WeWard dans le Web2, Stepn, DeFit dans le Web3… le move2earn va-t-il durer ?

WeWard dans le Web2, Stepn, DeFit dans le Web3… le move2earn va-t-il durer ? Les applications rémunérant l'activité physique se multiplient. Toutes n'ont pourtant pas le même modèle et celle en provenance du Web2 résiste bel et bien à l'envahisseur Web3.

Lancée en 2019, l'application française WeWard se targue aujourd'hui d'une audience supérieure à dix millions d'utilisateurs. Son concept ? Récompenser la marche à pieds : au terme de sa journée, l'utilisateur remporte en effet des points, nommés wards, selon le nombre de pas effectués. Un succès. "A peu près 10% de la population française l'utilise", assure Yves Benchimol, PDG et fondateur de la startup, désormais présente dans sept pays et en passe de se lancer aux Etats-Unis.

Difficile de ne pas saluer cette popularité au regard de la forte hausse de l'obésité (17% des Français en 2020, soit deux fois plus qu'en 1997) et d'une pratique trop faible d'activité physique pour l'immense majorité des Français, selon l'Anses. Pour autant, WeWard ne se revendique "pas une application de sport", selon son fondateur. "Nous ne sommes pas là pour vanter la notion de performance."

Dix millions d'euros distribués

Présentation de l'application mobile WeWard. © WeWard

Depuis sa création, WeWard a distribué dix millions d'euros à ses utilisateurs, un coût financé par la publicité présente sur l'application, à travers de l'affichage ou de l'affiliation via des coupons de réduction pour des marques. "On ne revend pas nos données d'utilisateur", insiste bien Yves Benchimol, qui évoque d'autres stratégies de monétisation, notamment par les mutuelles. " On travaille déjà avec Malakoff Humanis sur un sujet pour les seniors dans le sud de la France. On discute avec des centres hospitaliers. Il y a également la valeur écologique : on a prouvé qu'on économisait jusqu'à 600 000 tonnes de CO2 par an puisque certains utilisateurs ont remplacé leurs courts déplacements en véhicule thermique par de la marche à pieds. On travaille donc actuellement sur la valorisation de ces 600 000 tonnes de CO2 économisées."

Déjà rentable, WeWard ne prévoit pas actuellement de levée de fonds et compte recruter pour passer d'une trentaine de salariés actuellement à une cinquantaine à terme. L'avenir semble radieux, d'autant que le marché américain présente un potentiel indéniable. "Les problèmes de sédentarité et d'obésité sont très conséquents aux Etats-Unis", rappelle Yves Benchimol. "C'est quand même l'un des seuls pays développés où l'espérance de vie est en baisse, et c'est en grande partie à cause de l'inactivité." Un territoire prometteur, donc, et sur le papier, presque dénué de concurrence.

"Il y a tout de même les sociétés du Web3", tempère le futur Newyorkais. "Ce sont de vrais concurrents car aux Etats-Unis, lorsqu'il s'agit de se mouvoir, on pense à ces boîtes." Le dirigeant de WeWard est prudent, et pour cause, certaines startups du Web3 ont en effet embrassé cette mouvance du move2earn, que l'on pourrait traduire par bouger pour percevoir. La plus connue à ce jour ? Stepn, lancée en 2021 par le studio australien FindSatoshi Lab sur la blockchain Solana. De la même manière que WeWard, l'application récompense ses utilisateurs lors d'une activité physique, marche ou course, mais contrairement à son homologue hexagonal, Stepn a adopté un modèle économique conditionné par la technologie Web3 : l'app n'est accessible qu'après l'achat de sneakers virtuelles NFT et l'écosystème est régi par deux jetons : le jeton de récompense, GST, et le jeton de gouvernance, GMT.

"Les sociétés Web3 sont de vraies concurrentes à WeWard, notamment aux Etats-Unis"

Durant un temps, l'application a cartonné, au point de créer une véritable bulle : entre 500 000 et 700 000 utilisateurs au printemps 2022, des prix pouvant atteindre plus de mille dollars pour les sneakers NFT, un chiffre d'affaires de 122 millions de dollars pour le second trimestre 2022 et des revenus très conséquents pour certains utilisateurs, jusqu'à plusieurs centaines de dollars par jour. Néanmoins, cette activité économique n'a pas survécu plus de quelques mois : aujourd'hui, Stepn compte difficilement 6 000 utilisateurs quotidiens selon Dune.xyz, le prix moyen d'un NFT atteint une vingtaine de dollars et il n'est plus question des rentiers de Stepn.

