Le metaverse, nouveau terrain de bataille des géants de la tech

Le metaverse, nouveau terrain de bataille des géants de la tech Si les GAFA ont bien consolidé leur emprise sur le Web, ils sont bien plus nombreux, depuis Roblox jusqu'à Epic Games à convoiter ce nouveau terrain de jeu.

Maintenant qu'il a le monde du mobile bien sous sa coupe (Facebook contrôle quatre des cinq applications les plus populaires au monde) Mark Zuckerberg a les yeux rivés sur un nouveau royaume : le metaverse. "Le metaverse, c'est le futur de Facebook en tant que société", a ainsi assuré le dirigeant à ses actionnaires à l'occasion de la dernière présentation des résultats de Facebook. Mais le metaverse, c'est quoi ? C'est un univers virtuel qui semblera familier aux rares qui ont lu l'ouvrage de Neal Stephenson, "Snow Crash", paru en 1992 et à ceux qui, plus nombreux, ont vu le film de Steven Spielberg, "Ready Player One". C'est, à en croire le VC américain, Matthew Ball, auteur de nombreux articles sur le sujet, un environnement virtuel, live, persistant (pas de début, pas de fin) et ouvert. De façon à ce que chaque utilisateur puisse transporter son avatar et ses biens d'un endroit du metaverse à un autre, peu importe qui en gère cette partie.

La différence de taille entre le metaverse que Facebook veut mettre sur pied et celui de Second Life, c'est le marché adressable. Ce n'est plus l'apanage de quelques geeks, aussi nombreux soient-ils comme à l'époque de Second Life."

On pense forcément à Second Life, cet univers virtuel qui a buzzé au début des années 2000, touchant jusqu'à 30 millions d'utilisateurs, avant de retomber dans l'oubli, balayé notamment par la révolution… Facebook. Fabien Gaetan, head of gaming et social entertainment chez We Are Social, coupe court. "La différence de taille entre le metaverse que Facebook veut mettre sur pied et celui de Second Life, c'est le marché adressable. Ce n'est plus l'apanage de quelques geeks, aussi nombreux soient-ils comme à l'époque de Second Life. C'est aujourd'hui la grande majorité de la population qui est capable de naviguer dans ces univers-là." Le coronavirus est passé par là et, avec lui, des nombreuses mesures de confinement et de distanciations sociales qui ont poussé tout un pan de la population vers le digital. "Durant plusieurs mois, le monde physique s'est réduit à une superficie de 1km² favorisant l'explosion du monde virtuel", rappelle Fabien Gaetan. Et d'illustrer son propos en prenant son propre cas : "Ces derniers temps j'ai plus vu l'un de mes meilleurs amis dans la ville virtuelle de Los Santos, via GTA, que dans la vraie vie."

L'autre différence, c'est l'évolution de la technologie. Pas de lunettes connectées comme Snapchat Spectacles ou Facebook Glasses à l'époque de Second Life, voire de casques en réalité virtuelle comme Oculus de Facebook ou Hololens de Microsoft. Les usages sont encore balbutiants. Et les fabricants sont encore loin de concevoir des appareils qui soient à la fois faciles à porter et technologiquement avancés. Mais la démocratisation est en marche et avec elle, celle du metaverse. "Ce dernier n'aura de sens que si on peut s'y rendre via un device qui permet d'y naviguer spatialement, ce qui n'est pas possible avec une souris d'ordinateur", assure le fondateur de Sketchfab, Alban Denoyel. La plateforme vient d'être récemment acquise par Epic Games. Sketchfab, qui contient 4 millions d'assets 3D qu'on peut vendre, acheter ou éditer, doit permettre au propriétaire de Fortnite de se rapprocher d'un "metaverse ouvert et interconnecté". "Sketchfab permet à tout un chacun de mettre la main sur des avatars ou des environnements, comme la planète Mars version 3D, qui permettront de proposer des expériences dans le metaverse", illustre Alban Denoyel.

De géant du gaming à architecte du metaverse, il n'y a qu'un pas, semble croire son nouvel actionnaire. Epic Games avait déjà entamé sa mue en plein confinement, en hébergeant un concert du rappeur Travis Scott qui a réuni pas moins de 12 millions d'utilisateurs en avril 2020. L'Américain, qui réunit plus de 350 millions de joueurs sur Fortnite, devra néanmoins composer avec des concurrents de choix comme Roblox ou Minecraft, qui veulent eux aussi leur part du metaverse. Le premier réunit une quarantaine de millions de joueurs chaque jour et a été valorisé 50 milliards de dollars depuis son IPO en avril 2021. Roblox  vient d'annoncer un partenariat avec la marque Vans, aboutissant à la création d'un univers animé baptisé Vans World, au sein duquel les fans de la marque peuvent aller skater, chaussés de leurs Vans préférées, dans une déclinaison virtuelle de leur skatepark préféré.

