Capital as a Service : ces plateformes d'IA qui remplacent les capitaux-risqueurs

Capital as a Service : ces plateformes d'IA qui remplacent les capitaux-risqueurs En misant sur le machine learning pour analyser le potentiel des start-up, Captec.io, Clearbanc ou encore Pipe offrent un service de financement immédiat, alternative au capital-risque.

"Nous estimons qu'avec les bons outils, l'accès au capital privé peut devenir aussi prédictible et efficient qu'acheter un produit sur Amazon", lance Csaba Konkoly, président de Captec.io. Le ton est donné. Aux côtés d'autres acteurs émergents originaires d'Amérique du Nord tels Clearbanc, Lighter Capital, Pipe ou Wayflyer, la société de New York se positionne dans le Capital as a Service (CaaS). Le défi : recourir au machine learning pour anticiper le potentiel de croissance d'une start-up et ainsi accélérer la prise de décision d'investissement. Le CaaS pourrait-il ubériser les circuits de financement privé traditionnels ? Il ouvre en tous cas la voie à un nouveau modèle d'analyse de marché dont peuvent se saisir les fonds historiques. Se positionnant en intermédiaire, Captec.io cible d'ailleurs ces derniers par le biais d'une offre ad hoc.

Porte-drapeau du CaaS, Clearbanc sort du lot avec 20 millions de dollars levés depuis sa création en 2015. D'après Business Insider, cet acteur originaire de Toronto serait actuellement en pourparlers en vue d'un nouveau tour à hauteur de 100 à 200 millions de dollars. Menée par Oak HC/FT, l'opération pourrait hisser sa valorisation entre 1,75 et 2 milliards de dollars. L'information intervient alors que son rival Pipe vient tout juste de boucler, selon Techcrunch, une levée de 150 millions de dollars après avoir annoncé un investissement de 50 millions de dollars début mars. Le tout porterait sa valorisation à 2 milliards de dollars. Le point commun des deux licornes : cibler des capitaux dans le secteur digital.

"Nous jouons un rôle de facilitateur en rendant les règles du jeu plus équitables, notamment pour les entreprises en phase d'amorçage"

Fondé en 2019, Pipe propose à l'instar de Captec.io une place de marché mettant en relation investisseurs et start-up. Il se concentre sur les activités digitales basées sur un modèle de souscription générant un revenu annuel récurrent. Son IA évalue les indicateurs clés des jeunes pousses en se connectant directement à leurs systèmes de comptabilité et de gestion des paiements. A partir de cette analyse, elle fixe ensuite aux acteurs en présence un montant limite de négociation. Au premier trimestre 2021, Pipe revendique plusieurs dizaines de millions de dollars de transactions réalisées via sa marketplace. En retour, Pipe facture aux deux partis des frais de négociation jusqu'à 1% de l'opération, en fonction du volume.

"Nous jouons un rôle de facilitateur en rendant les règles du jeu plus équitables. C'est particulièrement le cas pour les entreprises en phase d'amorçage qui ne pourraient pas avoir accès au capital autrement", insiste Harry Hurst, co-CEO et cofondateur de Pipe. Parmi ses références côté financement, la société de Miami revendique les fonds Anthemis ou MSD Capital (propriété de Michael Dell), mais aussi les branches d'investissement de Shopify ou de Slack. "La plateforme de Pipe simplifie le process long et fastidieux des levées traditionnelles et permet aux entrepreneurs de se concentrer sur la croissance de leur produit", reconnait Monty Gray, vice-président sénior du développement corporate chez Okta, spécialiste de la gestion d'identité en mode cloud et également utilisateur de Pipe via son fonds de capital-risque Okta Ventures.

Des analyses concurrentielles automatisées

Chez Clearbanc, le business model est assez différent. Ciblant prioritairement l'e-commerce, la société réalise directement des investissements sous forme de prêts. "Nous prêtons par exemple 100 000 dollars, puis nous prenons 5% du chiffre d'affaires jusqu'à nous rembourser en totalité en prenant un taux fixe de 6%", explique Michele Romanow, présidente et cofondatrice de Clearbanc. Principal avantage pointé du doigt par la dirigeante : il n'est pas nécessaire de faire valoir une courbe de croissance exponentielle comme dans le capital-risque classique pour trouver sa place sur la plateforme. Une caractéristique qui permet à Clearbanc de balayer large, de structures de 100 000 dollars à plusieurs dizaines de millions de dollars de chiffre d'affaires annuel.

