La diversification, un pari à long terme pour les groupes de presse

La diversification, un pari à long terme pour les groupes de presse Les stratégies de diversification ont bon vent chez les médias mais il leur faut du temps pour espérer obtenir des retombées significatives. Retours d'expérience avec les groupes Ebra et Le Monde.

La diversification est le maître mot des groupes de presse. Dans un contexte économique difficile, ces derniers entendent s’assurer des revenus complémentaires grâce au lancement de nouvelles activités et services. Pour la majorité d’entre eux, il s’agit de s’assurer une soupape face aux pressions économiques subies de tous les côtés. Pour ceux qui réussissent à s’en sortir, la diversification c’est aussi une sorte d’assurance-vie, de pari sur l’avenir et un levier de sécurité en cas de changement de dynamique.

Chez Ebra, le gros de la diversification date de l’année 2021, quand l’entreprise l’a structurée et fortement accélérée via une stratégie très volontariste, notamment de croissance externe dans l’événementiel, le digital (acquisition d’Humanoid en 2022), l’édition et la production audiovisuelle. "Nous avons fait le choix d’une diversification permettant de garder le lien et d’établir des synergies fortes avec notre métier historique d’éditeur de presse", explique Anthony Choumert, directeur général d’Ebra Events et président d’Ebra Médias.

Comme l’écrasante majorité des groupes de la presse quotidienne régionale, le groupe Ebra, pôle média de Crédit Mutuel Alliance Fédérale, éditeur de 9 titres de la presse quotidienne régionale couvrant 23 départements de la façade Est de la France, fait face aux pertes subies avec son activité historique, le journal papier. La diffusion s’érodant d’année en année plombe les recettes du groupe, encore majoritairement assurées par la presse.  En 2024, le déficit du groupe s’est creusé à 23 millions d’euros, contre 22 millions d’euros en 2023, malgré des recettes de 480 millions d’euros, en hausse selon certaines sources

L’événementiel assure près de 80% des recettes de la diversification qui d’après nos informations, pèse pour près de 12% du chiffre d’affaires du groupe avec une spécificité de taille : les activités de la diversification sont pour la plupart parmi les seules à être génératrices de bénéfices. "La diversification se passe bien, c’est une activité qui est rentable. Elle joue un rôle important pour limiter les pertes mais elle ne suffit pas à elle seule et ne va pas assez vite pour nous permettre de combler l’érosion des audiences à laquelle fait face toute la presse quotidienne régionale", résume Anthony Choumert. "La diversification est vertueuse et nécessaire mais ne peut pas être la seule réponse au problème structurel de notre marché", conclut-il. Sophie Gourmelen, la nouvelle présidente du groupe Ebra, qui élabore actuellement un plan de relance et de conquête.

L’exemple du Monde est lui aussi illustratif du pari sur le long terme que suppose la diversification. Arnaud Aubron, directeur de la diversification du journal Le Monde, a été recruté il y a quatre ans pour "déployer la marque Le Monde sur d’autres territoires sous le contrôle de l’éditorial". L’expert intègre dans le scope de la diversification la vente de licences de contenus auprès crawlers (logiciels de veille média, instituts de recherche, entreprises privées, LLM…), l’édition de livres, la production audiovisuelle, l’événementiel et l’activité Le Monde Ateliers, des cours en ligne et cycles de conférence en présentiel, en direct ou en replay, proposés au grand public sur des thèmes variés. "Le Monde Ateliers cartonne, c’est une activité en très forte croissance qui commence à devenir significative", commente Arnaud Aubron. Sans surprise, du moins pour l’instant, c’est bien l’événementiel et l’activité de revente de contenus qui pèsent le plus dans les recettes.

Au total, les activités de diversification de la marque Le Monde rapportent 15 millions d’euros au groupe, soit 5% de son chiffre d’affaires de 309,5 millions en 2024. Ce chiffre n’inclut ni les droits voisins ni les licences négociées avec les LLM dont OpenAI et Perplexity, dont les montants restent secrets. Une goutte d’eau ? Pas tout à fait, rétorque notre interlocuteur : "Le Monde se porte bien et est très solidement installé auprès de son lectorat, le groupe n’aurait donc pas besoin de ces activités pour exister. Mais la diversification est pour nous une manière de préparer l’avenir en déchiffrant et en testant de nouveaux chemins de croissance. Le jour où Le Monde aura atteint le plafond de verre d’abonnés, il lui faudra bien trouver d’autres relais de croissance et ces pistes pourraient devenir, pourquoi pas, d’autres sources majeures de revenus. La diversification est aussi une façon pour nous de répondre à la demande de nos lecteurs", conclut Arnaud Aubron.