Ex-ambassadeur de l'application, Jérôme Tapie évoque au JDN une société qui s'est "désintéressée des joueurs les plus fidèles". Il n'est par ailleurs pas déraisonnable de penser qu'une application Web3 basée sur des tokens et NFT soit affectée par l'état global du marché crypto. Enfin, son modèle économique ne paraissait pas bâti pour supporter une telle croissance puisque les utilisateurs doivent vendre leurs jetons reçus afin de convertir leurs récompenses, impliquant une certaine dilution sur le nombre de jetons en circulation. D'après Lucas, actuel ambassadeur français de Stepn, "la disparition de la boutique d'achat de sneakers sur iOS, en raison des régulations d'Apple sur les NFT, est le problème principal".

La concurrence en est une autre, notamment celle représentée par Sweatcoin, une application créée en 2015 sur un modèle centralisé et portée progressivement sur la plateforme blockchain Near. Elle aussi rémunère ses utilisateurs, selon l'effort effectué et par un jeton natif, le Sweat. L'application revendique aujourd'hui 13 millions de wallets créés. Le site analytique DappRadar indique quant à lui des données plus modestes, bien qu'encourageantes pour une offre Web3 : 19 000 utilisateurs hebdomadaires, un nombre qui relève uniquement ceux ayant interagi avec le smart contract et ne donne donc peut-être pas le tableau complet.

Une autre application, Genopets, propose quant à elle un concept plus trivial :  le move2earn avec son animal virtuel de compagnie, le Genopet étant une créature fictive également amenée à combattre. Le jeu convertit donc l'activité de l'utilisateur en points d'expérience, lesquels permettent à la créature d'évoluer. D'un point de vue monétaire, cette dimension ludique séduit puisque l'une de ces bêtes (il y en a 3 200 en circulation) s'échange à environ 400 euros. En termes d'utilisateurs actifs, là encore, les statistiques sont modestes : environ 10 500 mensuels, selon l'agrégateur Dune.

Defit, l'anti-Stepn

En France, un autre projet Web3 conquiert le cœur des pratiquants de sport : Defit, fondée par le triathlète Kevin Serou et incubée au Tremplin à Paris, comme WeWard à son lancement. Contrairement à cette dernière, Defit assume son orientation sport et récompense les activités course, cycliste et natation. Pour attirer le grand public, son fondateur a pensé à l'inviter sans le moindre point de friction : "Ce qui nous rend unique par rapport à la concurrence c'est d'avoir plusieurs modes. Certaines applications ne sont pas accessibles à tous, notamment lorsqu'il faut d'abord passer par un achat.

Capture de l'application mobile Defit. © JDN

Quand il faut acheter une sneaker virtuelle qui coûte 1 000 dollars un jour, aujourd'hui 30, comment pouvez-vous espérer faciliter les débuts dans le Web3 ? Nous, nous avons créé un mode gratuit", relate Kévin Serou, non sans tacler Stepn. Ce mode gratuit permet à chaque utilisateur de gagner des récompenses à partir de trente minutes d'activité, un seuil minimum créé pour inciter à l'exercice. La rétribution se fait par le jeton Defit, dont le nombre total émis sur le réseau Polygon est limité, contrairement à son principal concurrent du Web3. "On ne peut pas avoir une économie saine avec une offre de jetons illimitée", assure le créateur de Defit. "Nous avons limité le nôtre à 50 millions d'unités." Deux autres modes existent, dénommés Club Member et Web3 Player, pour offrir d'autres bénéfices. Ils nécessitent quant à eux un minimum d'investissement de la part des utilisateurs : l'achat de 3 000 Defit (environ 270 euros).

Parti de Stepn, Jérôme Tapie salue les efforts de Defit, qu'il qualifie de "plus sérieuse et prometteuse en matière d'ADN sport". A peine dix mois après la création de Defit, ils sont aujourd'hui près de 6600 à l'avoir, comme lui, téléchargée : selon Kevin Sérou, l'application compte désormais environ 2 600 utilisateurs actifs avec le mode gratuit et 341 "club members" actifs, dont près de la moitié quotidiennement.

Un volume encore loin de concurrencer celui de WeWard mais la multiplication de ces projets suggère néanmoins une tendance pérenne pour le move2earn. "Encore faut-il un modèle économique vertueux", conclut Yves Benchimol, PDG de WeWard.