Les enjeux créatifs et juridiques de l'IA pour les auteurs

Décryptage sur les problématiques soulevées par l'IA générative : les auteurs sont-ils amenés à disparaître ? Entre visions fantasmée et véritables menaces, avons-nous raison d'avoir peur de l'IA ?

Le moment est bien choisi pour s’interroger sur les enjeux créatifs et juridiques de l’Intelligence artificielle (IA) pour les auteurs, 6 semaines après l’Accord signé par la WGA (syndicat des scénaristes) avec les acteurs de l’industrie cinématographique de Hollywood et 5 jours après celui signé par la SAG-AFTRA, syndicat des acteurs.

Si le point de départ de ces négociations avait été la remise à niveau de leurs rémunérations, il est clairement apparu que la question de l’usage de l’AI était le vrai sujet.

Il est essentiel lorsque l’on s’interroge sur les enjeux juridiques de l’AI, d’aborder en premier lieu, la notion d’enjeu créatif tant la question de la protection juridique des œuvres et des auteurs est liée à l’existence, la teneur, le niveau, et l’originalité de la création. Rappelons que le principe directeur de toutes les créations est cette notion d’originalité, laquelle est définie comme « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». C’est l’œuvre originale qui fait l’auteur, qui bénéficie alors du corpus de lois protectrices.

Cette technologie de l’IA est connue, depuis bien des années, des chercheurs et des industries. Elle a même été réglementée au travers de la directive DAMUN du 17 avril 2019, transposée en droit français par ordonnance du 24 novembre 2021 qui a, notamment, instauré l’exception du data mining (la fouille de textes et de données). Le décret du 23 juin 2022 a ensuite complété l’article L.122.5.3 du CPI, l’exception au droit patrimonial d’auteur à l’autorisation obligatoire de l’auteur pour la reproduction et représentation de son œuvre a été posée, sans que personne ne réagisse défavorablement. Au contraire, tous se sont alors accordés sur le fait que l’AI était un outil formidable qui allait faire disparaître les emplois de ceux qui font des tâches répétitives et sans valeur ajoutée, les « bullshit jobs ». Cette IA était une avancée technologique de même nature que la mécanisation des métiers à tisser et que l’avènement d’Internet.

Novembre 2022, coup de tonnerre dans ce ciel serein du consensus et de la relative indifférence : des IA génératives ont été mises sur le marché. 

En termes d’enjeux juridiques, les juristes disent que le vide juridique n’existe pas et que nous avons à notre disposition le code de la propriété intellectuelle, des décisions de justice, la RGPD et des contrats qui pourront tenir compte de la dimension de l’IA. Ce corpus juridique existant est enrichi des nouveaux mécanismes suivants :

L’article 72 du mémorandum of agreement de la WGA susvisé a clairement indiqué les contours autorisés du recours à l’IA dans la production de films que nous pouvons résumer ainsi : l’utilisation de l’IA générative n’est pas autorisée pour écrire ou réécrire un texte, le contenu généré par une IA générative ne peut être considéré comme matériau source ni impacter les crédits d’un auteur. Un scénariste pourra, s’il le souhaite, utiliser l’IA à condition de le faire en conformité aux politiques du producteur et le producteur ne pourra exiger d’un auteur qu’il utilise l’IA. Une totale transparence est requise. 

A l’issue des rounds de négociation, le bien connu pragmatisme américain a remis l’IA à sa place d’outil, son principal rôle, et ce, en limitant l’émotion qu’elle suscite.

Nul doute que cet exemple américain inspirera les organisations représentatives des auteurs et des producteurs qui ont pris cette habitude de négocier des accords interprofessionnels avec les producteurs pour encadrer d’une part, les méthodes de travail d’écriture et de réalisation, et d’autre part les rémunérations minimales.

En France, une nouvelle proposition de loi visant à « encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur » a été déposée le 12 septembre 2023. Elle vise à mieux rémunérer et protéger le travail des auteurs, notamment lorsqu'une IA s’inspire de créations et s'entraîne avec pour générer un contenu.

En l’état de la technique, beaucoup s’accordent à dire que ce projet est insuffisant et reste à l’état de vœu pieu. 

Quant à la SACEM, elle a exercé son droit d’opt out exprimant ainsi son opposition à la fouille des données constituées par son répertoire le 13 octobre 2023, marquant ainsi un coup d’arrêt spectaculaire à la fouille de ses œuvres sur la base de l’exception du data mining de l’article L.122.5.3 du CPI.

Enfin, au niveau européen sur la réglementation sur l’IA, le troisième trilogue s’est achevé le 3 octobre 2023 et le droit d’auteur reste encore en question. Les sujets de l'entraînement des IA sur les œuvres préexistantes et ses conséquences sur les droits des auteurs ne sont pas encore fixées.

Il est certain que de nombreux métiers de la création vont disparaitre, et notamment, ceux dont les œuvres ne répondent déjà plus vraiment à l’exigence de l’originalité, obligeant ainsi certains juges à tenir implicitement compte du mérite de l’œuvre pour décider d’accorder ou non une protection à l’auteur.

Et si pour faire avancer la réflexion, nous arrêtions de nommer cet outil par cet oxymore poétique : « Intelligence Artificielle », qui effraie et paralyse sans doute notre manière de traiter ce qui n’est finalement qu’un simple outil ?

Seule l’intelligence est humaine !