Sur les deux dernières années, Clearbanc revendique 1,6 milliard de dollars de financement drainés dans pas moins de 4 000 entreprises de commerce en ligne, dont Easyship, Leesa, Sheertex ou encore Untuckit pour n'en citer que quelques-unes. Comme chez Capital et Pipe, le Canadien glane ses données au sein des systèmes d'information des start-up qui sont au total plus de 20 000 connectées à sa plateforme. "Nous nous connectons aux applications d'e-commerce, aux comptes publicitaires et places de marché associés, mais aussi aux services de paiement utilisés et aux briques de gestion comptable. Nous en déduisons la performance des revenus, le retour sur les dépenses publicitaires et le coût d'acquisition client", détaille Michele Romanow. En coulisses, de multiples modèles de machine learning sont mis en œuvre par une R&D de 20 data scientists. L'objectif est in fine de décrypter la position de marché, la trajectoire du chiffre d'affaires, et jusqu'au potentiel de croissance comparé aux concurrents de la même verticale. Pour évaluer la valorisation, Clearbanc s'adosse à la fois à ses propres données d'investissement, mais aussi à une compilation d'informations publiques sur les levées de fonds réalisées dans l'e-commerce.

"Les marchands ont la possibilité de visualiser où ils en sont par rapport à leur secteur. Ils ne naviguent plus à l'aveugle"

Clearbanc met à jour son analyse chaque semaine. "Les marchands ont ainsi la possibilité de visualiser où ils en sont par rapport à leur secteur. Ils ne naviguent plus à l'aveugle", argue Michele Romanow.

Pour compléter son offre, Clearbanc ouvre également son service aux investisseurs : acquéreurs potentiels, business angel et fonds, parmi lesquels Bessemer Venture Partners, Founders Fund ou encore Inovia Capital. Un positionnement complémentaire qui lui permet d'améliorer son attractivité tout en se donnant les moyens d'enrichir ses connaissances sur l'état de l'offre et de la demande, en vue d'aiguiser encore plus finement ses modèles. 

Eviter les dilutions excessives

Même son de cloche chez Captec.io. "Le process de levée de fonds traditionnel n'est pas seulement trop long. Il est aussi opaque pour les fondateurs comme pour les acquéreurs, et peut être sujet à des biais. A l'inverse, nous proposons une approche certes plus rapide, plus juste, mais aussi un process de marché plus transparent grâce à l'IA et aux données commerciales directes", souligne Blair Silverberg, CEO de la société. Chez AME Cloud Ventures (fonds d'investissement de Jerry Yang, fondateur de Yahoo!) et également actionnaire de Captec.io, Nick Adams complète : "Jusqu'ici, accéder à un financement privé important et sophistiqué passait par une approche manuelle d'un autre temps. Les algorithmes de classification et les techniques de machine learning permettent désormais de saisir le véritable coût du capital et d'éviter les dilutions excessives."

A l'international, là-encore, Clearbanc ouvre la voie. Alors qu'elle s'est lancée en Europe en octobre dernier en commençant par la Grande-Bretagne, la société de Michele Romanow lorgne maintenant la France. Face à elle, la toute jeune start-up hexagonale Silvr, fondée en 2020, commercialise une solution assez comparable. Elle propose de financer les campagnes digitales des e-marchands avec, de même, un mode de remboursement basé sur une part du chiffre d'affaires et une commission de 6 et 9%. 

"La France est un marché dynamique en termes d'e-commerce avec des acteurs incroyables", estime Michele Romanow. Pour accélérer sa croissance, Clearbanc compte aussi sur son réseau de partenaires. En attendant l'officialisation d'une peut-être nouvelle levée de fonds, l'entreprise envisage déjà d'entrer en bourse. "C'est une piste que nous allons étudier dans les deux ans. Sachant que nous devrons consolider notre croissance d'ici là", confie Michele Romanow. A l'heure du Covid et de l'explosion des besoins dans le commerce en ligne, Clearbanc entend accélérer le mouvement. De 270 salariés aujourd'hui, elle ambitionne de doubler ses effectifs d'ici la fin de l'année.