Quand les entreprises s’inspirent des arts martiaux pour installer une culture de l’amélioration continue

Dans les arts martiaux, les katas servent à apprendre aux combattants les mouvements de base. Au sein de la société Toyota, ils sont une routine structurée permettant aux équipes d'apprendre, de surmonter des difficultés, d’acquérir de nouvelles capacités et d'être ultra performantes.

Prise par un quotidien en perpétuelle évolution, il arrive qu’une équipe de travail se trouve démunie devant des difficultés floues, mais persistantes. Faute de méthode pour s’organiser, il n’est par rare qu’elle perde pied, tiraillée entre la gestion des demandes entrantes et la nécessité de s’améliorer pour rester performante. C’est dans ces moments de difficulté que le manager peut apporter de la valeur ajoutée, en utilisant certains outils méthodologiques. Parmi les procédés à sa disposition, l’approche Toyota Kata (TK), popularisée par l’auteur et chercheur américain Mike Rother, est l’une des plus impactantes.Dans les arts martiaux japonais, les katas sont des outils de transmission de techniques de combat. Au sein de la société Toyota, il s’agit d’une routine structurée de vingt minutes que l’on pratique une à deux fois par jour. Le but est d’expérimenter, de résoudre des problèmes et d’instaurer une culture de l’amélioration continue. Si elle produit d’indéniables résultats, la méthode de Toyota est exigeante dans sa mise en place : elle s’organise en 4 étapes réparties en deux phases. 

Étape 1 - phase de planification  : Connaître et comprendre le défi à réaliser
Tout commence par une question simple posée par le manager à l’équipe : quel défi, sur les 6 à 36 prochains mois, tentons-nous de relever ?
Le but est de donner un sens à l’effort des personnes afin qu’elles “ressentent un intérêt et de la joie dans leur travail” (W. Edwards Deming, The New Economics). Ce défi s’inscrit dans la réalisation d’une vision idéale et ambitieuse à long terme de l’organisation, vision fédératrice, véritable raison d’être de la société, dépassant le simple cadre de l’équipe. 

Pour bien comprendre la différence entre les notions de défi et de vision, la vision est, par exemple, celle définie au sein d’Apple par son Directeur Général Tim Cook : “Nous croyons être sur Terre pour fabriquer d’excellents produits. Nous sommes constamment concentrés sur l’innovation.” Un défi peut prendre la forme suivante : “Nous souhaitons livrer un client n’importe où en France moins de 72 heures après sa commande sur notre site Internet.”
Les questions permettant d’élaborer le défi sont multiples. Voici celles que suggère Mike Rother : Quelle est la vision à très long terme de notre organisation ? Quel défi avons-nous à relever dorénavant pour progresser dans cette direction ? À quoi nos clients attachent-ils de la valeur et que nous ne parvenons pas à leur offrir actuellement ? Quelles capacités spéciales voulons-nous développer en matière de produits ou de services ? Quels changements dans notre environnement pourraient rendre nos capacités actuelles moins spéciales ? Comment définir le succès dans 6 mois à trois ans ?
Les réponses de l’équipe ne faisant l’objet d’aucune objection sont notées et affichées sur un tableau, idéalement physique, accessible et visible de tous. Ce tableau, actualisé quotidiennement, raconte une histoire en reprenant l’ensemble des éléments évoqués lors des quatre étapes et deux phases. Il est le foyer de l’équipe : c’est devant lui que l’équipe se réunit, discute, prend des décisions et s’améliore en continu.

