"Cash Is King" : en temps de crise, la monnaie fiduciaire est incontournable

Le cash n'a pas dit son dernier mot. Alors que la valeur des billets en circulation est en constante augmentation dans la zone euro, le liquide s'impose toujours autant comme un moyen de paiement incontournable.

On l’annonçait voué à disparaître, mais c’est l’inverse qui se produit : l’argent liquide reste massivement utilisé, en particulier dans la zone euro. En 2020, en Europe, la valeur des billets d'euros en circulation a atteint 1424 milliards, alors qu'elle n'était que de 669 milliards en 2008, selon la Banque centrale européenne (BCE).

Un paradoxe, alors que la crise sanitaire faisait rage et que la peur d’être contaminé en manipulant les espèces voyait le jour ? Au contraire. Malgré l’apparition de nouveaux moyens de paiement, le liquide reste toujours aussi important pour une grande partie de payeurs et d'épargnants, et il l'est davantage dans les périodes d'instabilité : catastrophes naturelles, guerres, crises économique ou sanitaire… Tour d’horizon des raisons qui font que le cash est et restera incontournable, encore plus en temps de crise.

Fiable, sûr et anonyme : le cash est toujours le « King »

Le cash s’impose comme le seul moyen de paiement qui soit à la fois sûr, gratuit, et universellement accepté. Pas besoin d’Internet ou d’électricité pour fonctionner, et jamais accompagné de frais additionnels. Sa production et sa valeur sont gérées et garanties par les banques centrales, ce qui assure un haut niveau de confiance dans ce moyen de paiement. D’autant qu’il protège également l’anonymat des payeurs, dont les données personnelles peuvent être relevées et analysées dans le cas de paiement par carte ou sur Internet…

Malgré ces qualités, on aurait pu croire que la disparition du cash était inéluctable. Certains pays européens l’avaient même acté dans le marbre, comme la Suède, qui avait l’intention de faire advenir une société cashless. En 2016, seuls 15 % des achats dans le commerce se faisaient en espèces, contre 40 % en 2010, selon la Banque centrale suédoise. « Environ 60 % des agences bancaires de Suède n’ont plus de services pour distribuer des espèces », expliquait à l’époque Niklas Arvidsson, auteur du livre Building a Cashless Society. Pourtant, en 2020, le pays scandinave a fait marche arrière : les députés suédois ont voté une loi obligeant les banques à fournir des services en liquide à leurs clients.

Deux ans plus tard, le retour du cash ne dément pas : en Suède, mais aussi dans d’autres pays d’Europe du Nord et de l’Est, comme en République Tchèque, en Finlande ou en Slovaquie — des pays qui payent traditionnellement peu en espèces — le remplissage des distributeurs a grimpé de 30 %. En cause ? La guerre en Ukraine, qui a fait craindre une difficulté d’accès à ses comptes ou à réaliser des virements, par exemple à cause de cyberattaques. Les banques européennes sont d'ailleurs sur le qui-vive depuis le début de l'invasion russe, craignant une série de cyberattaques massives qui mettraient à mal les réseaux de paiements du Vieux Continent. La preuve que les craintes des Suédois, des Tchèques ou des Finlandais sont loin d'être infondées.

Ce retour en force du cash dans les pays du Nord et de l'Est de l'Europe symbolise parfaitement l’attachement des payeurs et des épargnants aux espèces en elles-mêmes, notamment dans les périodes de crise ou d’incertitude : le cash est autosuffisant et n’a pas besoin d’infrastructure particulière pour fonctionner, et demeure le meilleur outil de gestion des dépenses.

Indétrônable moyen de paiement en temps de crise

Carte de crédit, paiement sans contact, par téléphone ou par Internet… Les moyens de paiement dématérialisés et électroniques se sont multipliés ces dernières années, aidés par le développement de la technologie et des applications sur smartphone : Lydia, PayPal, Venmo… Mais ces méthodes de paiement dépendent fortement d’infrastructures pour fonctionner : raccordement à Internet, fonctionnement du réseau électrique… Lorsque ceux-ci font défaut, leur utilisation devient tout simplement impossible.

C’est l’avantage principal du liquide : peu importe la situation, il est toujours possible de payer avec. On trouve une bonne illustration de ce principe en août dernier, à Haïti. Durement frappées à la fois par un tremblement de terre dévastateur d’une magnitude de 7,2, et, quelques jours plus tard, par la tempête Gloria, les infrastructures de l’île des Caraïbes, déjà fragiles, ont été fortement mises à mal, réduisant à peau de chagrin les raccordements à l’électricité et à Internet. Plusieurs ONG ont de ce fait pris la décision de distribuer aussitôt de l’argent liquide aux habitants pour qu’ils effectuent leurs achats de première nécessité.

Une situation similaire s’est également produite sur l’île voisine de Porto Rico, en 2017, là encore frappée par un ouragan. Les autorités américaines avaient dû procéder à un transport massif de cash vers l’île pour que les habitants puissent survivre et acheter de quoi se nourrir. Lorsque tout s’écroule autour de soi, l’argent liquide est précieux, et les catastrophes naturelles ne sont pas les seules périodes où le cash se fait indispensable : les crises économiques et les périodes d’incertitudes favorisent également les retraits en liquide.

Une poussée de la thésaurisation ?

Bas de laine, argent caché sous le matelas ou dans un coffre-fort… Le fait de retirer du liquide pour l’épargner et le garder chez soi a un nom : la thésaurisation. « Cela peut paraître anachronique, mais il y a beaucoup de gens aujourd’hui qui, par crainte de l’avenir, font le choix d’avoir des billets plutôt que de tout mettre dans un livret A », affirme Christian Baud Berthier, directeur des activités fiduciaires de la Banque de France. Un phénomène davantage renforcé en cette période, marquée par la guerre en Ukraine et la pandémie de Covid-19.

En Europe, par exemple, le cash serait détenu à hauteur de 30 à 50 % pour motif de thésaurisation, selon la Banque de France. Globalement, les raisons pour garder de l’argent chez soi sont multiples : incertitude dans l’avenir de l’économie et envers le système financier, crainte d’une crise, d’une panne réseau ou même, d’une cyberattaque dirigée vers les banques…

Un épisode similaire de thésaurisation s’était d’ailleurs aussi produit lors de la crise financière de 2008, alors que des millions d’épargnants américains avaient vu leurs avoirs littéralement s’évaporer en quelques heures, du fait de la faillite éclair de plusieurs institutions financières.

En réalité, cela démontre que le cash n’est pas juste un moyen de paiement : c’est aussi et surtout une réserve de valeur. De façon pragmatique, le liquide joue en fait autant un rôle économique qu’un rôle social et psychologique pour beaucoup de personnes. « Le billet sert de monnaie de réserve. Il est encore très utilisé par les populations fragiles qui en ont vraiment besoin. C’est très important. Et en même temps, il y en a qui gardent des réserves d’argent, de valeurs, sous forme de billets parce que c’est une monnaie de banque centrale », conclut François Bavay, directeur régional de la Banque de France. Que ce soit pour réaliser des transactions ou pour épargner, le cash est toujours le King, et son règne est bien loin de s’achever.