Les entreprises, l'influence et l'éco-innovation

Alors que l'on parle de croissance verte, les entreprises ont intérêt à renforcer leur capacité à influencer sur ce domaine.

A l’heure où une majorité d’acteurs économiques sont d’accord sur la nécessité de promouvoir la croissance verte et l’éco-innovation, les entreprises ne disposent guère de visibilité sur la voie à suivre pour développer de nouveaux produits et services.

En effet, il n’est pas uniquement question d’avancées technologiques mais il s'agit aussi de mise en œuvre et d’intégration dans le cadre organisationnel. On comprend aisément qu’il n’est pas d’une grande utilité de développer un nouveau procédé de recyclage d’un type de déchets si ceux-ci ne font pas l’objet d’une collecte appropriée. Pourtant l’expérience montre aussi qu’au final, les modalités d’organisation de cette collecte importent davantage que la technologie dans le bilan environnemental. A n’en pas douter l’éco-innovation amènera de nombreux changements sur les plans organisationnel et comportemental (pensons à la mobilité) qui devront faire l’objet d’un consensus politique.

Par rapport à leurs propres enjeux, les entreprises ont intérêt à renforcer leur capacité à influencer le contexte spécifique dans lequel elles évoluent en apportant des informations susceptibles de faire évoluer les modes de pensée et favoriser l’acceptation des changements sur des thématiques dont elles n’ont pas la maitrise.

Tout d'abord, il convient de rectifier la manière négative dont l'influence est perçue par les entreprises. Elle est trop souvent assimilée à une sorte de trafic occulte alors que c'est fondamentalement un outil démocratique basé à l'origine sur le droit de pétition dans les pays anglo-saxons. Sur les questions environnementales, cette présomption se ressent d'autant plus que les enjeux sont très émotionnels et les impacts difficiles à évaluer. Il est vrai que l'influence est une démarche relativement silencieuse (à l'inverse de l'activisme) et partisane (et non pas scientifique). Elle trouve ses lettres de noblesses à travers les consultations organisées par les autorités sur des sujets dont l'étendue et la complexité supposent de véritables choix de sociétés. Les parties consultées sont souvent acteur dans le dispositif de sorte que c'est là un moyen de gagner leur adhésion. Par exemple, une remise à plat de la gestion des eaux a eu lieu en 2009 dans la plupart des Etats membres au sujet de la restauration des milieux aquatiques et des plans de gestion par bassin versant qui détaillent les mesures à mettre en oeuvre sur base d'une analyse des risques et des coûts.

 
Ensuite, il est légitime de se demander quel degré d'influence on peut raisonnablement acquérir par rapport à des développements politiques. Cela dépend tout d'abord des évidences scientifiques que l'on peut réunir autour d'un sujet et de la position à défendre. Ensuite il faut prendre en compte la position des différentes parties et l'intérêt qu'elles portent à la problématique. Cependant, dans le secteur de l'environnement, la situation est rarement aussi déterminée qu'il n'y paraît. Les débats sont entachés d'incertitudes significatives et irréductibles (le débat sur les OGM en est un illustre exemple) tandis que les valeurs en jeu ne sont que difficilement comparables (lors des études d'impact, il est quasi impossible de quantifier de manière exhaustive les bénéfices environnementaux).
Une autre difficulté typique des questions d'environnement porte sur la définition du cadre de discussion. Ainsi la protection de la biodiversité pose-t-elle ouvertement la question de l'aménagement du territoire avec des problématiques qui lui sont associées au niveau du développement rural, des transports, de l'habitat, etc. Les risques d'engorgement et de dilution sont bien réels.

 
Il est donc hasardeux de présumer de son influence surtout si l'on souhaite sortir de l'immobilisme. Faut-il s'arrêter là dessus ? Non, car l'influence ne vise pas uniquement à faire évoluer un contexte mais aussi à mieux en saisir les mécanismes. Ce second aspect, très proche de la veille, a le mérite, souvent sous-estimé, d'alimenter la réflexion stratégique. Cet apport doit se comparer avec les signaux renvoyés par le marché qui, dans le secteur de l'environnement, sont en général largement décalés par rapport aux réalités de terrain et leur dynamique.
 
Quels sont les facteurs pour être influent ? Il existe des techniques propres au lobbying et à l'extension des réseaux mais de manière plus fondamentale, l'aptitude à communiquer détermine la capacité d'influence. Il faut distinguer deux niveaux:

- Contenu : les besoins en information sont énormes de sorte que la mise à disposition d'une expertise conditionne directement l'écoute de la part des décideurs politiques en charge du dossier. Cette expertise n'est pas limitée à sa propre activité mais touche plus largement au contexte. Il ne s'agit pas tant de débattre de la nature des problèmes et d'isoler des variables mais surtout de comprendre la structure et les mécanismes de régulation. En effet, dans bien des cas (le changement climatique par exemple) on quitte un état stationnaire pour aller dans une phase de transition.

- Légitimité : Chaque partie se doit d'expliciter les liens par rapport à une problématique ainsi que la représentativité de sa position. Les enjeux étant largement partagés, la politique de la chaise vide n'est guère tenable. Au contraire, les parties ont intérêt à rechercher des alliances pour favoriser l'émergence de solutions innovantes et éviter la cacophonie au niveau des messages qui parviennent aux décideurs politiques et à l'opinion publique. Les think tanks jouent un rôle moteur à ce propos.

La confusion entre ces niveaux est source de nombreux conflits sur la nécessité d'agir et les réponses à apporter. S'y ajoute le fait que modifier les schémas organisationnels n'est pas neutre au niveau de la répartition des responsabilités et des coûts. Des blocages s'installent d'autant plus facilement que les nombreuses incertitudes et la complexité des sujets laissent la porte ouverte aux interprétations dogmatiques. La gestion de l'infrastructure « eau » par le secteur public ou privé fait ainsi l'objet de débats passionnés qui laissent de côté l'importance du contexte local et surtout la nécessité de réinvestir. La communication fournit les moyens d'intervenir dans la régulation du système et la modification des comportements. 
 
Quant aux canaux d'influence, Internet a entrainé là aussi un changement total de paradigme au niveau de l'accès et de la dissémination de l'information. On est passé d'un monde statique où il s'agissait de découvrir des secrets à un environnement hautement volatile où de nombreuses parties se bousculent pour capter l'attention. C'est tout aussi vrai pour le travail en réseau et la collaboration à distance qui renforcent eux aussi la capacité de mobilisation. La société civile en a fait une éclatante démonstration à la conférence de Bali sur le changement climatique en 2007 lorsque la clôture a été retardée d'un jour.
 
Au final, l'influence apparait comme un puissant moyen d'interaction face à un nouveau monde dont la relation avec l'environnement est totalement bouleversée. La démarche est à construire en conjonction avec la stratégie de l'entreprise. Ainsi, une entreprise peut se forger une identité à la fois distincte par rapport à la concurrence et en phase avec les besoins du contexte. Acquérir cette capacité est un investissement à long terme qui requiert un  apprentissage conséquent et de nombreuses mises au point. Mais comme l'a écrit Louis Pasteur, la chance ne favorise que les esprits préparés. C'est particulièrement vrai dans le domaine de l'influence où tout l'art consiste à tirer le meilleur parti de l'alignement entre son propre agenda et les fondamentaux du contexte.