Étape 2 - phase de planification : Saisir la condition actuelle

L’objectif de cette étape est d’obtenir une compréhension commune et partagée du processus étudié en se basant non pas sur des impressions ou des intuitions mais sur une observation et des mesures des performances et fonctionnement actuels.
Pour cela, l’équipe discute et affiche sur son tableau les grandes étapes de son processus à partir du moment où elle commence son travail jusqu’au moment où elle termine son travail. 
L’équipe complète cette compréhension du processus par des métriques mesurant sa performance ainsi que la satisfaction du client - interne ou externe.
Disposer d’une compréhension claire et partagée de ce qu’il se passe est indispensable à la définition d’objectifs court termes réalistes et d’actions d’amélioration applicables.
Étape 3 - phase de planification  : Établir la condition cible suivante

Une condition cible est tout simplement un objectif ambitieux à court terme permettant d’atteindre le défi de l’équipe. Si la définition d’un défi est indispensable pour galvaniser les membres de l’équipe, elle doit s’accompagner de buts intermédiaires visant l’atteinte du défi. La condition cible est aussi l’occasion de mesurer les progrès accomplis et de dynamiser l’équipe car toute victoire, même petite, est fédératrice et tout échec est source d’apprentissage.

Comment définir une condition cible ? En voyageant dans le temps, en s’imaginant être dans un futur couronné de succès où la condition cible a été atteinte. L’équipe décrit alors ce qu’elle voit en répondant à trois questions : Comment voulons-nous que ce processus fonctionne le _________ (date) ? Quelles fonctionnalités voulons-nous le _________ (date) ?  Quel modèle cible comptons-nous avoir en place le _________ (date) ?

Étape 4 - phase d’exécution : Définir les caractéristiques désirées

Le but de cette étape est l’expérimentation par l’équipe de petites actions lui permettant, pas à pas, de passer de sa réalité à son futur souhaité. L’équipe a établi précédemment une condition cible en se basant sur la compréhension de sa condition actuelle et en s’inscrivant dans la réalisation d’un défi. Il est temps pour l’équipe d’explorer concrètement les possibilités.

Au cours de cette phase, l’équipe avance pas à pas vers sa destination en expérimentant de façon itérative des actions d’amélioration continue. Pour ce faire, elle est guidée par le manager dans le cadre de cycles de coaching quotidiens. Il s’appuie sur cinq questions : Quelle est la condition actuelle ? Quels obstacles semblent nous empêcher d’atteindre la condition cible ? Sur lequel travaillons-nous aujourd’hui ? Quelle est notre prochaine expérimentation ? Quels sont les bénéfices attendus de cette prochaine expérimentation ? Quand et comment pourrons-nous partager ce que nous avons appris de cette prochaine expérimentation ?
Les réponses données par l’équipe permettent une discussion et lancent des actions décrivant les étapes, résultats attendus, mesures et dates de fin des expérimentations à lancer. Le manager challenge l’équipe et s’assure que les actions sont à la fois petites, mesurables, précises et comprises de tous. Durant la mise en place des actions, l’équipe est confrontée à différents obstacles ralentissant l’atteinte de la condition cible. Elle note chacune de ces difficultés sur son tableau, les partage, les priorise et réfléchit à comment les surmonter.
Une fois l’expérimentation terminée l’équipe en discute et, en cas d’une hypothèse non validée, elle se pose les questions suivantes : Qu’avons-nous initialement planifié ? À quels résultats nous attendions-nous ? Qu’est-ce qu’il c’est au final passé ? Qu’avons-nous appris ? Quelle nouvelle expérimentation pouvons-nous lancer (date, étape, paramètre et résultat prévu) ?

Conclusion

La mise en place de cette routine est longue, surtout pour une équipe n’ayant encore aucune métrique, peu l’habitude de se fixer des objectifs ou encore une cartographie floue de son processus de travail. La pratique des katas nécessite de la discipline et des efforts soutenus par le manager mais, en devenant routinière, elle est l’occasion pour l’équipe d’atteindre son plein potentiel. 
L’expérience de Paul A. Merguerian, Professeur en Urologie à l’Université de Washington, en témoigne. Il a mené de 2012 à 2014 la mise en place de TK au sein d’une clinique pédiatrique RPM (Reconstructive Pelvic Medicine). En deux années, le temps de passation de dossier est passé de six à une minute, le coût d’une patient a diminué de 41% et le temps de préparation d’un médecin est passé de huit à six minutes, le tout en améliorant continuellement l’expérience des patients et de leurs familles.