Où et comment investir pendant la crise

Où et comment investir pendant la crise Pétrole à court terme, obligations d'entreprises américaines à moyen terme et valeurs tech à plus long terme… Voici les pistes d'investissement de trois professionnels du conseil financier à qui est prêt à risquer quelques liquidités.

"Un obsédé dans un harem", voilà comment Warren Buffet déclarait en 2008 se sentir à l'issue du krach boursier. En 2020, la toute récente évolution des cours, très vite repartis à la hausse, n'a sans doute pas eu le temps de mettre le gourou dans tous ses états. "Les plus belles opportunités sont derrière nous, estime en effet Louis de Froissard, gérant du cabinet de conseil Montaigne Patrimoine. Après une décente aux enfers très rapide jusqu'au 18 mars, une reprise assez violente est intervenue et pas mal d'opportunités extrêmes, permettant de faire +20% en quelques jours, ont disparu." Exemple à l'appui : "De belles boites, comme Airbus, ont été massacrées au début de la crise mais ont connu depuis un premier rebond important". Cela étant, "il est encore possible d'aller chercher des rendements intéressants". Alors, sur quoi jeter son dévolu lorsqu'on dispose de quelques liquidités que l'on est prêt à risquer ?

"Le crédit américain de toute notation, et notamment la partie supérieure du high yield, est intéressant"

Première classe d'actifs qui retient l'attention des professionnels du conseil financier, les obligations. "Les spreads se sont de nouveau écartés, donc le risque a de nouveau un prix et on peut se retrouver avec des rendements intéressants", justifie Louis de Froissard. En particulier, "le crédit américain de toute notation, et notamment la partie supérieure du high yield, est intéressant", estime Alexis Bienvenu, gérant allocation d'actifs à La Financière de l'Echiquier. Dans le cadre de son soutien aux marchés, la Fed a en effet précisé le 9 avril qu'elle rachèterait aussi des ETF spécialisés dans les obligations high yield, après avoir annoncé fin mars qu'elle rachèterait des ETF américains exposés au marché des obligations d'entreprises américaines investment grade. "Nous avons saisi l'occasion de ces annonces pour augmenter la pondération que nous avions sur le crédit, explique Alexis Bienvenu. Nous en avions déjà pas mal en Europe mais assez peu sur les Etats-Unis, en raison du risque de change et de l'inflation considérable qu'il y avait autour des obligations d'entreprises moyennement notées dans les dernières années. L'annonce de la Fed nous a fait revoir notre position. Elle mettra du temps à sortir de ce programme-là. Avant que crise soit passée et qu'on réduise les achats de crédit… La sortie se fera pas à pas."

Mais bien sûr, la pertinence d'un investissement se mesure notamment à l'aune de l'horizon de placement. Or, le marché du high yield n'est pas liquide, prévient le gérant de portefeuille : "Quand on achète du high yield, c'est souvent dans un moment calme, donc avec petite surcote et quand on le vend, c'est avec une petite décote. Il faut avoir au moins un an devant soi. Si on se porte acquéreur dans un moment où le marché est très vendeur, là, on a une bonne prime et on peut revendre un peu plus vite, mais ce n'est généralement pas ce que font les gens".

Autre piste : les foncières cotées, qui certes connaissent un rebond mais ont particulièrement souffert

Pour Gilles Etcheberrigaray, directeur général de la société de gestion de portefeuille Invest AM, il est encore un peu tôt pour se jeter sur les obligations d'entreprise : "Il faut attendre que les défauts soient passés pour que le risque soit correctement rémunéré. Il y a déjà eu une première panique – on a assisté à un décrochage de 10% des obligations de qualité et de 15 à 20% des obligations à haut rendement – que les banques centrales ont calmé la semaine du 6 avril. Mais après l'aspect sanitaire de la crise aujourd'hui il y aura les conséquences, avec des défauts dans les trois à cinq mois qui viennent et il faudra à ce moment-là s'intéresser aux obligations d'entreprise de qualité et même à celles à haut rendement dans les mois qui viennent". Le CGP donne l'exemple du fonds La Française Rendement Global 2025 "qui valait 100 avant la crise et qu'on peut acheter à 85 euros aujourd'hui". Reste l'inconnu des défauts : "Pour plus de prudence, on peut attendre le compte rendu mensuel du mois de mars, qui devrait tomber la semaine prochaine. En cas de défaut, autant savoir comment cela va impacter la part".