Le metaverse est, à l'image du gaming, le royaume du modèle freemium. Un royaume où il faudra payer pour se démarquer à l'image de ce qui se fait déjà sur Fortnite

Pas plus Roblox qu'Epic ou Minecraft ne sont, pour l'instant, à même de transposer leurs utilisateurs dans le metaverse, faute d'être capables de proposer des environnements persistants (c'est-à-dire qui vivent même en l'absence des joueurs). Mais ils s'en approchent tout doucement. C'est d'ailleurs toute une économie qui s'est mise en place dans le Vans World de Roblox, avec certains items qui seront gratuits mais la plupart qui seront accessibles via la monnaie virtuelle locale, le Robux. Oui, le metaverse est, à l'image du gaming, le royaume du modèle freemium. Un royaume où il faudra payer pour se démarquer (rendre son avatar plus beau, lui adjoindre de nouvelles fonctionnalités…) à l'image de ce qui se fait déjà sur Fortnite où c'est toute une économie du skin (ces enveloppes qui permettent de donner vie à son avatar) qui s'est développée.

"Epic, le propriétaire de Fortnite, génère des revenus dingues avec cette vente de skins", observe Fabien Gaetan. Le géant du gaming avait communiqué sur les ventes de skins réalisées en novembre dernier à l'occasion d'un partenariat avec la NFL. Avec un total de 3,3 millions de skins vendus 15 dollars chacun, il a dégagé près de 50 millions de dollars de revenus en à peine deux mois. Ce n'est qu'un début alors que les marques sont de plus en plus nombreuses à investir ces metaverse en devenir. Comme Gucci, qui a lui aussi annoncé en juillet dernier un partenariat avec Roblox, permettant aux utilisateurs de la plateforme de gaming d'habiller leur avatar avec des habits de la marque.

Le metaverse ne se cantonnera pas qu'au divertissement… Du moins, c'est ce qu'espère Facebook avec le lancement de ses salles de réunion virtuelles, les Workrooms, auxquelles on accède via un casque Oculus Quest 2. "D'une réunion Zoom, où les caméras statiques limitent les interactions, à une réunion Workroom, où l'interactivité serait plus forte, il n'y a qu'un pas qu'ils sont nombreux à vouloir franchir", assurait Andrew Bosworth, vice-président de Facebook Reality Labs, à l'occasion de la présentation de la beta. Gadget ou véritable révolution ? Les adeptes du remote work trancheront… Mais cette première tentative du laboratoire de Facebook reste une prouesse technologique quand on sait qu'un environnement comme Workroom doit, à lui seul, permettre la captation des mouvements de mains des participants, les flux de leurs ordinateurs, de même que la vidéo et l'audio qui les concerne. "Ce n'est qu'un premier pas vers une expérience plus aboutie, juge Fabien Gaetan. Facebook veut aller plus loin en proposant des interactions avec des objets virtuels permettant d'expliquer les choses plus facilement."

Le metaverse, c'est l'occasion pour des acteurs comme Epic Games, Roblox et Minecraft de s'affranchir des règles et des commissions d'Apple

Le metaverse n'est pas encore une réalité… mais ils sont déjà nombreux à en revendiquer la paternité (ou du moins un bout). Il faut dire que c'est, pour des géants du gaming comme Epic Games, Roblox et Minecraft, devenu un enjeu de souveraineté. Une porte de sortie à l'Internet tel qu'on le connait aujourd'hui, où des walled gardens comme Facebook, Google et Amazon multiplient les acquisitions pour renforcer l'épaisseur de leur mur et où un Apple fait la pluie et le beau temps sur le monde applicatif, grâce à IOS. En basculant dans le metaverse, ils s'affranchiraient par exemple d'Apple, en maîtrisant tout eux-mêmes, là où sur mobile, ils doivent composer avec les règles de la firme à la pomme… et ses commissions de 15 à 30%. On peut d'ailleurs voir dans le procès qui oppose actuellement Epic Games à Apple la première bataille d'une guerre qui s'inscrit sur le long terme et devrait, tôt ou tard, se déporter sur le metaverse.

GAFA contre big tech

Le patron d'Epic, Tim Sweeney, a d'ailleurs plaidé que l'issue de ce procès serait cruciale pour la création du metaverse. "Ce sera très compliqué pour Epic et les créateurs d'exister dans un futur où Apple prend une commission de 30%", a-t-il assuré aux juges. Le patron d'Epic a remporté la première bataille (l'App Store ne devra plus imposer son système de paiement) mais il sait que le chemin est long. "Epic a fait de l'ouverture et de l'interopérabilité l'un de ses chevaux de bataille. L'enjeu, ce n'est pas de posséder le metaverse mais de fournir des outils qui permettent à chacun de créer son propre metaverse", explique Alban Denoyel.

En attendant, chacun fourbit ses armes. "Les acteurs du gaming ont la maîtrise du langage qui fera le metaverse. Et ils ont derrière eux 10 ans d'expérience dans le social gaming", note Fabien Gaetan. Les GAFA ont, pour eux, des moyens quasi illimités et une certaine maîtrise du hardware. Le metaverse, c'est l'occasion pour Marc Zuckerberg de justifier les 2 milliards de dollars dépensés dans la technologie Oculus en 2014… sans vraiment de retour sur investissement pour le moment. C'est pour Apple et Google la nécessité de transposer leurs brevets et les connaissances techniques accumulées via leurs OS et smartphone vers de nouveaux devices : lunettes connectées, assistants vocaux… La lutte entre géants du gaming et GAFA tourne donc à l'éternelle dualité hardware versus software. "Difficile de savoir, à ce stade, qui des managers des lieux, les acteurs du gaming, ou des détenteurs des portes d'accès, auront le plus de pouvoir", s'interroge Fabien Gaetan. Réponse dans les mois, voire les années, à venir.