La performance à tout prix est devenue contre-productive

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Jamais le mot performance n'a été autant invoqué dans le monde du travail. Performance individuelle, collective, émotionnelle, mentale.

Jamais le mot performance n’a été autant invoqué dans le monde du travail. Performance individuelle, collective, émotionnelle, mentale. Pourtant, jamais les signaux de fatigue, d’épuisement et de désengagement n’ont été aussi visibles. Cette contradiction mérite d’être posée clairement : et si notre manière dominante de penser la performance était devenue, non seulement inefficace, mais dangereuse ?

Depuis plusieurs décennies, nous avons largement adopté une vision linéaire de la performance. Une performance qui se mesure presque exclusivement par l’écart entre des résultats attendus et des résultats réalisés. Dans ce modèle, il n’existe pas d’issue de secours : soit les objectifs sont atteints, soit c’est l’échec. La pression est constante, la tolérance aux variations quasi inexistante.

Cette performance linéaire fonctionne comme un sprint permanent. Elle peut être efficace à court terme, dans des contextes précis, mais elle devient destructrice lorsqu’elle est appliquée comme norme durable. Car la vie, le travail et les organisations ne sont pas des sprints. Ce sont des marathons. Et personne ne peut courir un marathon à la vitesse d’un sprint sans s’épuiser gravement.

Face à ce modèle, une autre lecture de la performance existe : une performance systémique. Une performance qui ne cherche pas à produire des bénéfices en continu, mais qui intègre les cycles naturels de l’énergie humaine et collective. Dans cette approche, la performance connaît des pics. On les célèbre. Puis vient une phase de consolidation, de conservation, de récupération. Ensuite, un nouveau cycle s’enclenche.

Cette logique cyclique permet de transformer la performance immédiate en performance durable. Elle repose sur une boucle de rétroaction permanente : évaluer les ressources disponibles, ajuster les objectifs, préserver l’énergie du capital humain. Le résultat ? Peut-être moins de pics spectaculaires, mais une création de valeur qui grandit dans le temps. Sur un cycle de trois ans, par exemple, la richesse produite est souvent bien supérieure à celle générée par une succession de sprints épuisants.

Il est important de le dire clairement : ce n’est pas que les organisations ou les individus « font mal ». Depuis plus de cinquante ans, nous avons collectivement entretenu une véritable propagande de la performance linéaire, associant effort constant, intensité maximale et réussite. Or cela fait déjà plus de dix ans que les faits s’accumulent : ce modèle ne peut pas durer.

Les conséquences sont désormais visibles partout : burn-out, désengagement silencieux, perte d’initiative, conformisme. Non pas par manque de motivation, mais parce que le cadre impose une intensité incompatible avec la réalité humaine. Vouloir une médaille d’or aux Jeux Olympiques suppose un entraînement d’exception, mais certainement pas de courir cinq marathons par an à pleine vitesse.

Repenser la performance ne signifie pas renoncer à l’exigence ou aux résultats. Cela signifie accepter que la performance ne peut pas être permanente, et que la durabilité passe par le respect des rythmes, des ressources et des cycles. La véritable modernité managériale consiste aujourd’hui à construire des cadres exigeants mais respirables, capables de soutenir l’engagement sans l’épuiser.

La performance n’est pas condamnée à devenir une source de pression. Elle peut redevenir un levier d’élan, de clarté et de cohérence, à condition d’être pensée non plus comme une course sans fin, mais comme une dynamique vivante, humaine et durable.