Salarié ou freelance : une troisième voie est-elle possible ?
A trop valoriser l’entrepreneuriat, on en occulte les inconvénients. Or le salariat traditionnel ne répond plus aux attentes des collaborateurs en quête de diversité et de flexibilité. Une voie hybride est-elle possible ?
En début d’année, l’Insee annonçait un chiffre record : 700 000 entreprises se sont créées en France. Plus d'un quart sont des micro-entreprises. Une explosion qui n’avait pas été imaginée lors de la création du statut il y a 10 ans. Pourtant, selon la dernière étude étude "The workforce view in Europe 2019" menée par ADP (Automatic data processing), l'engouement pour le travail en freelance ou en autoentrepreneur s'estompe dans toute l'Europe. Depuis 2017 le pourcentage d’actifs qui envisagent ce mode de vie indépendant baisse de 11 points (26% contre 15% en 2019). En France, le chiffre atteint seulement 11 % cette année (contre 18% en 2018). Et désormais, plus de la moitié des travailleurs français déclarent n’être pas du tout intéressés pour devenir indépendants (53 %, contre 38% en 2018).
Tout sauf suprenant
L’entrepreneuriat est à la mode depuis une dizaine d’années au sein de la startup nation. Les articles vantant les avantages de se mettre à son compte fleurissent : grande liberté, meilleure qualité de vie, flexibilité des horaires… et surtout plus de patron ni de hiérarchie ! Si le statut de la micro-entreprise a changé de dimension, c'est en partie lié à l'émergence des platesformes numériques, dont le modèle économique est fondé sur la mise en relation entre un travailleur et un client – à l’instar des activités de chauffeurs et de livraison à domicile.
En valorisant sans réserve l’entrepreneuriat, on occulte toutefois souvent les inconvénients : rémunération aléatoire, solitude, disponibilité 365 jours par an requise, pas de congés payés, galères administratives… et malgré les plateformes spécialisées comme Malt, trouver ses clients est souvent difficile ! Sans oublier que pour être “rentable”, il est indispensable de vendre ses compétences clés. Sauf que ce qui a de la valeur aujourd’hui en aura beaucoup moins dans 5 ans. Et c’est assez compliqué de trouver le temps (et la motivation) de continuer à se former lorsqu’on est freelance.
Pourtant le salariat traditionnel en CDI ne répond pas (plus ?) pleinement aux attentes des collaborateurs, même dans des entreprises avec de belles valeurs RH : manque de diversité dans les missions, impossibilité de faire évoluer son salaire en fonction de ses besoins, congés limités et horaires peu flexibles…
Non à l'ubérisation
Selon Malt, en France, il y a 950 000 freelances et 90% se sont tournés vers ce statut par choix. Pas sûr néanmoins que ce statut convienne à l’ensemble de la population active. Je ne crois pas à un modèle durable d’ubérisation de l’emploi : le découpage en micro-tâches rémunérées (comme les livreurs Deliveroo, les chauffeurs Uber ou les cliqueurs Mechanical Turk) ne fait vraiment pas rêver !
Le CDI, de par la confiance qu’il suppose, permet au collaborateur de s’investir dans un projet, d’apporter ses idées, d’intraprendre, de dépasser les missions inscrites à son contrat de travail… Au profit de la performance de l’entreprise. Elle est loin l’époque de nos parents qui faisaient toute leur carrière au sein d’une même entreprise. Aujourd’hui, il n’est plus rare de changer de voie et de vivre plusieurs expériences professionnelles. Nous cherchons de nouveaux défis. Le changement est source de motivation.
Alors pourquoi interdire à ses collaborateurs d’avoir une deuxième activité ? Il ne faut pas se voiler la face : ils s’engagent déjà dans des associations, ils travaillent sur des projets personnels (création d’un jeu vidéo, rédaction d’un livre…), ils ont des passions dévorantes (sport, culture, art…). Et si on les empêche de construire leur vie au sein de l’entreprise, nombreux seront ceux qui iront la construire ailleurs.
Autoriser une deuxième activité
A partir de là, pourrait-on imaginer de mettre en place un système hybride qui réponde à leurs attentes, sans influer négativement sur la performance de l’entreprise ? Oui, j’y crois. D’autant que cela ne me semble même pas compliqué à mettre en œuvre si l’entreprise décide par exemple proposer des contrats de 28 heures pour les collaborateurs qui le souhaitent afin de disposer du temps libre pour développer des projets personnels. Ou encore donner l'autorisation de prendre des congés sans solde dans une limite de 4 ou 5 semaines par an. Une dernière poste consisterait à encourager des missions en freelance en sus de l'activité en CDI, après avoir défini une liste de concurrents pour lesquels, naturellement, il serait interdit de travailler. L’idée n’est pas d’inciter au double emploi afin de vivre décemment, mais bien d’encourager l’épanouissement des collaborateurs et de leur offrir un peu de liberté ! Ce sont là trois premières pistes et d’autres critères peuvent être facilement définis par l’entreprise qui souhaite développer ce système hybride.
Oui, cela peut paraître surprenant, mais je crois qu’en offrant aux collaborateurs le droit de travailler pour d’autres employeurs dans le cadre de missions courtes, c’est l’entreprise qui y gagnera au final. Son salarié gagnera en compétences sur un sujet traité. Par exemple, un commercial qui aide une entreprise à mettre en place un process de prospection automatisée va s’enrichir de nouvelles idées. Un développeur qui participe à l’implémentation d’un CRM va aussi être confronté à de nouvelles problématiques qu’il traitera encore plus vite lorsqu’elles apparaîtront dans votre entreprise. Les bonnes pratiques essaimeront: vos collaborateurs pourront transmettre leur expertise au sein d’autres entreprises. Votre savoir-faire (sur des sujets autre que votre activité directe) sera alors reconnu sur le marché. Et qui sait, cela peut aussi donner envie à de nouveaux collaborateurs de vous rejoindre ?
Encourager les projets annexes, reste un excellent moyen de faire monter en compétence et de fidéliser ses collaborateurs. A date, que ce soit pour les managers ou les collaborateurs, nous ne voyons que très peu d’inconvénients à ce modèle hybride…que nous avons d’ailleurs développé en interne. Parmi eux, le risque de mettre un collaborateur en danger face à une charge de travail trop élevée à cause de missions freelances qui débordent sur son temps de sommeil ou de famille ou la perte d’intérêt de votre collaborateur pour ses missions traditionnelles.