Grand débat et changement planifié
Le "grand débat" du gouvernement Macron a fait usage, volontaire ?, d’une technique passée de mode : le changement planifié. A un moment où le mot changement fait trembler, c’est peut-être une bonne nouvelle. En effet, le changement planifié se voulait le changement sans drame !
Des esprits sentencieux affirment que "tout le monde sait" que dans le changement, "il y a des gagnants et des perdants". Eh bien, après guerre, la science pensait le contraire !
Le changement anti totalitaire
Kurt Lewin, un des fondateurs de la psycho sociologie,
voulait empêcher le retour du nazisme. Pour lui, sa cause était « le
changement dirigé », le changement imposé d’en haut. Il fallait procéder à
des changements « démocratiques » ou « planifiés ». Voici
ce qu’écrit un livre de cours (BOWDITCH, James L., BUONO, Anthony F., STEWART, Marcus
M., A Primer on Organizational Behavior , Wiley, 2008) : "Le
changement planifié peut partir de n’importe où dans l’organisation, mais, en
phase finale, il doit être pris en charge par la direction. Les stratèges du
changement et ceux qui le mettent en œuvre recherchent la participation et
l’engagement dans le changement en faisant un emploi étendu d’actions
spécifiques, identifiées grâce à l’expérience et à des études, ce qui réduit
les chances de résistance au changement et de perte de productivité associées
au changement dirigé (…) le changement planifié offre une démarche de gestion
de projet au processus du changement. Il cherche à créer les conditions qui
permettent aux gens de s’approprier le processus de changement, en identifiant
des parties prenantes clés et en les encourageant à participer à la fois dans
la conception et la mise en œuvre du changement."
Les Trente glorieuses ont été un temps de changements incessants. Changements
menés à la manière Lewin. En particulier, le "plan" français était
une "co construction" mobilisant des milliers d’acteurs de la
société. C’est ainsi que l’avait voulu Jean Monnet (Voir MASSE, Pierre, Le
plan ou l'anti hasard, idées nrf, 1965).
Les principes du changement planifié
On garde de la France d’après guerre le souvenir de paix, de
prospérité, de plein emploi, de Trente glorieuses. En fait, c’était une
poudrière ! Pays en ruines. Anciens collabos, nouveaux résistants,
syndicats révolutionnaires, parti communiste stalinien, intellectuels engagés,
militaires putschistes, les attentats contre le président de la République
étaient presque aussi fréquents qu’aux USA... Qu’aurait donné, dans cette
poudrière, un "changement qui fait des perdants" ?Le principe
du changement planifié est systémique. A première vue, les intérêts des membres
d’un groupe sont conflictuels. Mais, comme dans la fable des aveugles et de
l’éléphant, c’est une illusion. Il existe une solution, systémique, commune,
qui satisfait tous les intérêts.
Paradoxe. Celui qui conduit un changement planifié ne doit pas faire émerger
des solutions (elles sont contradictoires), mais des problèmes ! Il doit
comprendre les valeurs, les besoins et les intérêts, de la population
concernée. A partir de là, il doit "inventer" une solution qui
dépasse les contradictions. Puis, il doit "co construire" le plan
de mise en œuvre de cette solution avec ceux qui vont le réaliser. Personne
n’est mieux placé pour savoir comment réorganiser un hôpital que ceux qui y
travaillent, par exemple. Dans les années 60, on parlait de « leader
serviteur ». C’est un leader empathique, sans idées fixes. De Gaulle était
un homme de progrès, de réforme et de changement. Il a incarné l’esprit de son
temps. (Mais cette soif de réforme ne s’étendait pas aux mœurs de la société,
d’où révolution ?)
La pratique du changement planifié
La réalité est plus simple que la théorie. Exemple. La direction juridique d’une multinationale veut s’assurer que les bases de données de l’entreprise ne comportent rien de compromettant. Moyen : projet informatique classique. Mais l’unité pilote résiste. "Perte du temps ! J’ai mieux à faire, dans l’intérêt collectif". Or, à la question : "qu’est-ce qui fait la valeur de la société ?", elle répond : "l’expérience contenue dans mes bases de données". Bases désorganisées : le projet, reformulé, est un besoin existentiel pour elle. Du coup, elle le prend en main.
Plus familier ? Un ami a des difficultés avec sa ligne téléphonique. Il peste : les techniciens de l’opérateur concerné ne le traitent pas comme un client. Je lui fais observer que la France est le pays de l’escalator en panne et de l’organisation dysfonctionnelle. Qu’il s’agisse d’un serveur, d’un personnel hospitalier ou d’un technicien, pour être servi, il faut commencer par le servir. Ce qu’a fait cet ami. Il a accompagné le technicien dans son travail. Puis lui a prêté une échelle. Sur laquelle le dit technicien s’est rendu compte que le problème ne venait pas de sa société, mais il l’a réparé.
Le changement, normal, c’est maintenant ?
On a tous rencontré ce type de situations. Si l’on se donne la peine d’écouter nos contemporains, on trouve une façon de formuler un changement qui leur convienne et les amène à en prendre les rênes. Le changement planifié est une technique de bon sens, qui donne de bons résultats. Mais c’est surtout une technique pour temps de conflits, lors desquels le changement "qui fait des perdants" peut mettre le feu aux poudres. Un changement pour notre temps ?