Sam Yam (Patreon) "Près de 3 milliards de dollars ont été versés aux créateurs sur Patreon"

Pour de nombreux internautes, la création de contenu est devenue une activité à part entière. Pour les aider à monétiser et gérer leur communauté, Patreon fournit de nombreux outils. NFT, metaverse... Son cofondateur détaille ses projets.

JDN. Comment est né le concept de Patreon ?

Sam Yam est le cofondateur, CTO et président de Patreon. © Patreon

Sam Yam. En 2013, mon cofondateur Jack Conte avait constaté que le modèle de rémunération des créateurs, traditionnellement basé sur la publicité, ne fonctionnait pas. Jack était un musicien qui réalisait des dizaines, voire des centaines de milliers de vues sur Youtube. Mais il était rémunéré à peine quelques centaines de dollars pour son activité. Le modèle publicitaire est en réalité valable lorsque l'on a une audience massive, ce qui est loin d'être le cas de la majorité des créateurs. Notre volonté avec Patreon était de permettre aux créateurs de contenu de gagner de l'argent en créant de la valeur pour des communautés prêtes à les soutenir financièrement à travers un abonnement.

Qu'entendez-vous par "créateur" ? Quels sont les types de contenus les plus populaires sur la plateforme ?

Tout le monde peut devenir un créateur sur Patreon et développer une communauté autour de sa passion ou expertise. Il est possible de développer une audience engagée autour d'intérêts ou de sujets de niche. Les créateurs de vidéos ou de podcasts sont généralement ceux qui réussissent le mieux sur Patreon en tissant du lien grâce à leurs contenus. Des auteurs, journalistes, formateurs ou musiciens tirent aussi leur épingle du jeu. Nous avons d'ailleurs connu une croissance forte pendant la crise du Covid. Ne pouvant plus assurer de concerts ou de représentations, certains artistes se sont tournés vers Patreon pour diversifier leurs revenus. Nous dénombrons désormais huit millions de contributeurs actifs chaque mois. Depuis notre création en 2013, plus de trois milliards de dollars ont été versés aux créateurs.

Combien de ces créateurs réussissent à vivre uniquement grâce à leur activité sur Patreon ? Quels sont vos principaux marchés ?

"Près de 75% des créateurs résident hors des Etats-Unis"

Aux Etats-Unis, plusieurs dizaines de milliers de personnes perçoivent plus de 1 000 dollars de revenus chaque mois grâce aux abonnements vendus sur Patreon. Permettre aux créateurs de générer des revenus significatifs est précisément notre objectif. Près de 75% des créateurs résident hors des Etats-Unis. Nous observons une croissance importante en Europe, notamment en Irlande et en Allemagne, devant la France. Le Canada et l'Australie comptent également un nombre important de créateurs sur notre plateforme. Enfin, concernant notre modèle, nous nous rémunérons à travers une commission prélevée sur les revenus mensuels générés par les créateurs qui peut être de 5, 8 ou 12%, selon l'option choisie.

Au cours de la conférence Creator Economy Summit 2021, vous avez pour la première fois évoqué un intérêt pour les NFT. Pourquoi ?

Nous sommes encore en train de travailler sur le sujet. Certains des principes liés à la décentralisation du Web sont parfaitement alignés avec nos valeurs. En achetant un NFT, vous ne devenez pas seulement propriétaire d'une œuvre d'art ou d'un objet numérique, cela vous permet également de devenir membre et d'accéder à certains privilèges comme le fait de voter. Cette notion "d'ownership" est au cœur de ce que propose Patreon, qui est né de la frustration des créateurs qui n'avaient pas un accès direct à leur communauté car celle-ci était rattachée à une plateforme bien précise. Les NFT renforcent cette idée qu'aucune plateforme ne détient les données utilisateurs. Ainsi, les créateurs publient leurs contenus sur la blockchain et non plus sur un site Web

Concrètement, comment prévoyez-vous d'intégrer des NFT sur Patreon et à quelle date ?

"En achetant un NFT, vous pouvez devenir membre et accéder à certains privilèges"

Nous en dirons plus là dessus en début d'année. Les Creator Coins font partie des options que nous étudions, probablement à travers des partenariats avec des entreprises spécialisées du secteur. A noter que l'aspect spéculatif autour des NFT n'est pas ce qui nous intéresse. Nous ne voulons pas devenir une plateforme où des personnes investissent dans un but spéculatif avec le risque de perdre de l'argent. Nous voulons permettre aux créateurs de vendre leurs œuvres numériques, de développer cette notion "d'ownership" et de créer du lien avec leurs communautés.

Pensez-vous que l'annonce de Zuckerberg concernant le metaverse va créer de nouvelles opportunités aux créateurs en leur permettant de monétiser de nouveaux contenus ?

Ces tendances autour des NFT et de la décentralisation peut être difficile à comprendre pour le plus grand nombre. Je crois que le metaverse va permettre de traduire certains éléments dans une forme plus concrète et tangible pour le grand public, ce qui devrait, in fine, bénéficier aux créateurs et aux artistes du numérique. Je pense par exemple à cette entreprise qui avait créé un showroom virtuel utilisant la VR pour permettre aux utilisateurs d'exposer leurs NFT un peu comme un exposerait des œuvres sur un mur.

Patreon a levé 155 millions de dollars en avril 2021 portant sa valorisation à plus de 4 milliards. Comment voyez-vous la plateforme évoluer dans les années à venir ?

"Nous en révélerons sans doute davantage sur notre IPO cette année"

Nous voulons continuer à aider les créateurs en leur mettant à disposition des outils spécifiques comme la possibilité de mettre en ligne des vidéos ou podcasts en format natif directement sur Patreon. Nous souhaitons également continuer de nous développer à l'international en traduisant notre plateforme dans davantage de langues et en proposant de nouvelles devises.

Par ailleurs l'activité des créateurs est aujourd'hui multiplateformes, que ce soit sur Tik Tok, Instagram, Youtube, etc. Et Patreon a vocation à faire le lien entre toutes ces plateformes et de permettre de gérer la relation avec sa communauté en un seul endroit. Notre conviction est que les créateurs seront les personnes les plus influentes de ces prochaines années. Patreon est la plateforme sur laquelle un créateur peut réunir toute son offre et convertir ses followers en membres afin de les monétiser

Patreon est régulièrement citée parmi les entreprises candidates à une entrée en bourse en 2022. Une IPO sous la forme d'un direct listing, ce qui permettrait à votre communauté de créateurs d'y prendre part, serait-elle envisageable ?

Rien n'est décidé en ce qui concerne une entrée en bourse. Nous étudions différentes options. Le cas échéant, il est certain que nous souhaiterons prendre en compte les créateurs qui sont au cœur de notre plateforme. Nous pourrions par exemple leur permettre de convertir une partie de leurs revenus en parts de l'entreprise. Il est clair que nous voudrons nous montrer innovants sur cette question, que les créateurs reçoivent également une partie de la valeur générée par notre entreprise. Encore une fois, je ne peux pas trop en dire mais nous en révélerons sans doute davantage cette année.

Sam Yam est le cofondateur, CTO et président de Patreon, la plateforme de financement des créateurs et artistes grâce à un système d'abonnement. Avant Patreon, il avait cofondé AdWhirl, une plateforme de monétisation sur mobile acquise par AdMob. Depuis 2017, il collabore avec l'incubateur YCombinator. Auparavant, il a travaillé chez Google, Yahoo et l'accélérateur de Stanford StartX. Il est diplômé d'une licence en informatique à Stanford, où il poursuit son cursus en master, toujours en informatique, qu'il a mis en pause pour s'occuper de Patreon.