Investisseurs, faut-il pousser la porte d'AirBnb pour son entrée en bourse ?
Drôle de timing pour Airbnb qui s'introduit en Bourse ce 10 décembre, soit l'année où l'Organisation mondiale du tourisme (OMT) s'attend à un recul du tourisme mondial de près de 70%. "Les employés rémunérés en stock option devaient commencer à trouver le temps long", s'amuse Antoine Fraysse-Soulier, responsable de l'analyse de marchés chez eToro. Airbnb revendique aussi s'être mieux dépêtré de ce marasme que ses concurrents. Et de fait, "le groupe a plutôt mieux résisté à la crise qu'une grande majorité d'entre eux, notamment en termes de chiffre d'affaires, avec un recul de 32% depuis le début de l'année contre -58% pour Expedia et -47% pour Booking, confirme l'analyste. Juillet et septembre 2020 ont été de bons mois de redressement de l'activité et le bénéfice net du troisième trimestre, à 307 millions de dollars, est en hausse de 9% sur un an."
"A 307 millions de dollars au troisième trimestre 2020, le bénéfice net est en hausse de 9% sur un an"
De bons mois, oui, mais pour les réservations domestiques, surtout. "Elles représentaient 77% en septembre 2020 contre 52% en janvier 2020. Pour faire repartir l'activité, le groupe s'est recentré sur son cœur de métier, la location entre particuliers. Il n'est plus question de diversification, dans les transports par exemple, comme c'était le cas avant la crise", souligne Antoine Fraysse-Soulier. "Nous avons la volonté de réinventer le voyage, en développant une plateforme 360° à même de proposer, en un seul et même lieu, des solutions d'hébergement, d'activité et de transport", déclarait Airbnb dans le communiqué de presse annonçant en février 2019 la nomination de Fred Reid à la division Transports du groupe. "De quoi relancer le business ? Peu probable", estime le responsable de l'analyse de marchés chez eToro. Malgré la perspective d'un vaccin grand public en 2021, difficile en effet de prévoir le rythme de la reprise du secteur. Le groupe d'experts de l'OMT s'attend pour sa part à un rebond du tourisme international en 2021, "principalement au troisième trimestre". Toutefois, nuance l'organisation, pour 20% des experts, ce rebond pourrait n'avoir lieu qu'en 2022. Impatientes, les valeurs liées au tourisme ont déjà connu de belles remontées. Un signal encourageant pour Airbnb, soulignait Antoine Fraysse-Soulier lorsque nous l'avions interrogé le 23 novembre dernier, citant en exemple le cours de l'action Accor.
"Déjà que 37/38 milliards c'était élevé, la 'nouvelle' valorisation de 42 milliards l'est encore plus pour un groupe qui n'a jamais dégagé un bénéfice annuel en 13 ans"
Autre point positif sur lequel l'analyste mettait alors l'accent, la valorisation dont il était question, bien moindre que celle dont on parlait au début des rumeurs d'IPO. Mais depuis nos échanges, Airbnb a prévu d'augmenter sa fourchette de prix d'introduction de 56 à 60 dollars contre 44 à 50 dollars auparavant, ce qui valoriserait l'entreprise à 42 milliards de dollars au plus haut. "Déjà que la valorisation précédente autour de 37/38 milliards était assez élevée, cette "nouvelle" valorisation l'est encore plus pour un groupe qui n'a jamais réussi à dégager un bénéfice annuel en 13 ans, nous écrit l'analyste ce mardi 8 décembre. Sachant qu'Airbnb avait été évalué à 18 milliards en avril 2020 après son dernier tour de table et une levée de 2 milliards en urgence ! A l'instar d'Uber ou de Facebook auparavant, le titre pourrait baisser durant les premières semaines de cotation, si les investisseurs jugent ce prix d'introduction trop élevé, ce qui semble être le cas au vu de la conjoncture actuelle et de l'état du tourisme mondial."
