Comment Flipkart est devenu l'Amazon indien
Lancé en 2007 sur la vente de livres, Flipkart s'est depuis étendu à de multiples catégories de produits, tout en adaptant son modèle aux défis du paiement et de la logistique indiens.
Pour s'imposer sur le marché indien, Flipkart n'a pas pris pour modèle le plus mauvais des sites marchands. Lancé en octobre 2007 depuis Bangalore sur le créneau de la vente en ligne de livres, il s'est ensuite étendu à l'e-commerce de biens culturels, puis aux produits électroniques et à l'électroménager pour couvrir aujourd'hui de multiples catégories de produits, de la mode aux jouets en passant par l'hygiène et la bagagerie. Un air de déjà vu ?
Que ses fondateurs Sachin Bansal et Binny Bansal aient tous les deux précédemment travaillé pour Amazon n'est effectivement qu'une semi-surprise. En revanche, adapter cette activité à l'Inde n'a pas été un jeu d'enfant, loin de là. Au premier chef parce que la pénétration des cartes de crédit et du paiement en ligne y est particulièrement basse.
Pendant deux ans et demi, Flipkart ne cible d'abord que les porteurs de cartes bancaires. Conscients qu'augmenter les ventes et la rentabilité de leur site nécessiterait de toucher les autres consommateurs, les deux amis lancent en 2010 une nouvelle option de paiement, le "cash on delivery". Succès immédiat : en deux mois, 30% des ventes sont ainsi réglées en liquide à la livraison, proportion qui s'élève aujourd'hui à 80%. Ce faisant, Flipkart s'adjuge également des clients dans de nouvelles zones du pays, les petites villes. Le nombre très limité de retards de livraison achève d'alimenter un bouche-à-oreille très positif autour du site marchand, qui s'assure rapidement une base de clients fidèles et des taux de réachat de plus de 70%.
Des financements conséquents
Fondé avec un investissement initial de 400 000 roupies (à l'époque, 7000 euros) des deux fondateurs, Flipkart a depuis levé 1 million de dollars en 2009 auprès d'Accel India, puis 10 millions de dollars en 2010 auprès de Tiger Global, qui a réinvesti 20 millions de dollars l'année suivante. En août 2012, Sachin et Binny Bansal passaient un nouveau cap, bouclant un quatrième tour de table de 150 millions de dollars auprès de Naspers, d'Iconiq Capital et de leurs actionnaires existants.
Cet argent a notamment financé plusieurs acquisitions, comme celle de l'outil de recommandation sociale de livres WeRead en 2010, des droits sur les données du site d'information bollywoodien Chakpak.com en 2011, ou du deuxième e-marchand indien de produits électroniques, Letbuy.com, en 2012. Ils ont aussi permis à Flipkart de développer de nouveaux services - comme un portemonnaie électronique lancé fin 2011 et l'e-boutique de fichiers musicaux Flyte ouverte début 2012 - et de créer sa marque propre d'accessoires pour produits électroniques, Digiflip, lancée mi-2012. Mais les tours de tables successifs de Flipkart lui ont surtout donné les moyens d'accroître ses capacités logistiques. L'e-commerçants dispose actuellement de sept entrepôts, à partir desquels il dessert 95 villes dans le pays.
Une nouvelle activité stratégique de marketplace
Un peu plus d'un an après l'arrivée d'Amazon en Inde au travers de la marketplace Junglee, en février 2012, Flipkart vient d'ailleurs d'ouvrir sa propre place de marché. Histoire, certes, de ne pas se laisser distancer par l'Américain, mais surtout de tirer profit de son trafic élevé. Le site revendiquait en effet 80 millions de visiteurs uniques en 2012 et 2 millions de clients. Une audience qui devrait convaincre sans peine les vendeurs tiers de lui confier leur catalogue... et permettre à Flipkart de dégager enfin de la rentabilité.
L'e-commerçant indien, marchant là encore dans les pas de son modèle, fournit aux marchands qui remplissent ses critères toute la chaîne de services allant de la logistique à la présentation des fiches produits. Afin de garantir la qualité de l'expérience client, mais aussi de rendre la vente en ligne accessible aux petites entreprises, souvent non équipées pour cette activité. Flipkart se place en outre du bon côté de la loi indienne : interdisant pour l'instant les investissements étrangers réalisés directement dans des sites marchands BtoC, elle est en revanche favorable aux marketplaces, considérées comme des services BtoB.
Elever les barrières à l'entrée
Son capital étant majoritairement détenu par des acteurs étrangers, Flipkart a d'ailleurs lui-même dû se conformer à cette règle. Début 2013, trois investisseurs indiens ont donc repris ses activités de front-end, regroupées au sein de la société WS Retail Services, qui opère les activités du groupe en Inde. Flipkart, qui s'était déjà incorporé il y a quelques mois au sein d'une nouvelle société-mère à Singapour, contrôle de son côté les services de back-end. Une expatriation qui devrait aussi lui permettre de préparer son introduction en bourse.
L'e-commerçant indien s'est donc également mis en ordre de bataille, en prévision du jour où le gouvernement déciderait de permettre les investissements étrangers dans les sociétés d'e-commerce BtoC. D'abord, Flipkart sera idéalement positionné pour inciter les entreprises étrangères à se lancer en Inde au travers de sa place de marché. Un relais de croissance majeur dans la mesure où en Inde, la demande pour les produits de consommation étrangers croît bien plus vite que celle pour les produits locaux. D'autre part, l'outil logistique qu'il bâtit depuis six ans lui permettra de se prémunir pendant un certain temps de la concurrence d'Amazon.
En attendant, le groupe continue de pousser son avantage et d'élever les barrières à l'entrée. Il étend progressivement son option de paiement à la livraison à l'ensemble du pays et poursuit le développement de son service de transport eKart Logistics, qu'il positionne comme le partenaire logistique des acteurs de l'e-commerce indien. Il envisagerait aussi de mettre en place un programme de livraison et de fidélité sur le modèle d'Amazon Prime, qui en l'échange d'un abonnement annuel donne droit à un nombre illimité de livraisons.
Des revenus alimentés par la croissance du secteur
Le chiffre d'affaires de Flipkart, qui s'élevait à 40 millions de roupies (1 million de dollars) sur son exercice 2008-2009, a quintuplé pour atteindre 200 millions de roupies l'année suivante (5 millions de dollars), puis presque quadruplé à 750 millions de roupies (19 millions de dollars) en 2010-2011 et progressé de 33% à 1 milliard de roupies (25 millions de dollars) en 2011-2012.
Le groupe indique vouloir dépasser le milliard de dollars de ventes en 2015. Une ambition peut-être excessive, qu'alimentera néanmoins la pénétration rapide de l'accès à Internet, du mobile et de l'achat en ligne dans le pays. Selon une récente étude d'Accel Partners, l'e-commerce indien hors voyage a dépassé en 2012 la barre des 800 millions de dollars, dépensés par 13 millions de cyberacheteurs. En incluant le secteur de l'e-tourisme, leur nombre atteignait 20 millions. Globalement, le commerce électronique indien croît de plus de 45% chaque année.