Nicolas Do Huu (Iktos) "Avec l'IA, Iktos veut réduire de moitié le temps de découverte des médicaments"
Nicolas Do Huu est fondateur et CTO d'Iktos. La start-up aide l'industrie pharmaceutique à concevoir plus rapidement des molécules en réduisant les coûts et le temps de recherche & développement.

JDN. Qu'est-ce qui vous a conduit à appliquer l'IA à la chimie et comment cette idée s'est-elle transformée en la création d'Iktos ?
Nicolas Do Huu. En testant le deep learning sur des données moléculaires encodées en Smiles (format standardisé pour décrire la structure des molécules chimiques sous forme de chaîne de caractères, ndlr), j'ai obtenu des résultats remarquables avec 90% de fiabilité dans la génération de molécules. La collaboration avec un chimiste médicinal m'a convaincu du potentiel pour le développement de médicaments. Nous avons créé Iktos en 2016, positionnant l'entreprise à l'avant-garde de l'IA générative en pharmacie. Après un financement initial, nous avons recruté Yann Gaston-Mathé comme CEO et adopté un modèle SaaS pour commercialiser notre technologie.
Comment votre technologie robotique transforme-t-elle concrètement l'approche traditionnelle de la chimie médicinale ?
Notre technologie repose sur trois piliers complémentaires. D'abord, notre premier logiciel de génération de structures moléculaires. Ensuite, Spaya, notre deuxième technologie inspirée d'une publication dans Nature, qui utilise l'IA pour la rétrosynthèse, c'est-à-dire déterminer les différentes voies de synthèse possibles pour une molécule donnée. Cette approche, basée sur l'apprentissage des réactions chimiques, a remplacé les systèmes traditionnels fondés sur des règles expertes.
Et enfin, plus récemment, nous avons développé une innovation en robotique grâce à un financement de la BPI de près de 2 millions d'euros. En dix mois, nous avons réussi à connecter nos IA à un robot de synthèse. Notre système d'IA de planification peut désormais analyser une molécule cible, identifier les voies de synthèse compatibles avec le robot, sélectionner les composants les plus économiques, gérer automatiquement les commandes et les stocks, et superviser la synthèse.
L'avantage principal de cette automatisation est l'accélération significative du processus de découverte de médicaments. Traditionnellement, il faut environ 2 000 essais pour identifier la molécule idéale, chacun nécessitant des cycles de conception, synthèse, analyse et test. Notre approche intégrée, combinant conception automatique, rétrosynthèse et synthèse robotisée, vise à réduire de moitié le temps de chimie médicinale, accélérant ainsi le développement de nouveaux médicaments. Un seul robot peut accomplir le travail d'une trentaine de chimistes.
Quels types de modèles d'intelligence artificielle utilisez-vous pour la découverte de molécules ?
Nous utilisons plusieurs types de modèles. D'abord, des modèles génératifs basés sur les transformers, avec une architecture différente de GPT. Nous avons aussi des modèles de prédiction plus classiques qui, à partir de données tabulaires sur les molécules, génèrent des scores de prédiction permettant un apprentissage par renforcement.
Plus récemment, nous avons développé des modèles génératifs basés sur l'énergie, similaires aux algorithmes de diffusion utilisés pour les images. L'objectif est de concevoir directement les molécules en 3D dans la poche de la protéine cible, en calculant les énergies d'interaction entre les atomes et la protéine pendant la génération. Pour le développement de ces modèles, nous suivons l'approche commune dans le secteur : nous partons de modèles open source existants, implémentés notamment sur PyTorch, que nous adaptons et affinons selon nos besoins.
Qui sont vos principaux clients aujourd'hui ?
Notre clientèle est principalement constituée de grands laboratoires pharmaceutiques internationaux. Basés à Paris avec des filiales au Japon et à Boston, nous collaborons avec les principales sociétés pharmaceutiques américaines, japonaises et européennes. En France, nous travaillons notamment avec Servier et Pierre Fabre. Nos clients acquièrent des licences de nos logiciels de génération et de rétrosynthèse, souvent les deux ensembles.
Quels sont les principaux obstacles à l'adoption de vos technologies par l'industrie pharmaceutique ? Comment travaillez-vous pour surmonter ces résistances ?
L'adoption de nos technologies se heurte principalement à la structure très cloisonnée du secteur pharmaceutique. Les chimistes y occupent une position comparable à celle des "nez" dans l'industrie du parfum. L'introduction de technologies d'IA peut être perçue comme une menace potentielle pour leur position.
Face à cette résistance, notre stratégie a été de démontrer l'efficacité de notre workflow 2.0 dans notre propre laboratoire. Cette approche bottom-up, commençant par le niveau laboratoire avant de remonter vers la conception, s'avère plus efficace. Nous rencontrons cependant encore des résistances, particulièrement aux niveaux hiérarchiques supérieurs.
Combien y a-t-il de molécules générées par l'IA actuellement ?
Il existe actuellement une dizaine de molécules en phase clinique qui ont été générées par l'IA au niveau mondial, en dehors de la Chine où les données sont moins accessibles. Ce nombre relativement faible s'explique par la durée des programmes de recherche, qui s'étendent sur 10 à 15 ans. Nous sommes confrontés à la loi d'Eroom (Moore à l'envers, ndlr), qui décrit le phénomène paradoxal où la découverte de nouveaux médicaments devient de plus en plus coûteuse et chronophage. Les cibles "faciles" ayant déjà été exploitées, nous nous attaquons à des pathologies plus complexes comme le cancer.
L'IA et la robotisation peuvent contrebalancer cette tendance en accélérant la découverte, mais il ne faut pas s'attendre à une révolution radicale comme la personnalisation instantanée des médicaments basée sur l'ADN. La complexité intrinsèque du développement pharmaceutique reste un défi majeur.