Rapport Lescure : stopper l’hégémonie des majors du Web ?
Pierre Lescure annonçait que son « rapport ne sera pas révolutionnaire, car la révolution, c'est le Net !". Quel cap pour ses 75 propositions ? Un développement de la culture française et des industries de la création qui ne met pas en porte à faux le public, les industries numérique et culturelle.
Un équilibre au final pas si facile à trouver dans un écosystème numérique centré usuellement sur les plateformes de diffusions au détriment du contenu, voir des internautes. Le rapport fixe ainsi subtilement la voie pour rééquilibrer le rapport de force entre l'industrie culturelle française et l’hégémonie numérique des majors du web, les fameux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon).
Mettre la création au cœur de l'écosystème numérique
Le
rapport mentionne ainsi que l'écosystème numérique est un tout
dont la création culturelle est le carburant permettant aux géants
du web d'alimenter leur plateforme : un carburant qui doit être
valorisé à sa juste valeur. Cette création qui sert donc de
carburant aux « tuyau » des FAI et aux plateformes de
diffusion des majors du Web a été durant la dernière décennie
largement sous valorisée. Les plateformes de diffusions, largement
promues pas les pouvoirs publiques, ont ainsi été pendant cette
période la pièce centrale de l'échiquier numérique au détriment
de la création et du contenu culturel, qu'il soit « pillé »
par le piratage ou sous valorisé par les acteurs numériques.
Le
rapport Lescure propose de remettre cette création au cœur de
l'écosystème numérique : « Les
nourritures culturelles, comme
toutes les nourritures terrestres, ont un coût. Il faut que l'accès
soit facile, possible, pour tous. Mais la gratuité absolue est
contre nature" affirmait
ainsi l'ancien patron de Canal+ au Républicain Lorrain 3 jours avant
la remise de son rapport.
Pour mieux valoriser cette création, le rapport préconise ainsi de prélever une contribution sur les appareils connectés (Smartphone, Tablette, ordinateur, TV connecté) mais que cette taxe soit à un taux très faible, de l'ordre de 1%. Sur un marché de 8,5 milliards d'euros d'appareils connectés, cela représenterait tout de même un beau pactole de 85 millions d'euros qui devrait alimenter un fond de soutien aux industrie créatives : musique et cinéma donc mais aussi photographie et jeux video. Une proposition qui met au placard le projet de taxe Google qui semblait difficile à valider juridiquement. Cette contribution sur les appareils connectés devrait en tout cas contribuer à rééquilibrer le fameux partage de la valeur numérique dont les majors du Web sont habituellement accusés d'être les grands bénéficiaires au détriment de la création et des artistes. C'est un mystère pour personne qu'une entreprise comme Apple a jusqu'à présent privilégié la vente de ses produits (Iphone, Ipad …) au détriment de la vente de contenu (musique, film …) : on estime ainsi la part des revenus reversés par la Sacem pour une chanson à 1 euros sur Itunes est de 7 centimes d'euros pour les auteurs, compositeurs et éditeurs.
Le rapport précise néanmoins que "La bataille qui se joue n'oppose pas les industries culturelles aux industries numériques" mais consiste plutôt en un écosystème global où diffuseurs et créateurs doivent collaborer de façon équitable. Privilégier synergies et partenariats entre ces deux industries plutôt qu'une simple confrontation paraît ainsi une solution qui permettra à terme de rivaliser avec les géants américains du Web. Même chose avec le public qui a longtemps été stigmatisé via une « chasse au pirate » : le rapport prône la aussi un apaisement des relations entre public et industrie culturelle en retirant le volet judiciaire de son Hadopi.
Rivaliser à armes égales avec les majors américaines
Le
rapport note par ailleurs que le contenu culturel est utilisé « au
sein du bouquet de services que les plateformes offrent aux
internautes » .
Un contenu qu'utilisent les majors américaines pour alimenter leurs
plateforme et qui leur est de plus en plus indispensable : la
demande de la part des internautes est en effet de plus en plus forte
pour du contenu à forte valeur ajoutée. Pourtant si le rapport
prend note de l’hégémonie des majors américaines et souhaite
donner un « coup de pouce » à la création via la taxe
Smartphone, le rapport stipule surtout la nécessité pour les
acteurs français et européens de concurrencer à forces égales ces
majors.
Comment y parvenir ? En favorisant les synergies donc
mais aussi en soutenant les acteurs européens capables de
concurrencer les majors américaines : l'allemand Bertelsmann ou
encore le français Vivendi en font parties. Le français possède
ainsi cette « double caquette » nécessaire au
développement numérique via ses différentes filiales :
présent aussi bien en terme de création de contenu (Canal+,
Universal Music ...) qu'en terme de moyen de diffusion (SFR, Canal+
...). Le rapport Lescure propose ainsi d'uniformiser les « règles
du jeu » numériques entre les différents acteurs qu'ils
soient américains ou européens. Le rapport Colin et Collin remis en
janvier 2013 avait permis d'établir que les majors américaines
ne payaient peu voir pas du tout d'impôts en Europe … difficile de
les concurrencer dans ces conditions.
La
révision de la chronologie des médias est une des propositions du
rapport Lescure allant dans le sens d'une harmonisation des règles :
en diminuant le délai de diffusion de quatre à trois mois entre la
diffusion en salle et celle en DVD/VOD et en divisant par deux le
délai de la SVOD (vidéo par abonnement), le rapport souhaite ainsi
favoriser l’émergence d'offre VOD et SVOD. « Si
la vidéo à la demande par abonnement se développe en France, les
acteurs français en profiteront. Nous n'avons jamais imaginé que
des acteurs étrangers ne viennent pas en France. »
affirmait ainsi Pierre Lescure dans une interview au Figaro le
lendemain de la remise de son rapport.
Une façon de dire qu'il ne
faut pas avoir peur des acteurs américains, mais plutôt soutenir
les acteurs français et européens en leur donnant les mêmes moyens
que leurs homologues américains pour se développer et ainsi mieux
les concurrencer.