Les défauts de jeunesse de l'ISR

L'investissement socialement responsable en France semble se développer moins vite que n'évoluent les mentalités vers plus de "moralité". Jeunesse des agences de notation, dificulté à trouver les bons arguments de vente... retour sur les causes de cette situation.

Un intéressant point de vue publié dans la presse économique ("Vers une finance plus responsable", Jacques Crémer et Christian Gollier, Les Echos du 13/05) analyse quelques écueils rencontrés par l'ISR (Investissement Socialement Responsable) dans son développement. Les auteurs s'interrogent sur les raisons du décalage entre la demande sociale ambiante pour un capitalisme "moral" et la part encore faible de l'ISR dans les chiffres. On pourrait sans doute parler d'erreurs de jeunesse du phénomène ISR. En particulier l'article pointe sur la façon dont la communication des fonds est -mal- reçue, le manque de données objectives de l'évaluation extra financière et le risque d'opacité induit, et évoque la situation particulière de ces jeunes acteurs que sont les agences de notation extra financière. Je trouve intéressant de revenir sur ces différents points.
 
Oui, les fonds ISR tâtonnent dans leur communication. Sans parler, comme le font les auteurs de l'article, de "double discours", il y a effectivement probablement télescopage entre la promesse de contribuer à "moraliser le capitalisme" et celle de sur performer le marché. C'est peut-être culturellement français mais au fond assez dommage. Pourquoi les fonds n'expliquent-ils pas qu'une société bien positionnée, bien gérée et ayant intégré une démarche de RSE (Responsabilité Sociale/sociétale de l'Entreprise) à sa réflexion stratégique représente un meilleur placement, car plus sûr ? Un problème de maturité de la communication ?
 
La difficulté d'apprécier objectivement le périmètre extra financier d'une entreprise est incontestablement une difficulté majeure. Les auteurs de l'article pointent sur les externalités (émissions, rejets, impacts économiques et sociaux extérieurs à l'entreprise) qui ne sont pas comptabilisés dans le bilan financier, ce qui est vu comme un frein. Je ne suis pas sur que le problème soit ici : c'est le rôle de l'évaluation extra financière de recenser ces éléments (sur une base auto déclarative) et de les intégrer dans un "bilan global" économique, social, sociétal et environnemental. Toute la difficulté sera d'une part d'identifier les bons "métriques" (indicateurs) et d'autre part de replacer ces résultats dans la moyenne ou les objectifs de la filière considérée : une émission équivalent CO2 ramenée au chiffre d'affaires, un taux d'accidents du travail, des indicateurs d'accessibilité de sites ou même certains critères de gouvernance sont des paramètres très lisibles mais dont l'interprétation n'a de sens que par rapport à l'activité de la société considérée.

Ce travail sur les indicateurs est en cours mais n'est pas simple, car on doit trouver un compromis précision/lisibilité et essayer de privilégier une lecture universelle. Au passage, on constate encore une fois que travailler sur le "social" est plus compliqué que progresser sur l'environnemental. Un exemple, la diversité en entreprise. Cet indicateur, que l'on disait appelé à devenir - toute proportion gardée - l'"équivalent carbone" social, bute dans sa mise en œuvre sur des difficultés de procédures et d'outillage (il est impossible, voire hors la loi, de mesurer un taux de diversité).
 
Les agences de notation extra financière enfin, jeunes structures qui s'efforcent à marche forcée de baliser un univers d'investissement consistant. Les auteurs de l'article reconnaissent la difficulté de leurs missions puisqu'une évaluation extra financière fiable est objectivement très complexe et que la simplification/consolidation à outrance de l'ensemble des paramètres n'a pas de sens. C'est un métier compliqué et cela le restera. Néanmoins, je rejoindrai les auteurs dans leur crainte de voir la faible transparence des méthodes et critères d'analyse utilisés, jeter à terme le discrédit sur la démarche.

J'y ajouterai une remarque personnelle sur le risque de non objectivité, voire de conflit d'intérêt que cet "écosystème" qui se structure petit à petit pourrait sécréter. Loin de moi l'idée de mettre en doute l'engagement sincère ou la déontologie actuelle des responsables de ces agences qui font avancer à l'énergie un pan entier du chantier de l'ISR et de la responsabilité de l'entreprise ; mais je trouve qu'il serait bon de se prémunir contre tout risque de mélange des genres, par exemple trouver une solution pour que les sociétés auditées ne soient pas présentes au capital de l'agence qui les évalue ou bien se déterminer clairement pour s'interdire les "notations sollicitées", ou a minima signaler aux investisseurs qui achètent une évaluation que la-dite société a fait l'objet par ailleurs d'une notation sollicitée réalisée par l'agence.

Certes, cela pose le problème de l'équilibre économique de ces agences, avec un effet œuf-poule sur le développement de l'ISR. Mais il serait tout de même bon que les nouvelles pratiques de l'environnement financier ne transposent pas -tous- les défauts de l'ancien.