A quoi servent les digital twins, les siamois digitaux des machines ?
Cette technologie, différente de l'IoT et de la modélisation 3D, permet de prévenir les pannes et de prévoir comment vont vieillir les différentes pièces d'un appareil.
5, 4, 3, 2, 1, 0… Décollage ! En juillet 1969, la navette Apollo 11, qui a emmené l'Homme sur la lune, était l'un des premiers exemples d'appareil doté d'un digital twin (jumeau numérique en français). Aujourd'hui, de plus en plus d'entreprises utilisent ces siamois digitaux des appareils physiques, qui évoluent dans le temps grâce à des données collectées par des capteurs, pour mesurer le niveau d'usure des pièces d'une machine et éviter qu'elle ne tombe en panne. "Cette technologie était utilisée au départ uniquement sur des appareils spatiaux ou aéronautique extrêmement critiques. Elle est désormais exploitée par de grosses PME pour surveiller l'état de fonctionnement d'équipements qui ne coûtent que quelque dizaines de milliers d'euros, comme des silos à grains, des transporteurs de palettes ou encore des chaudières", explique Vincent Champain, directeur général de la Digital Foundry de General Electric Digital.
Il ne faut pas confondre cette technologie avec l'Internet des objets. "Pour l'IoT, on aspire des data d'un objet physique et son environnement grâce à des capteurs, alors que pour le digital twin, on injecte de la donnée dans un objet virtuel, que l'on fait évoluer au fur et à mesure de son vieillissement. Mais il est vrai que sans capteur, les digital twins ne peuvent pas exister. Cette technologie dépend de l'IoT", caractérise Vincent Champain.
Airbus utilise les digital twins dans le cadre des tests en vol de ses avions avant leur commercialisation, chaque appareil est équipé de plus de 3000 capteurs à bas coût
Les jumeaux digitaux ne doivent pas non plus être réduits à la simple maquette 3D d'un appareil. "La modélisation en trois dimensions est souvent utilisée par les architectes produits pour concevoir la maquette d'un article avant sa mise en production. Toutes les parties de l'objet sont dessinées dans les moindres détails. Pour créer un digital twin, la démarche est inverse : on part d'une machine qui existe, sur laquelle on pose des capteurs, puis on dessine en 3D les éléments qui nous semblent les plus critiques", explique Eric Prévost, directeur monde industrie 4.0 et technologies émergentes chez Oracle. Si une partie de la machine n'a pas d'intérêt, elle n'a pas besoin d'être reproduite finement. Les digital twins peuvent être utilisé pour une machine unique, mais également à l'échelle d'un process industriel, de l'ensemble d'une usine ou même d'une ville.
Concrètement, un digital twin est constitué de trois éléments distincts. Le premier : la reproduction en 3D de la machine que l'on veut étudier, ainsi que le détail de la façon dont chacune de ses pièces a été produite. Vient ensuite la liste des différents matériaux qui la composent et le détail des capacités de ces matériaux face à différentes contraintes techniques et mécanique comme la température, l'humidité ou les vibrations… Enfin, les données collectées en direct par des capteurs posés sur la machine sont intégrées. La reproduction virtuelle de l'objet évolue en fonction de ces data, grâce à une série d'algorithmes. "Grâce au machine learning, nous sommes capables de faire des projections dans le futur, pour deviner quand l'appareil risque de subir une avarie et de savoir quelle pièce il faut remplacer", pointe Eric Prévost.
Les progrès fulgurant des capacités informatiques (l'ordinateur de bord d'Apollo 11 avait la puissance d'une calculatrice bas de gamme des années 2000) et la baisse du coût de stockage des données et des capteurs ont contribué à faire décoller l'utilisation des digital twins.
Mitsubishi a quant à lui numérisé grâce aux digitals twins l'ensemble des process de l'une de ses usines japonaise
Airbus utilise cette technologie dans le cadre des tests en vol de ses avions, avant leur commercialisation. Chaque appareil est désormais équipé de plus de 3000 capteurs à bas coût. Il y a une dizaine d'années, chacun de ces tracker coûtait entre 2000 et 3000 euros pièce. Le groupe en utilisait moins. L'ensemble des capteurs d'un appareil produisent pour une journée de vol plus de 40 tera octets de données (l'équivalent de 240 millions de livres, c'est-à-dire 120 fois ce que contient la bibliothèque nationale de France). Stocker ces data aurait coûté très cher il y a quelques années. Jusqu'à il y a deux ans, elles étaient entreposées dans des banques d'archives binaires. Si un ingénieur avait besoin d'une information historique, il fallait plusieurs heures pour la retrouver. Aujourd'hui, les salariés d'Airbus ont accès à 1,5 pétaoctet de données simultanément (sachant qu'un pétaoctet est égal à 1000 téraoctets soit 500 fois ce que contient la BNF). "L'utilisation des digital twins a permis à la durée des tests en vols de passer de 18 à 12 mois. Les avions sont délivrables plus vite ce qui peut peser dans la balance pour décrocher des contrats face à la concurrence", se félicite Eric Prévost, qui accompagne le groupe aéronautique sur ce projet.
Une quinzaine de clients d'Oracle utilisent aujourd'hui les digital twins en France. Le groupe affirme que cette technologie est plus utilisée au Japon et en Corée du Sud, dans les conglomérats spécialistes des nouvelles technologies. Bosch utilise par exemple cette technologie pour améliorer la performance du nettoyage de ses outils de peinture. Les buses n'ont pas les mêmes besoins de décrassage en fonction de la texture et de la nature des pigments utilisés pour colorer la peinture. L'entreprise a également connecté ses machines de transport de palette. Le groupe Mitsubishi a quant à lui numérisé grâce aux digitals twins l'ensemble des process de l'une de ses usines japonaise. Une expérimentation concluante, car il va l'an prochain créer un jumeau numérique à chacune de ses 70 usines dans le monde.