"En cas de développement dans les pays émergents où Airbnb est leader, un triplement des revenus du groupe serait parfaitement envisageable"
"Les IPO sont en général sous-valorisées sur l'instant", ce que l'on appelle l'IPO underpricing, rappelle de son côté Julien Messias, gérant de fonds chez Quantology Capital Management. "C'est psychologique. Il faut maximiser la probabilité que l'IPO se déroule bien. Il faut que le mouvement soit positif la première journée, pour montrer au management de la société que tout se déroule bien et qu'il y a de l'appétit pour cette société-là. Si l'action fait -20% ou -25% le premier jour, le signal envoyé n'est pas bon", détaille le gérant. Conséquence, explique-t-il, "nous faisons des IPO en termes d'actes de gestion et nous les vendons le premier jour à l'ouverture, systématiquement. C'est extrêmement robuste et performant."
La valeur peut aussi avoir des atouts sur le long terme, selon un autre gérant, qui préfère rester anonyme et dont la société envisage de se positionner :
- "Le fait que ce soit une plateforme qui ne porte pas les actifs contrairement à des hôtels fait que les coûts qu'elle a à supporter sont essentiellement variables"
- "Le fait qu'Airbnb soit leader sur l'hébergement privé, un secteur qui croit beaucoup plus vite que l'hébergement classique et se digitalise de plus en plus".
- "Le fait qu'une part de plus en plus grande de leur trafic – plus de 80% aujourd'hui contre 60% auparavant – soit capté directement sur le site ou sur les applications sans passer par les moteurs de recherche leur évite des dépenses marketing et leur permet d'investir davantage sur le service client, et donc d'accroître leur avantage concurrentiel."
- "Le fait qu'ils aient une offre de 7 millions de lits, dont 5,6 sont exclusifs et donc qu'il y ait une communauté. A partir du moment où la communauté s'accroit, il y a une grande fidélité : 70% des hôtes en 2019 étaient déjà clients auparavant. Ils captent de nouveaux propriétaires sur le marché qui sont satisfaits du service, pour un tarif proche de ceux des concurrents. On peut faire le parallèle avec les réseaux sociaux, finalement : Facebook et Linkedin ont absorbé leurs concurrents."
"Le titre pourrait baisser durant les premières semaines de cotation si les investisseurs jugent le prix d'introduction trop élevé, ce qui semble être le cas vu la conjoncture et de l'état du tourisme mondial"
Puisqu'on parle de Facebook, Airbnb peut-il craindre la concurrence des Gafa ? Notre gérant anonyme n'est pas inquiet : "Dès lors qu'on rentre dans la complexité d'un métier dans lequel il y a déjà des leaders, pour disrupter ces derniers, il faut offrir un service de meilleure qualité et ce n'est pas évident. Je ne pense pas que les grandes plateformes actuelles aient des velléités d'aller sur ce marché en ces termes-là. Amazon est attiré par des secteurs sur lesquels il y a des fortes marges mais n'est pas dans l'idée de se lancer partout si le retour sur investissement n'est pas assuré. C'est l'avantage d'être le leader et le plus connu et de jouer les pompes aspirantes."
Difficile, toutefois, d'imaginer le devenir de la plateforme sur le long terme, concède notre interlocuteur. "Un scénario d'une poursuite du mouvement d'ubérisation du tourisme est plausible. De plus en plus de gens mettraient alors leur logement temporairement sur le marché et de façon de plus en plus fluide grâce aux outils digitaux. Et s'il est de plus en plus facile de réserver un logement en ligne l'offre créera sa demande. On peut notamment imaginer un développement dans les pays émergents où Airbnb est déjà leader. Un triplement des revenus serait alors parfaitement envisageable. Airbnb ne pèse aujourd'hui que 10% du marché global de l'hébergement, il reste donc un fort potentiel. Le potentiel d'accroissement des revenus reste donc important. Par effet d'échelle, le modèle peut également générer plus de marge. Un aspect difficilement perceptible toutefois, en raison de la structure de coûts, encore un peu floue."