Petit traité de changement amical : la méthodologie ambulatoire

La "méthodologie ambulatoire", ou comment avoir du pouvoir sans pouvoir…

Je demande aux gens que je rencontre des thèmes pour cette chronique. J’ai eu la surprise d’entendre : comment mettre un terme aux nuisances sonores ? Mais les nuisances sonores ne dépendent pas de nous ! En fait, il n’y a pas que dans le film d’Hollywood qu’Erin Brockovich met à mal une multinationale. L’individu peut avoir, relativement facilement, un impact global. Voici une technique pour ce faire : la "méthodologie ambulatoire". Cette chronique se limite à notre environnement professionnel, mais le lecteur est libre d’en faire une application plus ambitieuse, s’il le désire.

La politique c’est le changement

Pour les Grecs, la politique était, par définition, la fonction du citoyen. Le rôle du citoyen, membre de la cité (polis), était de la changer. Et, effectivement, un beau discours changeait les esprits et le sort de la cité. Le discours de Périclès, par exemple, convainc Athènes de s’engager dans la guerre du Péloponnèse. Aujourd’hui, nous sommes citoyens du monde. Tous les jours de nouvelles modes, des mouvements politiques portant sur des questions fondamentales... partent d’en bas, d’inconnus. Et si, vous aussi, lecteur, vous pouviez mobiliser les forces sociales ? 

Méthodologie ambulatoire : le livre de management ramené à ses principes

Comparez les théories de la qualité telles qu’on nous les enseigne et telles qu’on en parle au Japon. Chez nous elles font l’objet de livres touffus. Au Japon, elles sont présentées en quelques mots. Les livres de management reposent sur des principes simples. Par exemple, la théorie de la mesure de la valeur client ("customer value management"), à la mode dans les années 90, part de l’idée que le client décide en fonction du rapport qualité prix ! Idem pour les "balanced scorecards", qui transforment une stratégie abstraite en des ordres opérationnels, concrets. Tout est comme cela. Une "méthodologie ambulatoire" consiste à prendre ce processus de complexification à contre. De ramener un livre de management à ses fondements. Du coup, vous avez une méthode qui vous permet de "penser sur vos pieds", d’où le nom. 

La méthodologie ambulatoire en pratique 

Un exemple, rencontré il y a quelques années. Un appel d’offres dans le monde de l’automobile. Un équipementier le gagne. Mais ses calculs lui montrent qu’il va lui faire perdre deux cents millions d’euros (sur cinq ans). Il représentait un tel enjeu pour lui que, dans la fébrilité du "last call", il a proposé spontanément une baisse de prix inconsidérée. Même pour une multinationale, une telle perte est difficile à absorber. On cherche des coupables.

Le chef de projet (on parle plutôt de "programme" dans l’automobile) n’est pas responsable de ce prix, qui a été décidé en haut lieu. Mais il a peur de l’être du déficit. Il a alors l’idée de proposer de concevoir un "recovery plan". Il divise le projet selon la dizaine de fonctions qui en sont responsables (achats, etc.) et leur demande des idées pour améliorer sa rentabilité. Il coordonne ce travail. Etonnamment vite, le "recovery plan" émerge. Plus surprenant ? la direction consent aux investissements qu’il requiert. L’histoire s’est bien terminée (quoi que après quelques rebondissements). Mais qui eut pu prédire qu’un tel gain était possible ? 

Entreprise libérée demande méthodologie ambulatoire ?

Si le concept d’entreprise libérée intéresse autant le dirigeant, c’est qu’il promet de réduire les couches d’encadrement et les temps de réaction d’une entreprise. Cela répond aussi aux aspirations à la liberté et à l’indépendance de tout homme, qui y a été préparé par une scolarité de plus en plus longue. Tout le monde doit y gagner. 

Seulement, comme dans l’exemple qui précède, ces responsabilités sont un cadeau empoisonné. Car, dorénavant, le salarié a une obligation de résultat. Mais, a-t-il les moyens de réussir ? On retrouve la question de l’injonction paradoxale, un "best seller" de cette chronique. La méthodologie ambulatoire est une façon de se tirer du piège. 

Qu’a fait le chef de projet de l’exemple précédent ? Il a transformé un problème individuel en problème collectif. D’abord, il a proposé à ses collègues, chefs de fonction, une démarche, simple, pour coordonner leur travail collectif. Une fois un "recovery plan" obtenu, il l’a présenté à sa direction, en lui demandant les moyens nécessaires pour le faire réussir. Quand tous les accords ont été obtenus, le projet n’était plus le sien. L’entreprise le portait. 

Mieux ? Il a mobilisé les expériences individuelles et la créativité collective. Phénomène que j’appelle "ordinateur social" : seule la société est capable de résoudre des problèmes sociaux. Et elle le fait non comme un ordinateur ordinaire, en produisant des chiffres, mais en fabriquant une nouvelle organisation sociale. La technique du « mode projet », utilisée pour faire collaborer ceux qui sont utiles à la création, à la fabrication et à la commercialisation d’un nouveau modèle automobile en est un autre exemple. 

Allons voir chez les Grecs

Les Athéniens élisaient leurs généraux. C’est l’enseignement de cette chronique. Comme les Athéniens, nous vivons dans une « société d’individus ». Seuls nous ne pouvons rien faire. Pour avoir la possibilité d’atteindre les objectifs que l’on nous fixe, nous devons mobiliser les forces sociales. Pour cela il faut en appeler à leur bonne volonté. La méthodologie ambulatoire, le livre de management ramené à ses principes fondateurs, est une façon simple et efficace de procéder. La méthodologie ambulatoire : avoir du pouvoir sans pouvoir ?