Le collaborateur : acteur ou figurant ?
Contrairement à une idée reçue, tous les collaborateurs ne souhaitent pas se self-manager.
Tous les collaborateurs n'ont pas l'ambition de se saisir de responsabilités ou d'affirmer leur autonomie au sein de l'organisation. Et même, si on leur pousse cette responsabilité sans consentement, cela peut être pris comme étant violent. Pourtant, quel que soit son rôle et sa position dans l'entreprise, chacun est face à un choix : celui de se saisir ou non de l'énergie de la responsabilité. Donner le meilleur de lui-même, prendre des décisions, voir même des risques et les assumer ; ou alors juste faire son job et, parfois, se protéger ou se cacher. Aucun jugement ici. Juste la nécessité de rendre compte de cette réalité pour mettre en place, avec succès, un management constitutionnel. Où ceux intéressés pour aller plus loin dans leurs responsabilités deviennent des moteurs explicites - des associés constitutionnels - et laisser ceux qui le souhaitent hors de cela.
Associés constitutionnels
Nous l'observons depuis près de 15 ans dans beaucoup d'entreprises, comme Michel Goya, militaire et historien le décrit dans son ouvrage « Sous le feu ». Nos organisations sont composées de deux catégories de collaborateurs : les acteurs et les figurants. Ceux dans un management constitutionnel que nous désignons comme les associés constitutionnels, où les attendus sont selon le niveau de maturité et d’engagement, et les autres, ceux qui ne veulent pas. Car il serait bien inhumain et créateur de grandes frustrations et désillusions que d’attendre de tous de prendre l’énergie de la responsabilité pour l’organisation. Une réalité dont résulte la nécessité d'un nouveau type de management et de managers "augmentés" dans les entreprises. Non pas un manager « supérieur hiérarchique » mais un manager qui guide et accompagne, capable de faire preuve d'une excellence managériale pour tendre vers le self-management, avec une nouvelle identité de créateur de valeurs et créateur de leaders.
Dans un idéal, tout le monde serait self-manager au sein de la structure. Après tout, chacun est capable dans sa vie privée de faire des choix responsables et autonomes (achat d'une maison, éducation des enfants, etc.). Pourquoi cela ne serait-il pas possible dans un cadre professionnel ? Nombreux sont ceux qui choisissent de ne pas se saisir de l'énergie de la responsabilité et de rester de simples figurants. Prenons l'exemple de cette usine où un employé nous dit être incommodé par une fuite d'eau qui s'écoule depuis quelque temps sur son plan de travail. Il est d’abord hésitant à partager son problème, voire résigné. Et quand enfin il ose, il exprime son impuissance en ne sachant pas comment il pourrait gérer cela. Pourtant, lorsqu'on l'interroge sur la façon dont il gérerait cela si ça se passait chez lui, il répond avec simplicité qu’il appellerait un couvreur… Alors comment se fait-il, qu’une fois la porte de l’entreprise passée, le collaborateur se mette en posture d’impuissance ?
Elle est désormais lointaine cette époque où Bernard Marie Chiquet ou Brian Robertson revendiquaient une organisation qui rompt définitivement avec le modèle hiérarchique ; une organisation sans chef, sans manager. C'est grâce aux observations dans une centaine d’organisations que nous avons accompagnées depuis 2008, que notre appréhension de la question du management a profondément évolué. Car il existe bien une forme de loi de Pareto qui fait que si 20 % des salariés d'une organisation (en moyenne) font le choix affirmé de devenir associés - au sens organisationnel du terme -, restent les 80 % qui, plus frileux, font le choix de rester comme avant, à faire leur travail. 20 % qui gèrent leur travail et 80 % qui font leur travail.
Faire ou gérer ?
