Quelle protection des créateurs face à l'IA ?

Dans une proposition de loi du 12 septembre 2023, les parlementaires proposent que les œuvres générées par des IA soient protégées par le droit d'auteur.

Dans une proposition de loi du 12 septembre 2023, les parlementaires proposent que les œuvres générées par des IA soient protégées par le droit d’auteur, lequel serait attribué à ceux dont les œuvres ont permis d’entraîner l’IA pour les générer.

Quoique la protection de ces œuvres puisse être juridiquement justifiée, l’attribution des droits aux auteurs antérieurs est discutable.

Indéniablement, la qualité artistique de ces créations alimente la polémique[1]. Que l’on considère que l’art est l’expression du « génie »[2]  ou du travail acharné[3] de l’artiste, le manque d’intervention humaine dans le processus créatif fâche[4].

Mais la question de la protection par le droit d’auteur, juridique, ne doit pas être confondue avec celle, philosophique, de la qualification d’œuvre d’art de ces créations. Le juge, « bouche de la loi » ne saurait être critique d’art.

En France, l’œuvre doit être originale pour être protégée par le droit d’auteur, c’est-à-dire porter « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ».

Précisément.

A titre d’illustration, sous l’angle du copyright, les juges américains l’ont estimé inapplicable dans le cas d’une image générée de façon autonome par une IA[5]. Pour autant, la protection semble possible lorsque l’arrangement ou la modification des créations générées dénote une participation humaine suffisante[6].

Ainsi, et assez logiquement, la protection par le droit d’auteur de ces œuvres dépendrait du degré d’intervention humaine.

Mais est-il justifié que les auteurs des œuvres ayant entrainé l’IA pour générer la création soient titulaires des droits, comme cela est proposé ?

Pour novatrice qu’elle soit, cette idée est contradictoire.

En effet, le geste artistique doit traduire un minimum d’intention[7]. D’ailleurs, même dans le cas des œuvres dites « composites », c’est-à-dire réutilisant des œuvres préexistantes, le droit d’auteur est octroyé à l’artiste réalisateur, celui qui a l’intention, de l’œuvre nouvelle[8].

Partant, si seule l’intervention de la personne ayant eu l’intention de créer l’œuvre permet de justifier l’application du droit d’auteur, alors son attribution aux seuls auteurs antérieurs parait absurde. Nulle autre personne que celle ayant réalisé la création, voire le développeur de l’IA en fonction du degré de participation, ne saurait être titulaire des droits.

Certes, on comprend l’intention des députés de vouloir protéger les créateurs en leur octroyant des droits sur toute œuvre générée employant leur travail. Et cette volonté est d’ailleurs traduite dans la proposition qui prévoit l’autorisation de ces derniers pour l’exploitation de leurs œuvres par l’IA.

Mais cette ambition contrevient à l’exception au droit d’auteur de fouille de texte[9] qui permet d’analyser en masse des données en ligne (y compris des œuvres protégées) afin d’entrainer des algorithmes. Or, rappelons que cette exception est issue du droit européen[10], norme supérieure, et que les ambitions européennes en matière d’IA sont clairement de l’encourager[11].

[1] A titre d’exemple, une image générée par l’IA Midjourney a gagné un concours artistique : https://www.nytimes.com/2022/09/02/technology/ai-artificial-intelligence-artists.html

[2] Kant, Critique de la faculté de juger

[3] Nietzsche, Humain, trop humain

[4] https://www.numerama.com/tech/1221908-les-ia-generent-des-images-mais-pas-de-lart.html

[5] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/08/22/les-uvres-visuelles-creees-par-intelligence-artificielle-sans-contribution-humaine-ne-sont-pas-soumises-au-droit-d-auteur-selon-un-juge-federal-americain_6186212_4408996.html

[6] https://actualitte.com/article/110439/international/etats-unis-la-creation-d-une-ia-ne-peut-pas-beneficier-du-copyright A noter que cette décision rejette de façon discutable la participation de l’autrice au processus créatif via les prompts, au motif que celle-ci n’en maitriserait pas le résultat. Le Copyright Office a également publié des recommandations : https://www.federalregister.gov/documents/2023/03/16/2023-05321/copyright-registration-guidance-works-containing-material-generated-by-artificial-intelligence

[7] Sur cette intention, nous renvoyons aux Ready-mades de Duchamp.

[8] Article L.113-4 du Code de la propriété intellectuelle : « L'œuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l'œuvre préexistante. »

[9] Article L.122-5 10° du Code de la propriété intellectuelle

[10] Articles 3 et 4 de la Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE

[11] Résolution du Parlement européen du 20 octobre 2020 sur les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle