Snapchat Discover : quatre médias pionniers font le point

Snapchat Discover : quatre médias pionniers font le point L'Equipe, Le Monde, Melty et Paris Match font le point sur les bénéfices et les limites de l'offre éditoriale de l'application de partage de contenus éphémères, quatre ans après leur arrivée sur Discover.

C'est en septembre 2016 que Snapchat Discover, la rubrique édito de l'application de partage de photos éphémères, débarquait en France. Une arrivée en grande pompe qui devait permettre à huit médias triés sur le volet de parler au "lecteur de demain". Quatre ans et demi plus tard, le JDN fait le point avec quatre de ces pionniers, L'Equipe, Le Monde, Melty et Paris Match, pour comprendre si les investissements demandés par Snapchat, une équipe de 4 à 6 personnes dédiées à la rubrique, ont pu être rentabilisés, et si l'environnement leur a permis de recruter de nouveaux lecteurs chez les 15-25 ans.

L'enthousiaste : Melty

Côté audiences comme finances, tout va bien chez Melty, le pure-player qui parle aux millennials. Les deux chaînes Discover du groupe, Melty et la Crème du Gaming, sont rentables. Cette dernière, dédiée aux jeux vidéo, fait même désormais beaucoup plus d'audience sur Snap que via son site Web. Chacune propose une édition quotidienne qui, en cumulé, permettent au média d'atteindre le million de visiteurs uniques chaque jour. "Si on rajoute les SnapShow, on atteint les 10 millions de visiteurs uniques par mois", précise le président de Melty, Bruno Massiet du Biest. L'audience a peu bougé sur les deux dernières années mais le temps passé, qui varie entre 50 et 90 secondes par jour, ne cesse d'augmenter. Même enthousiasme du côté des revenus, "largement supérieurs au million d'euros annuel", et qui permettent à Melty, qui consacre 4 collaborateurs à Discover à plein temps mais n'hésite pas à mettre le reste de la rédaction à contribution, d'être rentable au sein de cet environnement.

"Snap nous aide à nous réinventer pour adresser ce public très mouvant"

"L'accompagnement de Snap est irréprochable par rapport à d'autres plateformes. C'est un partenaire qui nous aide à nous réinventer pour adresser ce public très mouvant", constate la COO de Melty, Christine Turk. Bruno Massiet du Biest donne l'exemple des Snapshows, format lancé il y a deux ans par Snap, qui permet à Melty de tenter de nouvelles choses. "Certaines émissions ont très bien marché, comme "Check ton retro" ou "Info Intox", d'autres moins. On itère jusqu'à trouver la bonne formule." Cette liberté de manœuvre vaut également pour l'aspect monétisation, où Snap est l'une des rares plateformes à laisser la main aux médias s'ils le veulent. "On fait énormément de dispositifs publicitaires sur mesure pour nos clients", révèle Christine Turk. Melty n'hésite pas à lancer des éditions spéciales, comme il l'avait fait dans le cadre d'une opération de la marque Durex autour de la sexualité des jeunes. L'environnement lui permet d'attirer des annonceurs qui ont envie de communiquer auprès d'un public qui délaisse les médias traditionnels, comme ce fut le cas pour Monopoly, par exemple. L'essentiel du chiffre d'affaires Discover du groupe provient des ventes de la régie. Les ventes programmatiques, gérées par Snap, restant mineures.

Le pragmatique : L'Equipe

S'il se posait la question, courant 2019, de continuer l'expérience Snapchat Discover, faute de rentabilité, le quotidien sportif est toujours là deux ans plus tard. Il a néanmoins procédé à une rationalisation de sa production éditoriale, en réduisant au moment du confinement le nombre d'éditions proposées chaque semaine. Il a également décidé d'internaliser la création du contenu proposé sur Discover, qui était jusqu'à fin 2020, confiée à son agence. "On a créé une vingtaine de templates de cartes Snap qui nous permettent d'être plus efficace dans la gestion des éditions", précise son directeur du numérique, Emmanuel Alix. Ce modus operandi permet au quotidien sportif de mieux coller à l'actualité, en mettant à jour ses éditions au fil de l'eau. "On publie généralement quatre à cinq cartes vers midi, que l'on enrichit de cinq cartes supplémentaires vers 18 heures, là où, par le passé, on faisait plutôt du froid." Ces efforts n'ont pas été suffisants pour faire de Discover un canal rentable mais le quotidien sportif est optimiste pour 2021. "2020 a été une année compliquée pour le marché publicitaire. Si on avait les revenus de 2019, on serait à l'équilibre avec le coût de cette année", illustre Emmanuel Alix. Les audiences restent importantes, avec entre 300 et 500 000 personnes par jour et 2 millions d'abonnés… mais les CPM obtenus sont eux faibles car essentiellement issus du programmatique. "Notre régie a vendu peu de campagnes Discover en 2020", reconnait Emmanuel Alix.