Et c'est bien là que se situe la difficulté. Alors que précédemment le management constitutionnel était vu comme devant s'appuyer sur l'intégralité des équipes pour se “self-manager”, cette nouvelle lecture n'implique plus qu'une personne sur cinq. Pourtant, prendre conscience de cela est un véritable accélérateur pour la mise en place du management constitutionnel. C’est s’appuyer seulement sur ceux qui feront le choix d'être acteurs, moteurs, et laisser les autres dans leur zone de confort qui fonctionne bien. C’est opter pour la solution à la fois la plus efficiente et la moins violente pour l'organisation et tous ceux qui souhaitent rester de simples exécutants, experts qui font leur travail. En rendant cette réalité explicite, l'organisation et les managers ont la capacité de savoir sur qui ils vont pouvoir s'appuyer. C'est, en somme, différencier ceux qui vont faire de ceux qui vont gérer. Sans jugement, tout en rendant la chose explicite pour tous.
Pour illustrer cela, prenons l'exemple de Stéphane. Il travaille dans une manufacture et est considéré par tous comme l'expert des machines. Pourtant, lorsqu'on l'interroge sur les progrès qu'il pourrait imaginer, rien ne lui vient. Six mois plus tard, à notre grande surprise, tous les processus semblent avoir changé. Interrogé sur le sujet, Stéphane nous explique qu'à l'époque il s'était trompé, que les choses pouvaient bien être améliorées, mais que ça n’est plus le cas maintenant. Sans surprise, un an plus tard, les choses ont encore changé. En réalité, tout au long de ces mois le changement s'est fait. Stéphane, tout expert qu'il est, est resté un simple observateur sur ces innovations. Le changement a été le fait d'autres salariés, moins experts soit, mais capables de faire évoluer l'organisation pour le bénéfice de tous, capable de gérer leur travail de façon proactive.
Qui peut être associé ?
Dans ces conditions, il est donc évident qu'il convient d'attribuer des droits et devoirs qui tiennent compte de cette réalité, de ce qui distingue ceux qui gèrent de ceux qui font, les associés des non associés. À ceux qui se saisissent de l'énergie de la responsabilité, des droits et des devoirs supplémentaires.
Mais alors comment définit-on si quelqu'un est associé ou non ? Il faut d'abord insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un nouveau statut, d’un rang. Au sein de l'organisation, tous sont égaux. L'associé est seulement celui qui cherche à aller plus loin, au-delà du rôle qui est le sien. Rien de plus. Bien sûr, choisir des associés n'est pas simple. Car, le plus souvent, ce qui caractérise ces personnes, ceux qui gèrent, ce sont les soft skills.
Pour y arriver, on peut d'abord commencer par dresser une liste des comportements attendus pour y situer chacun ou, mieux, pour que chacun puisse s’autoévaluer et évaluer ses pairs. En fonction du résultat, chacun sait s’il est associé ou non. Une autre approche, basée sur le fait que l’être humain est bon dans les comparaisons relatives, consiste à débuter par une présentation aux équipes de l'énergie de la responsabilité, de ce qui est attendu, ce que cela signifie d'être associé. À la suite, chacun est questionné et s'exprime sur ses collègues. Sont-ils, de leur point de vue, associés ? Un processus conclu par un vote anonyme qui permet de trancher, et qui peut être renouvelé tous les six mois, pour remettre en question le statut de chacun.
Cela ne veut pas dire cependant que si l’on ne l’est pas, et que l’on souhaite le devenir, qu’il est impossible de monter en soft skills pour ce faire. Bien au contraire, la majorité des organisations rêvent d’avoir 100 % de leurs collaborateurs associés ! D’où l’importance de définir des mécanismes de mentorat et contrats de pair à pair afin de tirer vers le haut tout le monde.
Dans ces conditions, le manager sait sur qui compter et qui peut monter en compétences en termes de soft skills. Un processus qui œuvre aussi en faveur de l'épanouissement des collaborateurs associés au travers d'une plus grande prise de responsabilités. Finie l'organisation pyramidale qui cède sa place à une organisation fondée sur une structure de rôles, tel que défini dans le management constitutionnel, centrée sur le sens exprimé par la raison d'être et la création de valeurs au travers des redevabilités, énergisée avec des personnes suivant leur niveau de maturité.