Jean-Sébastien Mariez (Momentum Avocats) "Le DSA apporte une forme de régulation à deux vitesses"
Véritable refonte de la directive e-commerce, le DSA a pour principal objectif de mieux protéger les consommateurs européens face aux géants du numérique. Maître Mariez, avocat associé chez Momentum Avocats, identifie les impacts pour les acteurs du marché.
Quel est l'objectif du Digital Service Act ?
Jean-Sébastien Mariez. L'objectif du DSA était de revoir les règles de responsabilité des intermédiaires techniques prévues par la directive e-commerce, âgée de 22 ans maintenant, tout en maintenant les fondamentaux. La grande nouveauté du texte est qu'il s'applique à tous les fournisseurs de service sur internet. Hébergeurs, moteurs de recherche, places de marché et plateformes en tout genre, réseaux sociaux inclus, sont désormais concernés par les nouvelles règles. Mais, surtout, il vise à ne pas traiter petits et grands au même régime. Les PME devraient par exemple faire l'objet d'un traitement spécial. La Commission s'est engagée à des aides financières pour une mise en conformité progressive aux nouvelles obligations. Prochaine et dernière étape, le vote final devant le Parlement Européen pour une entrée en vigueur début 2024.
Quels sont les fondamentaux qui ne changent pas ?
D'abord, le DSA conserve l'approche horizontale de la directive e-commerce, à savoir un texte qui s'applique, quelle que soit la nature du contenu illicite. Ensuite, le maintien du principe du pays d'origine, à savoir garantir aux fournisseurs de services de n'être soumis qu'au droit de leur pays d'établissement, cela sans avoir à se conformer à d'autres législations nationales, éventuellement plus contraignantes. Un principe mis en place au départ pour favoriser l'essor des services internet, mais sur lequel plusieurs Etats-Membres souhaitent revenir, pour des questions évidentes de souveraineté.
Qu'apporte le DSA si les fondamentaux de la directive e-commerce sont toujours là ?
"A des niveaux différents, tous les services Web seront impactés par l'entrée en application du DSA"
Tout d'abord une forme de régulation à deux vitesses. Les opérateurs les plus importants font l'objet d'une supervision accrue. Ceux avec plus de 45 millions d'utilisateurs mensuels actifs, c'est-à-dire quasi 10% de la population de l'Union Européenne, doivent mettre en place un dispositif de régulation, qui n'est pas sans rappeler le RGPD, avec toute la logique de compliance. Cela induit la nomination d'un compliance officer, le développement de dispositifs d'audit, le développement de mesures et de contre mesures à l'issue de l'audit au vu du risque potentiel de la plateforme vis-à-vis des libertés fondamentales comme la liberté d'expression, la protection de la vie privée et des mineurs... En dessous du seuil des 45 millions d'utilisateurs, les intermédiaires du Web se voient imposer des obligations de diligence raisonnables. Dans les faits, la régulation au titre du DSA repose sur un système de poupées gigognes : hébergeur, plateforme, place de marché, moteur de recherche et, à chaque catégorie d'intermédiaire, correspond un lot d'obligations communes ou spécifiques.
Donc, selon la qualification de ces intermédiaires on va avoir plus ou moins de nouvelles obligations ?
Oui, avec les plus basiques qui valent pour tout le monde, à savoir : plus de transparence, des conditions générales plus claires, des obligations de coopération avec les autorités judiciaires et administratives, la nomination d'un point de contact pour faciliter la coopération avec les autorités nationales et puis, élément majeur, la mise en place du dispositif "notice and action" pour limiter le volume de contenus illicites sur les plateformes. Dispositif qui offre désormais la possibilité de remettre en cause la suppression d'un contenu posté via des mécanismes de recours. Il y aura également la nomination de trusted flagger, à savoir des organisations dotées d'un droit de notification prioritaire.
Quels sont les impacts sur les organisations et sur leurs équipes ?
A des niveaux différents, tous les services Web seront impactés par l'entrée en application du DSA. Du simple ajustement de processus existants à la mise en place de procédures internes inédites. La mise en conformité avec les règles issues du DSA va solliciter plus ou moins de ressources.
Comment anticiper les choses au mieux ?
"Les réseaux sociaux seront traités au même régime que les autres plateformes"
Une check-list ad hoc permettra de déterminer les bonnes pratiques pour éviter les risques de sanction. Premier point à intégrer pour les intermédiaires, l'obligation de répondre, non seulement à toute autorité judiciaire, mais aussi à toute autorité administrative d'un État de l'Union européenne exigeant le blocage d'un contenu ou réclamant l'identification d'un utilisateur. Autre action importante à mettre en œuvre, la revue et mise à jour des conditions générales et des processus de modération en place afin d'y intégrer les règles de transparence renforcée et s'assurer de la conformité des procédures en place avec le nouveau régime de notice and action.
Les places de marché font l'objet d'une attention spécifique...
Oui, elles devront être particulièrement vigilantes en termes de traçabilité des revendeurs (ou "know your business customer"). Elles devront collecter toute une liste d'informations sur eux : nom, adresse, téléphone, coordonnées de paiement, numéro d'enregistrement au RCS, etc. En gros, toute information empêchant l'exercice d'une activité commerciale anonyme. Donc, si demain je veux ouvrir une boutique ou une place de marché sur une plateforme, dans le processus de création de mon compte, je vais devoir montrer patte blanche et fournir les éléments qui permettront de vérifier non seulement que j'existe, mais aussi d'engager ma responsabilité en cas de problème.
Quid de la confusion générée parfois par certaines places de marché quant à l'identité des vendeurs ?
Sur ce point précis, le DSA prévoit de ne plus appliquer le régime de responsabilité limitée dès lors qu'il y a confusion dans l'esprit du consommateur sur l'origine de l'information ou de la transaction. Il y a, en effet, encore trop de plateformes où il est difficile d'identifier si la transaction est réalisée avec la plateforme elle-même ou avec un vendeur tiers présent sur la place de marché. Un grand nombre de plateformes vont devoir réviser leur look and feel et la manière dont les annonces sont présentées. Enfin, toujours dans une perspective de protection renforcée des utilisateurs, le DSA interdit les interfaces conçues pour tromper ou manipuler l'utilisateur (dark patterns). Pour ça, des obligations de transparence relatives aux paramètres des systèmes de recommandation ont été mises en place afin d'améliorer l'information des utilisateurs.
Les réseaux sociaux vont-ils entrer dans une catégorie à part ?
Non, ils seront traités au même régime que les autres plateformes. Rappelons toutefois que le dispositif de renforcement du DSA a été impulsé au départ pour réguler justement les réseaux sociaux notamment sur la question des contenus haineux ou illicites. Pour terminer, j'ajouterais que, le DSA prévoit une interdiction de la publicité ciblée pour les mineurs et celle fondée sur des données sensibles (religion, orientation sexuelle, etc.). Cette mesure de protection des mineurs en ligne est complétée par l'obligation de mettre en place des mesures de protection particulières pour assurer leur sécurité.