Séverine Grégoire (Monshowroom.com) "Notre politique de croissance rentable nous oblige à un pilotage plus efficace"
Le premier site à s'être lancé dans la vente des collections en cours des marques de mode veut devenir incontournable sur le marché français. Sa fondatrice dévoile sa stratégie.
JDN. Lorsque vous avez créé Monshowroom.com en 2006 avec Chloé Ramade, l'e-commerce de prêt-à-porter se limitait aux ventes privées et au déstockage, donc à la vente des collections discountées des années précédentes. Pourquoi miser sur le full price ?
Séverine Grégoire. Notre idée était de proposer les collections en cours des marques tendance du moment, donc un positionnement différent aussi des vépécistes. Nous voulions nous adresser aux jeunes femmes de province qui n'ont pas accès aux marques des magazines, ainsi qu'aux urbaines qui n'ont pas le temps de faire du shopping. L'enjeu était de taille : ce créneau marchait très bien au Royaume-Uni et personne encore n'avait tenté de s'y positionner en France. En effet, les consommateurs français ont été éduqués à venir sur Internet acheter du prix. Mais en cinq ans, les modes de consommation ont changé et maintenant, les Français viennent aussi sur le Web pour le produit. A l'époque c'était un tout petit marché, nous n'étions pas du tout sûres que cela allait fonctionner. La presse féminine nous a suivies dès le début, cela nous a beaucoup aidées.
Combien êtes-vous aujourd'hui chez Monshowroom ?
Nous étions 18 personnes en début d'exercice, en février 2011, actuellement nous sommes 28 et nous serons 30 d'ici février 2012. Ce qui n'inclut pas la logistique, puisque nous l'avons externalisée chez Morin Logistic durant l'été 2010.
Sur quoi avez-vous travaillé en 2011 ?
Nous étions sous forte pression cette année, car nous avons connu un gros boost de croissance l'an dernier. Nous devions prouver que la rentabilité que nous affichions en 2010 n'était pas un accident. C'est l'objectif qui nous a guidés toute l'année. Nous avons d'abord beaucoup œuvré au développement de notre offre. Nous avons ouvert un espace hommes en janvier 2011 pour la saison d'été 2011 et nous allons lui sonner un réel essor pour l'été prochain.
"Nous avons optimisé nos process pour mettre en vente les articles aussi vite que possible"
Nous développons aussi l'offre femmes, notamment avec notre propre marque, By Monshowroom, lancée fin 2010. Tout le monde ne peut pas acheter un manteau entre 300 et 500 euros, il y a donc une place pour des articles tendance à prix accessibles. La crédibilité que nous avons acquise sur la mode pendant nos cinq années d'existence nous a permis de nous lancer en propre. En outre, By Monshowroom nous permet de travailler avec des marges bien plus confortables. Nous sommes plus libres sur l'animation commerciale et les promotions, tout comme sur le renouvellement rapide des collections. Résultat, notre marque est entrée dès sa première année dans le Top 5 de nos ventes. Nous avons commencé avec une cinquantaine de références, nous en sommes à 300 environ pour la saison actuelle.
Vous avez aussi professionnalisé vos outils et vos process...
Nous avons en effet développé des outils informatiques afin de pouvoir donner aux internautes un accès très en amont aux collections. Elles ne sont pas en vente, elles sont simplement visibles. Nous avons ainsi montré la collection d'hiver 2011-2012 dès le mois d'avril. Non seulement cela leur plaît beaucoup, mais les likes des internautes nous fournissent également des très bons indicateurs pour déterminer les tendances, les marques et les produits qui vont fonctionner. Nous allons renouveler l'opération pour la collection de l'été prochain, que nous mettrons en ligne dès que Noël sera passé.
Plus largement, externaliser notre logistique nous a permis de nous recentrer sur notre métier et en particulier de travailler nos process photo, afin de pouvoir mettre en vente les articles aussi rapidement que possible. Zara et H&M nous imposent ce modèle de "fast fashion". Or dans les boutiques physiques, vous mettez les vêtements sur les cintres et c'est fait. Tandis que dans l'e-commerce, recevoir les produits et les mettre en vente prend beaucoup plus de temps. Et comme nous nous engageons sur le stock, que nous payons, il nous faut absolument pouvoir mettre en vente les produits au plus vite. Raison pour laquelle 60 % de la collection d'été 2012 a déjà été shootée. Le stock sera chez Morin Logistic autour de février 2012 et nous pourrons vendre dès le lendemain. Parfois, il n'est pas possible de tout shooter à l'avance. Mais dans ce cas, nous ne mettons plus qu'une semaine au maximum pour mettre en ligne les produits, au lieu de trois semaines chez beaucoup de nos concurrents.
Quelles sont vos ambitions pour les années à venir?
Notre chiffre d'affaires était de 2 millions d'euros sur l'exercice 2008, de 5 millions en 2009 et de 12,5 millions en 2010, première année de rentabilité pour Monshowroom. Sur l'exercice 2011, notre croissance sera comprise entre 70 et 80 % et nous serons toujours rentables. Nous voulons conserver un trend de croissance important et prendre le leadership sur le marché français. Aujourd'hui, nous démarrons bien mais nous restons petits. Nous voulons devenir incontournables.
