Guillaume Vuilletet (Renaissance) "Il faut encadrer l'IA par le droit d'auteur avant que de mauvaises pratiques ne s'installent"

Guillaume Vuilletet, député Renaissance, est l'auteur principal d'une proposition de loi qui vise notamment à soumettre l'utilisation d'œuvres protégées dans des systèmes d'IA à rémunération.

JDN. Quels sont les objectifs de la proposition de loi "visant à encadrer l'intelligence artificielle par le droit d'auteur" ?

Guillaume Vuilletet. Il y a deux aspects à considérer. Le premier est de reconnaître que la rémunération pour la création doit revenir à l'auteur de l'image, du texte ou de la musique. En d'autres termes, au créateur lui-même, et non à celui qui utilise simplement l'intelligence artificielle pour traiter les données. L'idée est qu'on devrait, à terme, être en mesure d'assurer facilement la traçabilité de l'œuvre. Pour donner une analogie quelque peu critique, on pourrait dire que si on prépare de la purée, on utilise bien un presse-purée, mais ce n'est pas le presse-purée qui est à l'origine, il ne fait rien par lui-même, ce n'est pas lui qui a fourni la pomme de terre, ni rien d'autre. L'IA est assez similaire à cet égard.

L'intelligence artificielle n'est pas de la création à proprement parler. C'est un outil qui n'a pas d'intelligence comme peut l'avoir un humain. C'est ce que nous avons d'ailleurs défendu concernant son utilisation pour les JO (dans le cadre de la reconnaissance faciale). L'IA n'a pas d'intelligence en soi, elle a seulement la capacité d'absorber des données, et en fonction des objectifs qu'on lui fixe, de les traiter pour donner un résultat attendu. Donc, l'IA en elle-même ne génère pas de preuve d'auteur, ce qui n'exclut pas la possibilité de tirer profit du produit final.

Guillaume Vuilletet, député Renaissance. © GV

Est-ce techniquement envisageable ?

Nous devrions être en mesure de retrouver les auteurs qui ont inspiré une œuvre, puisque contrairement aux personnes qui s'inspirent de nombreux auteurs pour créer quelque chose, l'algorithme se contente de traiter des données. Aujourd'hui c'est complexe, mais demain cela deviendra de plus en plus simple. Il s'agit donc ici de rémunérer les auteurs à qui l'on aurait dû demander, selon la loi, l'autorisation d'utiliser leur travail et à qui on n'a pas accordé cette courtoisie. Et lorsque c'est trop complexe, comme c'est le cas actuellement pour des œuvres majeures, un système devrait être mis en place pour permettre une sorte de répartition préalable ou un partage de leur richesse.

Est-il nécessaire de rajouter une couche supplémentaire de régulation alors que l'AI Act entre en vigueur en 2026 ? Le texte ne risque-t-il pas de brider un peu plus l'innovation ?

L'AI Act c'est en 2026. Il est crucial d'établir un cadre rapidement. Car si des mauvaises pratiques s'installent sans régulation préalable, il sera difficile de faire marche arrière. La création de la norme européenne se fait avec tous les membres de l'Union. Il n'y a aucun inconvénient à être parmi les premiers pays à agir. Par ailleurs, dans un domaine en rapide évolution comme l'intelligence artificielle, il est essentiel d'anticiper et de mettre en place des régulations adaptées dès que possible. Par ailleurs, je ne vois pas clairement comment cela pourrait constituer un frein.

"Il vaut mieux réfléchir posément à ces questions plutôt que de décider dans la précipitation"

Je pense qu'en effet, si l'on peut utiliser librement le travail et la créativité de ceux qui nous ont précédés pour créer un produit, il n'est pas nécessaire d'avoir une concurrence et c'est simplement inapproprié. Si l'on utilise la créativité de 10 auteurs pour générer un texte, il est logique de rémunérer ces 10 auteurs. Et si l'on n'est pas capable de les identifier, il n'y a rien de surprenant à ce qu'il y ait une compensation.

Il vaut mieux réfléchir posément à ces questions plutôt que de décider dans la précipitation ou sous le coup de l'émotion. Nous devons nous interroger sur l'adéquation entre les libertés publiques, les capacités techniques croissantes des IA, les attentes de la société et le cadre légal. Autrement dit, il s'agit de trouver le bon équilibre.

Vous évoquez un modèle de taxation sur le principe de la Sacem. Concrètement, comment cette redevance fonctionnerait-elle ?

La Sacem, elle fait payer, par exemple, aux salons de coiffure une petite redevance. Comme on ne va pas systématiquement vérifier et que les salons de coiffure n'ont pas toujours pensé à déclarer chacune des chansons diffusées, il y a une sorte de priorisation qui se fait. Et cela sera, à mon avis, plus efficace pour l'intelligence artificielle, parce que malgré tout, on est capable de retrouver un certain nombre de sources. Ici, le système serait basé sur la déclaration.

"Il y a un débat à avoir, des choses à préciser, évidemment. C'est un travail en construction, mais qui me paraît vraiment utile"

Tout comme les créateurs de musique, d'autres organisations collectives et sociétés enregistrent et déclarent leurs œuvres. La Sacem observe la diffusion et une sorte de parts de marché, puis attend des lieux de diffusion qu'ils se déclarent et payent cette fameuse taxe. On est dans un système qui sera, à mon avis, très comparable, sauf qu'il est sur l'espace numérique, donc beaucoup plus fiable. Cependant, je le dis avec humilité, il y a un débat à avoir, des choses à préciser, évidemment. C'est un travail en construction, mais qui me paraît vraiment utile, car il y a besoin de ces régulations.

Le texte peut-il avoir une majorité ?

Je pense qu'on peut effectivement obtenir une majorité sur ces questions. Bien sûr, il y a des clivages politiques évidents. Mais je pense aussi qu'il y a un fond de bon sens. L'idée est donc qu'en faisant appel à la raison et au pragmatisme, on peut dégager une majorité sur ces sujets complexes, malgré les divergences politiques. Il s'agit de problématiques qui nécessitent de trouver un équilibre et des régulations adaptées, même si nous n'en mesurons pas encore tous les aspects.