Le Drive : enfin le bon concept pour l'e-commerce alimentaire ?
La distribution alimentaire prépare sa web révolution avec le concept du Drive, la dernière trouvaille des distributeurs pour enfin réussir dans l'e-commerce.
Le marché du e-commerce français a atteint 31,2 milliards d'euros en 2010 enregistrant une progression de 26 % par rapport à 2009. Pour 2011, les prévisions font état d'un marché européen qui devrait frôler les 203 milliards d'euros et d'un marché national de 38,7 milliards soit une progression de 24 %. Cette évolution amènera le e-commerce à peser environ 7,3 % des ventes de détail en France en 2011 et 11 à 12 % à l'horizon 2015.
La part des ventes réalisées online varie très fortement selon les secteurs, le voyage, les produits techniques et l'habillement faisant parties des secteurs où la part des ventes online est la plus importante. A l'inverse, le marché de l'alimentaire sur Internet est lui très faible puisqu'il représente moins de 1% du marché de la grande distribution. En effet, après avoir été un secteur pionnier il y a plus de 25 ans avec les courses sur minitel (Cadditel qui devint ensuite Telemarket.fr), le modèle de la livraison à domicile n'a jamais explosé. Car malgré l'intérêt porté par la plupart des enseignes (Auchan avec Auchandirect, Carrefour avec Ooshop, Cora avec Houra, Monoprix avec Telemarket puis Monoprix.fr, Intermarché avec Expressmarche.com, Casino avec feu Cmescourses et aujourd'hui Monsupercasino) le modèle reste instable et peu ou pas rentable. En effet les problématiques logistiques (prioritairement la livraison du dernier kilomètre) et la stratégie prix posent de sérieux problèmes aux différents intervenants ce qui explique le non déploiement du modèle sur 100 % du territoire.
Pour contourner ces difficultés et pour permettre au consommateur de mettre fin aux "courses-corvées", Auchan, en complément de son site de livraison à domicile, a créé Auchan Drive et Chronodrive. Avec ce modèle, la contrainte de la logistique aval est transférée au client comme dans le modèle traditionnel des hypermarchés et supermarchés. De plus, le gros avantage de ce modèle tient dans son positionnement prix qui est le même que dans les magasins physiques. Après plusieurs années de réglages à petite échelle, les enseignes ont décidé de déployer ce concept. Aujourd'hui, le Drive s'inscrit parmi les nouveaux services proposés aux consommateurs par la plupart des enseignes. Il constitue, par exemple, une alternative permettant de desservir certaines zones non couvertes par le réseau classique de livraison à domicile.
Deux modèles se côtoient aujourd'hui :
Un premier modèle que nous pouvons appeler le "Pure-drive", où le consommateur récupère sa commande en se rendant avec son véhicule sur un lieu déterminé. Selon ce système, le client identifié par un code personnel récupère ses achats dans un entrepôt dédié ou un espace accolé au magasin, auprès d'une équipe en charge de remplir son coffre. Ceci sans que le consommateur ait à descendre de son véhicule. C'est le modèle principalement exploité par Leclerc et Auchan.
Le second modèle est le "drive-piéton". Comme son intitulé l'indique, le consommateur se rend à pied dans le magasin où il aura choisi de récupérer ses achats. Dans ce cas de figure, on parle d'"emporté-magasin". On retrouve ce modèle chez Système U, Intermarché et Simplymarket par exemple. Ce système est particulièrement adapté aux centres villes où le foncier est rare et cher. Pour ce service toutes les enseignes n'ont pas la même approche logistique : certaines privilégient le picking magasin et d'autres la préparation sur un entrepôt unique qui livre ensuite les magasins.
Ces deux modèles permettent un gain de temps mais le premier modèle connait une réussite commerciale pour plusieurs raisons :
Le coût du service : le modèle "Pure drive" est gratuit, à l'inverse de l'emporté magasin qui souvent est payant.
La praticité du service : l'emporté piéton oblige le consommateur à entrer dans le magasin et à attendre qu'un employé se libère pour lui remettre ses courses.
Le confort du service : il est plus facile de transporter 80-90 euros de courses dans le coffre de sa voiture que de les porter à la main.
Au niveau économique, autant la lecture est simple et la rentabilité présente pour une activité "Pure Drive", autant les résultats réalisés via le picking magasin sont timorés et peu lisibles. En effet, avec le premier modèle, les investissements, les frais de personnel et la productivité sont connus et maitrisés. Un point de vigilance doit cependant être levé : la sélection de l'emplacement sont primordiaux dans la réussite économique du modèle, car un niveau de chiffre d'affaires plancher est nécessaire. Sur cette problématique, nous avons défini un profil type de driver qui nous permet de modéliser le chiffre d'affaires potentiel d'une unité Drive en fonction de différents critères, comme par exemple le type de flux routiers mais aussi l'appétence au modèle Drive de la zone de chalandise.
A l'inverse, avec un modèle de picking magasin, la productivité et les frais de personnel de l'activité sont noyés avec ceux du magasin. Ce modèle, qui nécessite peu d'investissements, était intéressant il y a quelques années pour tester l'intérêt des consommateurs, mais aujourd'hui il semble qu'il connaisse ses limites (faible niveau de chiffre d'affaires, préparation des commandes peu optimisée, gestion complexe des stocks...).
Au-delà de l'enjeu majeur pour l'avenir qu'est l'e-commerce, le Drive est aussi une arme redoutable au niveau de l'expansion et de la stratégie des enseignes. En effet il permet de s'installer dans des zones où l'enseigne n'est pas présente, sans avoir besoin d'une surface importante et sans avoir besoin de multiplier les points de vente : le concept de Drive est, aujourd'hui, suffisamment novateur pour permettre le développement rapide de la notoriété de l'enseigne dans la zone (comme le prouve la réussite de Chronodrive). Devant de tels enjeux, les enseignes, dans une stratégie dans certains cas de défense et dans d'autres cas de conquête de part de marché, ont annoncé des déploiements massifs dans les mois et les années à venir (Leclerc annonce 400 unités, Carrefour 180 unités).
A ce rythme, le marché de l'e-commerce alimentaire qui se répartit aujourd'hui à 50/50 entre le concept de livraison à domicile et celui de Drive devrait vite basculer en faveur du second et dépasser les 3,5 milliards d'euros en 2015. A ce moment là, nous pourrons dire que l'e-commerce alimentaire aura fait sa révolution. Avant cela, il reste aux distributeurs à trouver les emplacements les plus judicieux en termes de flux routier et de zone de chalandise : la course aux emplacements est donc lancée. Course à laquelle d'autres intervenants comme les distributeurs spécialisés et les industriels pourraient venir participer, le modèle Drive pouvant s'adapter à d'autres secteurs.
Yannick Franc, expert e-commerce et performance commerciale, a connu une expérience dans deux entreprises pionnières de l'e-commerce, Telemarket.fr, où il fut chargé d'étude pôle produit puis responsable marketing produit et responsable des ventes entre 2004 et 2008, et Auchan, où il fut responsable de l'organisation transverse e-commerce entre 2008 et 2010. Il est aujourd'hui senior consultant chez Kurt Salmon.