"Notre rentabilité n'est pas obtenue au détriment de nos investissements"
Ceci alors qu'il va nous falloir composer avec une nouvelle donne : l'arrivée des retailers bien sûr, mais aussi celle de gros acteurs étrangers comme Asos et Zalando, qui débarquent avec une vraie connaissance du secteur, des moyens très importants et une politique marketing agressive. Certes, cette nouvelle concurrence prouve que le marché de la vente en ligne de collections full price est en plein essor. Et au-delà de la prime au premier entrant dont nous bénéficions, nous savons par ailleurs qu'un vrai savoir-faire est nécessaire sur ce créneau : on a vu plusieurs acteurs, notamment des sites de ventes événementielles, s'y essayer sans succès. Mais nous allons devoir nous battre pour prendre des parts de marché et tirer notre épingle du jeu.
L'arrivée des marques sur le Web marchand vous inquiète-t-elle ?
Je vois d'un bon œil qu'elles commencent à s'approprier ce canal. C'est aussi cela qui fait le marché. Et elles contribueront à éduquer les consommateurs. En outre, je ne crois pas à une cannibalisation entre les sites monomarques et multimarques. D'abord parce que les monomarques n'attireront jamais autant de trafic que les multimarques. Sur Monshowroom, nous commercialisons 165 marques. Pour les internautes, ce sont autant de points d'entrée sur le site. Seuls les grands multimarques possèdent cette force de prescription. Et nous savons ensuite guider nos clients à travers les produits pour les faire circuler entre les marques.
Pourquoi cette volonté d'être rentables si tôt dans votre développement, quand vous pourriez investir davantage ?
Sur les marchés qui ne sont pas encore matures, la pratique habituelle, pour prendre des parts de marché, consiste effectivement à investir énormément. Mais si on n'est pas rentable, on enchaîne les levées de fonds pour financer ses pertes et on ne s'en sort plus. Il s'agit donc de trouver un équilibre, afin que la rentabilité ne s'obtienne pas au détriment des investissements. A cette fin, nous avons mis en place des outils de pilotage de notre activité, qui nous ont par exemple fait gagner des points de marge et, en conséquence, accéder à la rentabilité. Nous grossissons peut-être moins vite que d'autres, mais notre croissance est solide. D'autant que sur notre secteur, c'est un exercice difficile, qui nous oblige sûrement aussi à être plus rationnels dans nos dépenses, plus inventifs que des acteurs qui se diraient plus facilement "on n'est pas à quelques euros près". Désirer en parallèle cette croissance et cette rentabilité nous oblige à mon sens à des choix plus réfléchis.
Après avoir reçu 200 000 euros de business angels en 2007 puis levé 4,3 millions d'euros en 2009 auprès d'Alven Capital et de Crédit Agricole Private Equity, ce crédo ne vous empêcherait pas non plus de lever à nouveau. Est-ce prévu ?
Nous ne fermons pas la porte à un nouveau tour de table, mais il n'y en a pas dans les tuyaux pour le moment. Si notre croissance était freinée par un manque d'investissement dans le marketing, les stocks ou encore autre chose, une nouvelle levée de fonds serait nécessaire. Mais en l'occurrence, notre modèle nous permet de nous auto-financer. Nous prendrons une décision en 2012.
Lorgnez-vous d'autres marchés européens ?
C'est extrêmement tentant : 15 % de notre chiffre d'affaires vient déjà de l'étranger, sans effort de notre part ! Toutefois, pour se lancer à l'international, il faut le faire bien, avec beaucoup de ressources, et ne pas se borner à traduire son site. L'offre, les habitudes de consommation, beaucoup de choses diffèrent. On a d'ailleurs vu beaucoup d'e-commerçants se casser les dents, dont des gros, y compris sur des marchés a priori proches du nôtre, comme l'Espagne. Bref, à court terme, nous n'irons pas. Pour devenir incontournables en France, il ne faut pas nous disperser. Ensuite seulement, nous regarderons d'autres marchés.
Séverine Grégoire, 31 ans, a fait de sa passion de la mode son métier. Titulaire d'une maîtrise de gestion, elle débute sa carrière à l'Institut Mode Méditerranée et à la Fédération française du prêt-à-porter. En 2006, à 25 ans, elle et Chloé Ramade, une amie du même âge alors en DEA de marketing, décident de se lancer dans l'e-commerce de mode. Après avoir envisagé d'ouvrir un site de déstockage, elles renoncent à ce créneau déjà saturé. Obligées de se rendre à Paris pour trouver les marques qu'elles aiment, elles y voient un besoin encore non satisfait en ligne. Elles créent Monshowroom en mars 2006, achetant leurs premiers stocks avec leurs économies. La rupture de stock ne tarde pas à survenir et elles entament un tour des banques pour financer leur développement. En mai 2007, elles convainquent des business angels de Provence d'investir 200 000 euros dans l'aventure. La même année, leur chiffre d'affaires s'élève à 1 million d'euros. Séverine Grégoire est PDG de Monshowroom.