Ludovic le Moan (Sigfox) "Sigfox se focalise sur le raffinage de la donnée et vendra ses réseaux français et américain en 2021"
Lors de son événement annuel Sigfox Connect ces 18 et 19 novembre 2020, le PDG du réseau IoT français entend insister sur la nécessité de développer l'IoT autour de l'usage des données.
JDN. Sigfox organise ces 18 et 19 novembre la quatrième édition de son événement annuel Sigfox Connect. Quel est le message que vous portez cette année ?
Ludovic le Moan. Le sujet cette année à mes yeux est le concept de données industrielles. L'IoT est souvent mal expliqué par les acteurs qui ont tendance à trop mettre l'accent sur les objets ou la technique alors que l'enjeu, c'est la collecte des données et la démarche d'analyse sur celles qui sont pertinentes. Nous voulons, à travers des exemples, montrer ce que cela signifie car il faudrait sortir des notions de smart city, de smart building, etc. : par exemple, peu importe qu'un capteur soit installé sur une place de stationnement pour en faire un smart parking, ce qui compte c'est de savoir si l'installation du capteur et sa maintenance, ainsi que l'information sur l'occupation des places, amène à un retour sur investissement. Car un projet IoT a un coût significatif et il faut pouvoir défendre cet investissement. Je regrette que l'on soit toujours dans le fantasme des objets connectés et que l'on parle, par exemple en domotique, d'ampoule connectée, plutôt que du service rendu et de la valeur perçue. Si l'on ne fait pas cet exercice d'analytique, la valeur perçue de l'IoT restera nulle et les projets feront un flop en demeurant au stade du POC. Faire l'équation financière de la donnée est indispensable. Nous voulons transformer l'IoT, qui est aujourd'hui un domaine fourre-tout, en une science de la donnée structurée.
Comment cela se traduit-il concrètement chez Sigfox ?
Quand Sigfox a démarré il y a dix ans, l'idée était que le coût de création de la donnée soit minimal. Cela a toujours été l'objectif de l'entreprise pour rendre économiquement viable des usages qui ne l'étaient alors pas. Pour cela, il a fallu commencer par la construction d'un réseau à bas coût. A présent que cette étape est viable économiquement, il nous faut travailler sur la production de la donnée. Cela fait partie du cycle de vie de Sigfox. Il nous a fallu dix ans pour mettre en place l'infrastructure autour de la 0G, nous allons nous focaliser désormais sur le raffinage de la donnée.
D'où l'annonce de la vente des réseaux Sigfox que vous opérez ?
C'est exact, nous avons vendu à Cube Infrastructure Managers en septembre 2020 le réseau Sigfox que nous opérions en Allemagne. Il nous reste les réseaux français et américain que nous vendrons courant 2021.
Quel sera l'axe principal de vos nouveaux services ?
Il est encore trop tôt pour les dévoiler. Nous voulons créer des plateformes et des API de services car personne ne dit clairement aux industriels qu'il ne faut pas se précipiter sur une solution mais plutôt prendre le temps de faire un travail en interne sur l'équation des données. Il faut prouver leur valeur avant de trouver un industriel qui produise l'objet en question. C'est un long processus avant d'optimiser les chaînes de production. D'autant que si on veut capter d'autres informations, il faut tout recommencer. C'est pour ces raisons que le marché est lent à se développer. Dans l'IoT, pour atteindre de grands volumes, il faut se spécialiser sur des verticaux pour connaître les problématiques des clients et leur proposer une grille d'analyse avec un impact économique. C'est la démarche de Sigfox.
Est-ce que ce recentrage sur le ROI a aussi déterminé le programme de Sigfox Connect ?
"Avec l'IoT, DHL estime gagner 133 millions d'euros sur sept ans"
Exactement, la question centrale lors de Sigfox Connect sera le retour sur investissement. Pour cette édition en ligne, nous voulions proposer un format didactique, différent du présentiel. Nous voulons essayer de faire de Connect cette année une plateforme de contenus qui ne limitera pas à un instant T mais qui s'inscrira dans le temps, au-delà de ces deux jours, en étant enrichie par des retours de clients et de partenaires. Nous partagerons une soixantaine de témoignages, dont celui de DHL. Car nous avons déjà réalisé ce travail d'analyse de la donnée avec eux. Nous avons listé ensemble leurs problématiques et les bénéfices de la gestion de leurs chariots roulants sur sept ans, durée du service selon eux. En les localisant et en évitant que ces chariots se retrouvent perdus, DHL estime gagner 133 millions d'euros sur cette période. Le calcul est documenté. Quand un directeur financier voit ça, il se rend compte du pragmatisme de l'IoT. Nous avons ainsi signé six contrats avec des acteurs postaux, dont trois pour le moment ont été communiqués. L'asset tracking est par ailleurs boosté par la crise sanitaire du coronavirus. Une meilleure traçabilité est rendue nécessaire car il devient compliqué d'envoyer des personnes sur place pour faire des vérifications qui peuvent être réalisées à distance.
Quel est l'impact du reconfinement sur vos activités et où en est votre projet de badge connecté en alternative à l'application TousAntiCovid ?
L'impact n'est pas le même qu'en mars, où les clients ne pouvaient plus s'approvisionner. Cette fois-ci, le marché est propice pour poursuivre l'activité, nous avons des demandes, mais le choc économique et social va être plus violent en France. Chez Sigfox, après le plan social annoncé en septembre, nous avons dû faire des choix quant à nos travaux et mettre en sommeil tous les projets qui n'étaient pas critiques pour nous afin de réaliser des économies d'échelle et nous concentrer sur l'essentiel pour avoir plus de visibilité sur la sortie de crise, à savoir la manière de calculer le ROI des projets. Ainsi, le projet annoncé l'an dernier de réseaux privés en 0G est arrêté pour le moment. Concernant notre badge alternatif à l'application du gouvernement, le prototype fonctionnait mais le projet a été stoppé faute de combattants. Les partenaires qui s'étaient montrés intéressés en mars se sont dit avec le déconfinement en mai que la crise touchait à sa fin. Mais l'application imposée n'est selon moi pas la bonne approche et à Singapour, l'application mise au point a été abandonnée au profit d'objets connectés.
Ludovic Le Moan est cofondateur de Sigfox et créateur de la 0G, réseau très bas débit dédié à l'Internet des objets, lancé en 2010. Il a levé près de 300 millions d'euros de fonds en Europe, aux Etats-Unis et en Asie afin de couvrir le globe avec les antennes Sigfox. Il est également cofondateur de l'IoT Valley, une association toulousaine qui aide les start-up à accélérer le déploiement de solutions IoT avec Sigfox.