"Si on avait les revenus de 2019, on serait à l'équilibre avec le coût de l'année 2020"

Pas question pour autant d'envisager partir de Snap, comme ça a été le cas un temps. "On veut continuer à être là-dessus, même si ça nous coûte de l'argent, pour éviter que le marque L'Equipe se rabougrisse avec son audience historique", commente Emmanuel Alix. Une étude réalisée par le quotidien sportif, il y a deux ans, avait révélé qu'un tiers de ses abonnés Discover avaient ensuite consulté la marque sur d'autres environnements, Web ou in-app. Preuve de ce changement d'état d'esprit, L'Equipe réfléchit désormais à lancer un show hebdomadaire de trois à quatre minutes, lui permettant de tester le format SnapShow. "Snap reste un formidable laboratoire pour réfléchir aux nouveaux usages", conclut Emmanuel Alix.

L'opportuniste : Le Monde

Avec 1,4 million d'abonnés et 300 000 jeunes lecteurs chaque jour, l'audience Discover du Monde a peu bougé au cours de ses dernières années. "Chaque redesign occasionne une chute temporaire mais les choses reviennent ensuite à la normale", remarque Olivier Lafargue, chef de service Snapchat au Monde. L'arrivée de TikTok, au sein duquel le quotidien est présent depuis juin 2020, n'a, elle, pas eu d'incidence sur ces audiences. "Il n'y a pas de cannibalisation, les deux environnements sont complémentaires", observe Olivier Lafargue. Snap occupe une place de choix dans la stratégie d'acquisition du quotidien. "Pour faire du bon payant, il faut faire du bon gratuit, rappelle le directeur du numérique, Julien Laroche-Joubert. Avec Discover, on fait découvrir le plaisir de lire Le Monde à un public jeune qu'on espère, un jour, convertir en abonnés." Difficile, en revanche, de savoir si c'est le cas. L'accès à la donnée de conversion est quasi inexistant chez Snap. "Facebook nous permet de travailler avec un maximum de données, ce qui n'est pas le cas de Snap, qui ne permet pas de faire d'attribution simple", confirme Julien Laroche-Joubert. Impossible de savoir, par exemple, combien d'abonnés à l'édition Discover se rendent sur le site ou l'application et à quelle fréquence. Et évidemment de savoir combien sont devenus des abonnés à l'offre payante. "On se contente de voir que nos offres d'abonnement ont explosé chez les jeunes et de se dire que Snap n'y est pas étranger", commente Julien Laroche-Joubert.

"Avec Discover, on fait découvrir le plaisir de lire Le Monde à un public jeune qu'on espère, un jour, convertir en abonnés"

La formule est d'autant plus gagnante que l'édition Discover du Monde est à l'équilibre. Comme chez L'Equipe, les ventes programmatiques prennent le dessus sur les ventes directes, les contraintes de formats et spécificités techniques faisant qu'il n'est pas toujours évident pour la régie du Monde de vendre l'environnement aux annonceurs. "C'est un peu plus bas en termes de CPM quand c'est Snap qui vend", précise Julien Laroche-Joubert. Côté contenus, "il s'agit de mettre l'accent sur la pédagogie, en s'adaptant aux codes de Snap, sans trahir l'ADN du journal", précise Olivier Lafargue. Les lecteurs sont engagés, en témoigne un temps de lecture moyen qui oscille autour des 2 minutes 30 et une moyenne de 4 à 5 cartes consultées par édition. L'édition Discover a d'ailleurs évolué au diapason de cet engagement croissant, en basculant après deux premières années de sujets plutôt courts, traités en superficie, vers des sujets avec davantage de profondeur. D'une dizaine de sujets par édition Discover, Le Monde est passé à trois ou quatre.

Le "parti pour mieux revenir" : Paris Match

"Les charges sont devenues trop importantes par rapport aux revenus générés"

Paris Match est le seul des 8 médias présents au lancement à ne plus être sur Discover. Après avoir d'abord réduit la voilure en juillet 2020, en passant à une édition par semaine, le magazine a finalement décidé d'arrêter les frais. La dernière édition Discover date d'août 2020. "Cette chaîne aura été une super expérience, qui nous a permis de tester de nouveaux formats. Mais les charges sont devenues trop importantes par rapport aux revenus générés", justifie son directeur du numérique, Olivier Lendresse. L'audience est restée stable mais les CPM obtenus ont baissé en même temps que Discover s'est ouvert à de nombreux autres partenaires. Et la chaîne, qui était rentable au début, ne l'était plus à la fin. Cet arrêt s'est imposé d'autant plus naturellement que Paris Match a décidé, au même moment, de revoir sa stratégie éditoriale. "Nous sommes l'un des médias avec le plus faible taux de duplication entre print et numérique. Nous voulons attirer les lecteurs du papier sur nos environnements en ligne", explique Olivier Lendresse. Dans ce contexte de recentrage éditorial, toucher les 15-25 ans, comme le permet Snap, est devenu moins stratégique.

Mais pas question, pour autant, de tirer un trait définitif sur la plateforme. "Nous y reviendrons, sans doute même dès 2021", promet Olivier Lendresse. Le dirigeant observe avec attention l'évolution prise par Snap, qui fait de plus en plus de place aux émissions vidéo, au détriment des éditions classiques, qui s'appuient sur des cartes. "Les coûts d'entrées sont nettement plus bas dans la mesure où ces formats peuvent être également diffusées sur d'autres environnements comme Facebook ou Instagram", observe-t-il. Un SnapShow est donc plus facilement rentabilisé que les éditions classiques qui, selon le cahier de charges imposé par Snap, impose de recourir à plein temps à un ou deux journalistes et plusieurs motions designers.