Petit traité de changement amical : apporter la nouveauté, sans en faire les frais

Malheur à qui porte la nouveauté ! A moins de pratiquer le "tir au journal"…

Ma frustration ? me disait une consultante : "Les clients qui vous choisissent parce que vous apportez une manière de faire un peu 'différente', un peu 'décalée', un peu 'originale' et qui ensuite vous disent 'Ouh là !... je préfèrerais un truc plus classique'".

Les porteurs d’innovation connaissent le même sort que les porteurs de mauvaises nouvelles. Je ne compte plus les "chief digital officers" qui disent n’être pas même soutenus par ceux qui sont venus les chercher pour transformer leur société. D’ailleurs, la France n’élit pas ses gouvernants pour leur politique, mais pour remplacer un prédécesseur honni. Ce phénomène n’est pas neuf. Il y aurait un livre à écrire sur le sujet. 

Cette chronique présente une technique qui redonne l’envie à ceux qui doutaient de leur vocation de se ré atteler à la tâche : le "tir au journal"… Pour commencer, quelques observations sur les mécanismes qui entrent en jeu :

Conséquences imprévues

Un dirigeant fait appel à un "manager à haut potentiel" pour réformer les procédures de travail de sa société. Il découvre bien vite que celui-ci ne peut rien faire sans lui. Or, son agenda est plein, et il a suffisamment d’ennuis comme cela… 

Contrairement à l’Allemand, le Français est un homme d’idées, pas de mise en œuvre. Il est séduit par un concept. Mais, lorsqu’il s’agit de l’appliquer, il découvre ses conséquences. Et ces conséquences sont désagréables. C’est là que l’affaire s’arrête. 

Quelle est votre légitimité ?

Le porteur de la nouveauté croit que sa nomination lui donne la légitimité de faire ce qui lui semble bien. Or, les entreprises sont comme toute communauté humaine : elles ont leurs règles. Et ces règles sont inconscientes, et spécifiques. On est ici dans le domaine de l’anthropologie. 

Le porteur de nouveauté doit donc se poser deux questions. Tout d’abord, quelle est ma "légitimité" ? C’est-à-dire dans quelle "case" la culture locale me met-elle spontanément, quel est le "rôle" qu’elle m’attribue ? Et quelles sont les prérogatives accordées à cette "case" ? Mais aussi, et surtout, quelles sont les attentes que l’on a vis-à-vis d’elle ? Ensuite, quelles sont les règles culturelles du changement réussi, dans cette communauté ? 

Appliquer ces deux questions à la prise de poste d’un nouveau président de la République éclairera peut-être mon propos... 

Utile résistance

Trop injuste ? La résistance vous donne envie de démissionner ? Vous avez tort. Vous avez découvert le pot aux roses. Voici pourquoi :

Le piéton traverse au feu rouge en Allemagne, entre les voitures, en France. Chaque pays a sa culture. Il en est de même pour les entreprises. Comme dit plus haut, les comportements collectifs des employés d’une entreprise obéissent à des lois invisibles. La "résistance" n’est rien d’autre que la manifestation de cet invisible. De ce qu’Edgar Schein, inventeur du terme "culture d’entreprise", appelle les "hypothèses fondamentales" qui guident les comportements. Votre découverte vaut de l’or. 

Mieux. Comme le dit aussi Edgar Schein, il n’y a pas de changement sans "anxiété de survie". Plus ça hurle, et plus vous êtes sûr d’avoir trouvé un levier de changement efficace. Vous l’avez pris à contre. Voilà tout.

Le tir au journal

J’en arrive à la technique annoncée en introduction. Elle manque de subtilité, mais elle convient à notre culture. 

Son nom, "le tir au journal", a son origine au temps de l’invention des canons à longue portée. Comme on ne savait pas où tombait l’obus, on tirait une fois, puis on lisait, le lendemain, dans les journaux de l’ennemi, ce que cela avait donné. On rectifiait le tir en fonction. 

Cela fait six mois ou un an que vous tentez d’introduire une innovation. Vous avez énormément appris sur l’entreprise. Prenez le temps de la réflexion. Qu’ai-je fait ? Il y a de bonnes chances que vous ayez été guidé par votre intuition : reprenez l’historique de votre démarche, et exprimez  là sous la forme d’une méthode. Puis, demandez-vous : qu’est-ce qui s’est passé, et qu’est-ce que cela révèle de ce qui motive l’entreprise et ses employés ?

Maintenant, prenez rendez-vous avec le dirigeant de l’entreprise. Vous lui présentez votre travail comme étant une phase de diagnostic. Voici la méthode que j’ai appliquée. Voici les résultats que j’en tire. Conclusion : voici ce que vous pouvez gagner, eu égard à ce qui préoccupe la société, et voici le plan d’action que je recommande, et les moyens dont j’ai besoin (y compris en ce qui vous concerne). Une fois un accord obtenu, vous faites la même démarche auprès du reste de l’entreprise, selon les usages de l’entreprise. Cette fois vous êtes adoubé. Vous introduisez la nouveauté en "mode projet". 

Le succès est dans l’optimisme

Pour le psychologue Martin Seligman, l’optimiste est celui qui est stimulé par le revers. L’optimisme explique le succès du bon élève et du champion sportif, bien plus que leurs capacités intellectuelles ou physiques. 

Ici aussi, tout est une question d’optimisme. Etre porteur de nouveauté, c’est s’exposer au revers. Mais le revers est une chance. Car c’est le "soleil d’Austerlitz". Il dévoile les règles du succès.