Autre piste, selon Louis de Froissard, les foncières cotées, qui certes connaissent un rebond mais ont particulièrement souffert. "Attention toutefois à n'aller que sur des grandes valeurs, bien visibles, pour s'assurer d'avoir de la liquidité. En cas de nouvelle phase de repli, les petites valeurs, qui n'ont pas de visibilité, peuvent se revendre très, très, très bas". Et de citer Klépierre en exemple de grande valeur : certes, au 16 avril, la valeur a remonté de plus de 10% depuis le plus bas, atteint un mois plus tôt, mais elle reste divisée par deux par rapport au 2 janvier 2020. "Quand on voit que le rendement 2020 est estimé à 14,82%... Alors certes, elle ne les atteindra pas. Mais dire qu'on achète 10% de rendement, ce ne serait pas idiot…"

"Privilégier les indices larges, au moyen d'ETF et de fonds, afin de diversifier son risque, sans chercher à savoir précisément ce qui va marcher, car on est encore dans l'entre deux mondes"

Le train est passé une première fois, mais des opportunités sont encore possibles, donc. Faut-il les saisir dès aujourd'hui ou attendre des jours - encore - meilleurs ? Deuxième solution, pour Gilles Etcheberrigaray : "Dans l'histoire, il y a des niveaux fondamentaux qui font qu'on peut investir les yeux fermés car, sur le temps long, et la bourse est une affaire de temps long, ça ne peut être que rentable. Si on investit maintenant, on aura un niveau de dividende qui peut être intéressant sur les années qui viennent, malgré les annonces de suspension de dividendes auxquelles on a assisté les semaines précédentes. Les gens qui investissent aujourd'hui seront gagnants. Tous les indices sont investissables, mieux qu'il y a trois mois. Maintenant, est-ce que la crise est finie ? Probablement pas, il reste un peu de temps encore. Il reste urgent d'attendre." "On va de nouveau avoir des points d'entrée sur le marché. Ce serait étonnant, que d'ici l'été, il n'y ait pas de nouveau le moment qui permette de se positionner", confirme Louis de Froissard.

Dans l'immédiat, Gilles Etcheberrigaray conseille de privilégier les "indices larges, au moyen d'ETF et de fonds, afin de diversifier son risque, sans chercher à savoir précisément ce qui va marcher, car on est encore dans l'entre deux mondes. On peut commencer par là pour ne pas avoir un choix à faire tout de suite sur les valeurs. La volatilité est très élevée en ce moment ce qui permet de fabriquer des produits structurés aux caractéristiques techniques très favorables". Côté secteur, celui du pétrole paraît avoir été "un peu trop puni, donc intéressant dans le moyen terme". Alexis Bienvenu, de La Financière, abonde : "Dans une optique de tactique pure, prendre quelques positions contrariantes sur le pétrole sur une petite partie du portefeuille peut être intéressant car il devrait remonter dans les six mois, ou en tout cas à assez court terme. De même que les valeurs de consommation discrétionnaire, comme le luxe, qui reviendront lorsque les gens pourront de nouveau consommer beaucoup". Plus largement, le gérant s'attend, à cet horizon, à un retour de tout ce qui a été massacré ces dernières semaines : pétrole, transport, compagnie aérienne, etc. "Après ce rebond, les thématiques déjà abordées avant la crise, comme les valeurs durables, reviendront au goût du jour. Mais dans plusieurs années."

"On voit mal comment, sur le long terme, les valeurs tech pourraient ne pas tirer leur épingle du jeu"

Sur le long terme, Alexis Bienvenu préconise surtout de miser sur les valeurs tech, même si elles restent chères aujourd'hui : "Je pense notamment à tout ce qui est abonnement, entertainment… Ce sont des valeurs qui profitent du confinement et qui devraient pouvoir tirer leur épingle du jeu même après cette période, car les habitudes de travail et de loisirs auront été profondément impactées. D'autant que, si la crise actuelle s'accentue, ou en cas de nouvelle crise dans un an, on peut imaginer que cette fois-ci la Fed se mette aussi à acheter des actions. Cela peut donc être intéressant de renforcer l'allocation actions américaines."

Mais là encore, mieux vaut procéder par petits pas. "Il faut se donner du temps et le faire de manière progressive. Il faut s'attendre à ce que le marché soit très chahuté dans les six mois qui viennent, donc mieux vaut ne pas tout faire aujourd'hui à notre avis", conclut Alexis Bienvenu.