, c'est en grande partie grâce au support natif de logiciels comme Photoshop ou Premiere Pro dès le lancement de la puce M1, alors même qu'ils étaient émulés par Rosetta 2. Nul doute que Windows 11 sera stable avec des puces ARM, mais la compatibilité des logiciels tiers constituera le critère principal des utilisateurs. A terme, l'émulation ne devra pas être la règle, car cette technique ne permet pas de profiter pleinement des capacités de la puce embarquée sur le PC. Les éditeurs devront être incités à compiler leurs logiciels à la fois pour x86 et ARM.

Des développeurs à convaincre

Revoir leurs plus belles applications pour les rendre compatibles avec la nouvelle architecture, voilà ce que demandent Apple et Microsoft aux éditeurs. Un procédé qui nécessite des investissements conséquents. Pourquoi s'aventurer vers une plateforme peu utilisée sur le segment des ordinateurs personnels, et donc peu rentable ? Le dilemme est posé. Les acteurs poussant au développement des PC sur l'architecture ARM doivent convaincre du potentiel de marché que cela représenterait. "C'est un frein économique parce qu'il faudra compiler en parallèle deux sets logiciels différents", explique Lindsay Chemet, consultante du cabinet de conseil ABGI. Non seulement les applications devront être pensées pour deux systèmes, mais elles devront aussi être maintenues en parallèle.

L'argument ne tient pas pour tous les acteurs du secteur. Certains éditeurs proposent déjà des logiciels compatibles à la fois avec les PC ainsi que les smartphones et tablettes, y compris ceux tournant sur ARM. "On a connu des freins plus gros. Les développeurs pensent depuis longtemps multisupport. Dans les faits, on voit déjà des apps Android ou iOS qui existent sur Windows", confirme Lindsay Chemet. 

La porte enfoncée par Apple devrait faciliter le mouvement. Depuis le lancement des Mac M1 il y a un an, les plus grands éditeurs se sont empressés de proposer une version ARM de leurs applications. Lightroom, Photoshop, Microsoft Office… Tout fonctionne désormais nativement sur Mac OS. En toute logique, les fournisseurs auront intérêt à effectuer le même travail pour la version ARM de Windows 11.

Qualcomm attend son heure

Parmi les acteurs concernés : Qualcomm. L'entreprise américaine est à la pointe sur les processeurs ARM et inonde le marché des smartphones et tablettes sous Android avec ses processeurs Snapdragon. Jusqu'à présent, l'utilisation de ses puces dans un environnement Windows était plus qu'expérimental. "Il y a 200 millions de PC vendus par an. Pour nous, ARM représentait zéro jusqu'ici sur le créneau des ordinateurs personnels. Du coup, la croissance potentielle dans ce domaine est énorme", s'enthousiasme Jean Varaldi, directeur France de Qualcomm, en évoquant la perspective de capter 10 à 20% de parts de marché du nouveau segment.

"Pour Qualcomm, l'annonce du processeur M1 sur les Mac a été un déclic"

Par où commencer ? Comment se positionner ? "Ces questions ont longtemps animé les discussions en interne chez Qualcomm", nous confie le responsable. Difficile d'anticiper la place que pourrait occuper le groupe sur un tout nouveau marché avec AMD et Intel en face, des mastodontes installés sur le terrains des PC depuis des décennies. Pour Jean Varaldi, Apple a permis à l'entreprise de franchir une première barrière. "L'annonce du processeur M1 sur les Mac a été un déclic. Nous étions heureux de voir qu'Apple confortait tous les messages que l'on donnait depuis plusieurs années, cela a crédibilisé notre position (en faveur d'une politique ARM ouverte aux ordinateurs, ndlr)", affirme-t-il. Il est vrai que Qualcomm réfléchit à cette opportunité depuis de nombreuses années, mais n'avait pas réussi à provoquer d'élan après le partenariat noué avec Microsoft au Computex en 2016.

Tous les feux sont désormais au vert pour la société. Deux objectifs restent à atteindre : fournir une alternative combinant ARM et Windows au moins aussi efficace que le processeur M1 d'Apple et convaincre les constructeurs de PC de la valeur ajoutée que peut apporter cette nouvelle architecture. Jean Varaldi en est persuadé, ce n'est plus la puissance brute de calcul qui compte aujourd'hui dans un ordinateur, mais sa polyvalence en mobilité, d'où le choix de l'architecture ARM : "Le CPU, c'est 15% de la surface d'un SoC (System on a Chip, ndlr), le reste ce sont les fonctions multimédia ou la sécurité par exemple." Partant de là, les puces ARM ont une particularité qui explique leur efficacité sur smartphone : elles regroupent harmonieusement en un SoC le processeur, des composants consacrés à l'IA, à l'encodage vidéo, la carte graphique, la mémoire vive et jusqu'au stockage SSD.

Pour se différencier sur PC, Qualcomm est prêt à dégainer un autre atout : le réseau. L'entreprise équipe une bonne partie des smartphones vendus avec ses modems 4G et 5G. "Nous avons une stratégie associant de plus en plus SoC et réseau", complète Jean Varaldi.

Paradoxe de l'architecture ARM sur PC, Microsoft a été le premier à y croire avec le lancement (finalement avorté) de Windows RT en 2012. Le groupe a encore tout à faire pour gagner son pari là où Apple a pris une avance considérable. Le lancement de Windows 11 est prévu pour le mois d'octobre et la future gamme de Snapdragon pour PC n'arrivera pas avant 2022. En attendant que la situation se décante, Qualcomm lorgne du côté de Google. "Nous voulons être le meilleur constructeur, y compris en matière de Chromebook", glisse Jean Varaldi.